Aliocha Schneider a sorti son troisième album à la rentrée dernière. S’il n’en est pas à son coup d’essai, c’est la première fois que l’auteur-compositeur-interprète écrit un album dans sa langue maternelle. Ensemble, nous avons parlé de son rêve d’Olympia (où il jouera en décembre prochain), des trajets entre Montréal, Paris et Athènes qui ont façonné la composition de l’album, de son amour pour la musique de Jean Leloup ou encore de sa double culture franco-québécoise.
La Face B : Comment ça va ?
Aliocha : Écoute, ça va bien, il est tôt donc on se réveille mais ça va.
La Face B : Tu as lancé ton album à la rentrée, comment tu vis cette sortie ?
Aliocha : Super bien ! C’est spécial, ces deux ans de travail, des chansons que tu gardes dans ta poche très longtemps et qui sortent enfin. Ça fait un bien fou. En vérité, ça change la vie parce que j’ai accès à plein de choses dont je rêvais. Je pense notamment à la Cigale qu’on a rempli deux semaines après avoir sorti le disque et pour moi, c’était des trucs qui étaient impensables donc c’est sûr que ça fait du bien. Et puis c’est une période un peu chouette, c’est un peu comme si c’était ton anniversaire parce que tu reçois plein de messages de gens qui t’écrivent, pour te dire qu’ils aiment ta musique. Sur une chanson comme « Ensemble » par exemple, il y a des gens qui m’écrivent, qui me parlent de leurs relations à distance, qui me dise que ma chanson les touche. Et c’est étrange parce qu’écrire des chansons, c’est quelque chose très solitaire à l’origine, mais ce qui est le plus agréable dans tout ça c’est de voir que tu arrives à communiquer et à rejoindre les gens avec ta musique.
La Face B : Et puis tu vas aussi jouer à l’Olympia, et je lisais que c’était un de tes rêves…
Aliocha : Ouais, un peu. Enfin carrément (rires). Je ne me suis jamais fixé d’objectifs du genre « dans 5 ans je fais un zénith », mais quand on me demandait ce dont je rêvais, la seule idée que j’avais en tête c’était l’Olympia. C’était surement le rêve qui paraissait peut-être réalisable. J’ai l’impression que ce n’est pas un hasard, tu vois, le fait que quand tu projettes quelque chose et que tu le verbalises, ça peut plus facilement se concrétiser.
La Face B : Ton album est écrit en français alors que les précédents étaient complètement anglophone. Est-ce que tu vois que ça a un impact sur le public qui écoute ?
Aliocha : Complètement. Les textes, ça a toujours été important pour moi, même quand je chantais en anglais. Je me disais que tout le monde parlait anglais mais en fait les gens écoutent moins les paroles quand ils parlent anglais et je m’en suis vraiment rendu compte. Dès la première chanson que j’ai faite en français est une traduction d’un titre de mon deuxième album, qui est devenue « C’est tout, c’est rien ». Déjà à ce moment-là, j’ai vraiment vu un impact qui était différent.Ils m’ont beaucoup plus parlé du texte alors que dans ma tête, le texte n’était pas au-dessus des autres ou en dessous, mais je me suis dit que le public y faisait vraiment attention alors j’ai eu l’idée de faire l’album au complet en français. C’est quand même ma langue maternelle quoi, malgré tout, donc j’ai plus l’impression d’être moi-même-quand je chante en français, et peut-être que ça aussi, les gens le ressentent.
La Face B : Oui, et musicalement les deux premiers albums avaient vraiment un son folk tandis que là on sent qu’il y a tout plein d’autres influences. Est-ce que le fait de voyager a influencé ta manière de faire de la musique ?
Aliocha : Oui, d’autant plus qu’on voulait que cet album ce soit une photographie d’un moment précis de ma vie.
C’est une année où deux projet en tant qu’acteur m’ont amenés en Grèce. D’abord il y a eu un film qui s’appelle Music, de la réalisatrice allemande Angela Schanelec, et j’ai écrit mes premières ébauches de chansons là-bas. Je suis rentré à Montréal et c’est là qu’on a vraiment fait le plus gros du travail avec Marc-André Gilbert qui a fait les arrangements aussi et qui a co-écrit le disque.
Je suis rentré du tournage de ce premier film et j’avais toujours en tête que je repartais six mois en Grèce pour celui de Salade Grecque, et on voulait capter à la fois ce que je venais de vivre, et un peu par anticipation de ce que j’allais vivre. Dans les textes, on parle beaucoup effectivement d’océan, du soleil, de la chaleur, et dans les arrangements, on voulait qu’il y ait ce côté insulaire, de guitares sèches, chaleureuses à la Rodrigo Amarante. Les percussions, les arrangements vocaux, il y a du lap steel, il y a vraiment un côté de la chaleur, on voulait absolument le sentir.
La Face B : Tu as quand même choisi de revenir à Montréal pour enregistrer l’album, est-ce que tu avais envie de faire cet album avec un entourage musical en particulier ?
