Fer de lance du label Lofish Records, cela faisait un petit moment que Alpes n’avaient pas réellement donné de leur nouvelles. Une petite apparition par ci, une petite session pour les capsules par là, mais le quatuor se faisait relativement discret depuis la sortie de Between Moon and Sun. En ce mois de décembre 2020, alors que s’achève une année absolument chaotique dont on ne voudra retenir que le meilleur, notre patience se révèle récompensée puisque Alpes est de retour avec un nouvel EP au titre providentiel : Live. Quatre titres bruts qui transpirent la fureur de vivre autant que l’amour collectif de quatre amis qui vivent la musique ensemble depuis bientôt 10 ans.
On parlait dans notre introduction d’une année 2020 chaotique et le mot résonne dans nos esprits comme un doux euphémisme. Dans une période qui s’est nappée d’un brouillard inquiétant d’incertitudes, une chose nous aura manqué plus que tout : les salles et les concerts. Si par moments, la providence nous aura permis de fouler à nouveau du pieds les endroits qu’on aime tant, cela aura été avec un sentiment brûlant de frustration, tant l’odeur si caractéristique de souffre et de sueur, la sensation de vivre et de communié auront été annihilé pour nous offrir une version plus sage et masquée de ce qu’on aura eu l’habitude de vivre. Comme un bébé à qui on aurait décidé d’interdire la tétine, l’envie d’hurler de colère a été parfois plus que tentante. Heureusement, alors que le mois de décembre débute, les niçois de Alpes débarquent avec un substitut au nom tout trouvé : Live. Quatre morceaux, 20 minutes et une rage bouillonnante qui réchauffe nos cœurs et apaise nos esprits.
Et c’est bien là toute la réussite de ce nouvel EP : là ou d’autres auraient fait passer leur live à la moulinette du mastering pour un son parfait, là où certains se seraient amusé à reprendre des morceaux encore et encore jusqu’à atteindre une perfection qui pourrait faire plaisir mais enlèverait à l’exercice toute sa sève, Alpes a préféré une voie plus dangereuse, mais plus satisfaisante : celle du live brut, celui qui se casse la gueule, qui vit, qui respire, ou les instruments se répondent. Une bulle sous tension qui nous rappelle tout ce qu’on a perdu et tout ce qu’on a très hâte de retrouver. La beauté de l’exercice réside aussi dans sa double sortie : en plus de l’audio, Alpes aura eu la brillante idée (à l’image de Parcels plus tôt cette année) d’embarquer avec eux des caméras pour immortaliser l’instant. Entre les regards complices, la concentration qui ressurgit par instant, la colère et l’urgence qui brille dans les regards, on assiste à un beau moment, un vrai moment intense et prenant dans lequel on s’embarque sans trainer les pieds et qu’on se repasse encore et encore pour le simple plaisir de voir ces quatre là vivre ensemble avec un plaisir non dissimulé.
À l’image d’un set live, Alpes a eu la bonne idée de multiplier les intentions, les humeurs et les couleurs. Le choix des morceaux a sans doute été très réfléchi pour offrir une expérience à la fois saisissante, divertissante et puissante. Ainsi les quatre titres choisis permettent à ceux qui les connaissent de retrouver Alpes et à ceux qui les découvrent d’avoir un aperçu exhaustif d’un groupe qui baigne dans un psychédélisme réconfortant pour le mélanger avec bonheur au rock et à la pop, pour le tremper aussi bien dans un mur du son qui nous frappe que dans une douceur qui nous réconforte.
Et il faut dire que Alpes n’est pas la pour plaisanter puisque le groupe nous plonge directement dans le bain avec l’excellente Someone To Love, qu’on avait pu découvrir dans leur session des capsules. Et on tient là un petit tube parfait, porté par un chant vénéneux qui joue avec bonheur sur les tessitures vocales, une rythmique sèche et imparable et un rythme effréné qui nous coupe presque le souffle, bien aidé par un refrain entêtant où le lead et les chœurs se mélangent pour notre plus grand bonheur avant que le morceau ne s’arrête d’un coup brutal et surprenant. Do It prend la suite et ce qui s’apparentait au départ à un petit moment de douceur 70’s se transforme au fur et à mesure que le morceau avant pour basculer dans une vibe plus planante ou un gros son de basse vient faire vibrer notre cage thoracique alors qu’un solo de guitare discret se joue en arrière plan avant que le morceau ne prenne le chemin d’une lente montée qui s’offre une explosion finale et chaotique absolument jouissive. Le moment est donc idéal pour passer à Try Me morceau, et ça commence à être une heureuse habitude, à l’efficacité sans faille qui permet à Quentin de se transformer en crooner, tout en charme. Mais Alpes nous a gardé le meilleur pour la fin et nous offre un final grandiose avec The Shy Bow Without Target. Si le morceau fait parti du répertoire du groupe depuis quelques années déjà, ils en offrent une relecture brûlante, dépouillée de ses oripeaux de studios pour en garder une ossature ou des teintes orientales viennent se confronter au désert du sud des États Unis. Le résultat ? 7 minutes dantesques ou le sexe, la fureur, la soul et la tension se retrouvent ensemble attablés sur un bar poussiéreux pour boire un whisky à la santé du rock’n’roll.
Si on aimait le sens de la formule un peu maligne, on pourrait dire que Live de Alpes est le subutex musical qu’il fallait aux addicts que nous sommes. En réalité, et de manière un peu plus sobre, on conclura de cette manière : ces quatre titres sont un rappel, celui que la musique est une affaire d’émotions, de danger et surtout de live. En vingt minutes qu’on s’écoute encore et encore à l’envie, Alpes nous rappelle cela de la plus belle des manières. Alors on a envie de leur dire merci et à bientôt dans les salles de concert.
Photo de couverture : Laurie Bisceglia