Aliocha : Oui, parce que Marc-André Gilbert était déjà à Montréal et on a vraiment travaillé à travers le temps. C’est pas comme si on s’étaient fait deux semaines de studio et basta.On travaillait un peu chez lui, chez moi, on écrivait. Dès qu’on avait une chanson un peu terminée, on bookait deux jours de studio, puis on faisait deux jours de studio pour enregistrer cette chanson. Mais ça s’est fait vraiment sur un an et demi. Il est venu aussi un peu à Paris, il est venu un peu en Grèce. J’ai fait chanter mes potes comédiens d’ailleurs sur des chansons. Mais c’est pour ça que c’était plus simple de le faire à Montréal.
La Face B : D’ailleurs en parlant de la Grèce, tu fais finalement communiquer tes deux casquettes et c’est notamment Cédric Klapisch qui a réalisé le clip de Ensemble. Est-ce que l’idée venait de toi ou de lui ?
Aliocha : En fait, je voulais réaliser moi-même le clip au départ, et je lui ai écrit pour lui demander conseil parce que j’avais juste l’idée de moi qui arrive à la porte et qui ose pas sonner. Je croyais qu’il me manquait une idée, un truc et je suis allé le voir pour voir s’il pouvait pas m’aider et il m’a dit « écoute si tu veux je peux même être sur le plateau pour avoir un regard extérieur ou même si tu veux je peux le réaliser, je peux prendre vraiment la place que tu veux » ce à quoi j’ai répondu qu’il pouvait le réaliser. C’est sûr que je l’ai pas fait dire deux fois (rires). Il était d’une générosité folle parce qu’en plus, il a fait venir toute son équipe de production sur le projet donc c’était un beau geste d’amitié et quelque part, j’aimais bien l’idée de mélanger un peu les deux comme l’album a été créé en partie lors du tournage de Salade grecque, j’aimais cette idée là.
La Face B : J’ai lu que tu voulais que ce soit un album qui fasse du bien aux gens. Est-ce que pour toi ça passe par la musique, est-ce que ça passe par les textes ?
Aliocha : Pour moi ça va ensemble, mais j’aime bien la musique qui console, c’est la musique qui me touche le plus. Enfin, j’écoute pas que ça, évidemment, mais c’est ce qui, quand j’étais adolescent, m’a le plus marqué. Le pouvoir de la musique, c’était ça, le truc consolateur, d’aller mettre le doigt sur quelque chose qui fait mal. La musique prend ta souffrance et la rend belle.
La Face B : Oui, je vois très bien. Moi quand j’écoutais tes premiers albums je pouvais pas m’empêcher de penser à Elliot Smith. Est-ce que tu as des artistes qui t’ont plus influencé que d’autres, ou pas, pour cet album-là ?
Aliocha : Il y a des artistes comme Elliot Smith, comme Bob Dylan, comme évidemment les Beatles. Ce sont des artistes que j’ai tellement écouté ado, qu’ils ont eu une influence sur toute ma vie. Mais sur ce disque-là, j’ai beaucoup écouté Mac Miller pendant cette période-là, justement, j’ai beaucoup écouté Rodrigo Amarente, Marvin Gaye, Barbara, Patrick Watson. Il y a des choses que tu écoutes comme ça et qui, inconsciemment, dans la composition se met en œuvre. Mais il y a des choses où tu es en studio, où tu ouvres vraiment Spotify et tu dis, tiens, on essaie d’avoir ce ton.
La Face B : Est-ce que t’as des trucs du Québec qui t’ont influencé ?
Aliocha : Jean Leloup, mais je le mettrais plus dans la catégorie des Elliot Smith et tout, ces artistes qui m’ont tellement influencé à un moment que ça fait fait partie de moi pour toute la vie.
Mais même sur ce disque en réalité, il y a des moments où quand on était bloqué sur certaines chansons avec Marc-André, je le regardais et je lui disais « Qu’est-ce que Jean Leloup ferait ? » (Rires). Mais sinon au Québec, je suis super influencé par Daniel Bélanger et Patrick Watson.
La Face B : Ce que je trouve super intéressant en terme de son, c’est que cette double-culture franco-québécoise que tu as fait qu’on ne peut pas vraiment mettre d’étiquette sur ta musique.
Aliocha : C’est vrai que même avec le français, il y a des mots… Moi j’ai cette double culture effectivement, j’ai même les deux accents. Quand je suis au Québec j’ai vraiment l’accent québécois en tout cas j’ai deux accents différents donc je me suis demandé « quand je vais chanter comment je vais faire ? ». Et je me demande, t’entends toi un accent québécois quand tu chantes ?
La Face B : Non… Peut-être que ça va me faire penser à l’accent de Coeur de Pirate quand elle chante mettons. Tu sens que certaines intonations et certains mots sont plus québécois que français, mais c’est pas flagrant.
Aliocha : Mais en fait, c’est qu’il ya certains mots, je trouve, qui sonnent juste mieux avec l’accent québécois.
La Face B : Oui et puis il y a aussi des phrases, des choses que tu peux dire en québécois ou en français qui vont dire quelque chose de super précis qui n’existent pas dans l’autre culture.
Aliocha : Exactement. Il y a tout un truc par rapport à l’accent québécois et à la culture québécoise qui fait que les Québécois qui l’utilisent, ils ne seront jamais compris en France. Je pense à Richard Desjardins dans sa chanson « Tu m’aimes-tu ? », ce sera jamais compris en France. Alors que le fait qu’il ait choisi ces mots-là, c’est tellement quotidien, c’est tellement brut.
Enfin, je m’éloigne, mais c’est pour ça que moi, justement, j’ai décidé de ne pas aller là non plus, parce que j’avais cette envie de faire de la musique ici aussi et je me suis dit qu’on ne me comprendrais pas. Dans l’autre sens, j’ai choisi de ne pas avoir d’expressions purement françaises qu’on n’entend jamais au Québec. Du coup, ça limite parce qu’il y a beaucoup d’artistes en France qui jouent beaucoup sur ces trucs-là de mots familiers, de jargon. Moi, j’ai décidé d’avoir un truc un peu plus neutre à ce niveau-là pour cette raison-là.
La Face B : Quand t’as fait cet album-là, t’avais vraiment cette envie, peut-être plus qu’avant, de venir en France et de développer cette carrière en France ?
Aliocha : Ça fait quand même 3-4 ans avant même que j’habitais en France et aussi je ne connaissais tellement pas le marché de la musique… Il y a quelque chose d’assez cool de cette naïveté quand tu commences à faire de la musique, t’écris pas du tout pour t’inscrire dans un marché quoi, tu fais vraiment juste exactement ce que t’as envie de faire. Moi j’ai commencé à écrire en anglais parce que je trouvais que c’était peut-être plus accessible, ce n’était pas un truc pour être international.
Sauf que, après deux disque, je me rends compte que les gens qui écoutent ma musique ce sont des gens francophones, donc ça devient absurde de chanter de chanter en anglais pour la francophonie alors que moi même je suis francophone.C’est comme si tout d’un coup, au bout d’un moment j’ai commencé à avoir un sentiment d’imposteur à chanter qu’en anglais que je n’avais pas au début.
La Face B : Et est-ce que le fait d’écrire en anglais c’était pas un moyen aussi de te sentir plus en sécurité et d’avoir moins l’impression que ta vie et tes émotions sont visibles aux yeux de tous ?
Aliocha : Ouais, ouais, ouais, complètement. C’est vrai qu’en anglais ça prend un personnage… Comme tu dis, c’est au moins une sécurité qui fait que t’es plus libre, tu peux ne pas être tout à fait toi-même. Et en français, c’est ça qui est aussi compliqué, c’est que ça t’impose une espèce de truc de réalité, tu peux pas faire semblant quoi. Mais en même temps, c’est peut-être pas vrai.
La Face B : Tu pourrais te créer un personnage. Mais c’est peut-être plus facile de se cacher en écrivant sur soi en anglais qu’en écrivant sur soi en français.
Aliocha : C’est vrai. On me demande beaucoup plus « Mais alors est-ce que ça t’es arrivé ? Et Julia, qui est-ce ? »… C’est comme si vraiment je parlais de moi, alors qu’en anglais, j’avais le même procédé de composition Aussi j’ai eu cette sensation, dans ma façon d’écouter de la musique, moi qui écoutais beaucoup de musique en anglais, je me suis rendu compte que j’écoutais davantage la musique que les paroles au départ, ce qui n’est pas le cas quand j’écoute de la musique francophone.
La musique, ça laisse tellement tout ouvert, ça permet d’exprimer des émotions sans mettre de mots dessus. Et je trouve que l’anglais me permettait justement d’avoir accès à une émotion très directe, quitte à parfois, au moment où tu écoutes les paroles, être déçu, ou justement, avoir une seconde écoute qui rend ça meilleur. Parfois, je trouve que le texte peut créer un blocage ou prendre le dessus sur la musique.Je sais pas si tu vois ce que je veux dire…
La Face B : Si, si, je vois, mais en fait ça me fait penser à un truc. Cet été, je suis allée aux archives à Montréal, dans les archives de la SODEC. Il y avait une étude qui avait été faite auprès des jeunes à la fin des années 90, début 2000, pour comprendre pourquoi ils écoutaient plus de chansons anglophones que francophones. Ils expliquaient justement qu’ils écoutaient plus de chansons anglophones parce qu’ils faisaient moins attention aux paroles et que du coup ça les bloquait moins dans l’écoute alors qu’en français c’était l’inverse et donc si les paroles ne leur parlaient pas, et bien ils écoutaient autre chose.
Aliocha : Exactement. Mais tu vois, c’est un truc comme ça où même quand je compose, souvent je fais du yaourt, il y a une mélodie que j’aime qui raconte quelque chose pour moi et que j’adore ça ! C’est qu’après t’essaies de mettre des mots dessus mais le message prend le pas sur la musique. Comme je disais tout à l’heure, l’espèce de rapport direct entre une note et une émotion est déviée.