Pour la sortie de leur cinquième album, Altin Gün se sont octroyé.es non pas un, mais deux Trianon. On était à la représentation du dimanche, sans surprise excellente .
Pour dire à quel point Altin Gün était attendu, le Trianon était déjà au trois-quart complet lorsque World Brain s’avance sur les planches. Pas le moins du monde déstabilisé par cette audience, le français s’adresse tranquillement à la foule, lance ses sons sans jamais oublier quelques traits d’humour. Seul en scène, accompagné tour à tour d’une clarinette, un synthé ou une guitare, et son ordinateur à porté de main pour lancer ses accompagnements, Lucas Ufo (Fenster) déroule une pop étrange. Parfois un brin naïf, poétique, avec une belle dose de mélancolie, World Brain délivre un set intime et étonnamment chaleureux. En pleine maîtrise de son sujet, notre première partie dégage un calme olympien, pour une performance plus que réussie.
On ne sait pas trop sur quel pied danser en écoutant l’album du musicien. Tantôt dream pop, tantôt plus cold wave, instrumental et parfois chanté, on n’est jamais trop fixé sur cette discographie fouillis. Pour autant, on se perd et on aime à se surprendre d’une nouvelle sonorité, un nouveau synthé qu’on n’aurait pas imaginé la seconde d’avant. Malgré ce côté assez hétéroclite, on ressort de l’écoute de Peer to Peer (Mansions and Millions / 2019) d’un album abouti et maîtrisé. Une pop qui a le mérite de sortir un peu de la constante et parfois fausse et surjouée gaité.
Aşk (Amour en turc) est déjà le cinquième album d’Altin Gün depuis 2018 et On (Bongo Joe). Autant dire que le sextuor d’Amsterdam n’a pas chômé. Malgré leur origine du nord de l’Europe, leur musique sent bon l’Anatolie, à base de percussions, de saz (sorte de luth de cette région du monde) et chant en turque (les deux chanteur.euses en sont originaire). Assez rapidement, Altin Gün s’est placé comme l’un des groupes référence dans ce style très particulier. En effet, au travers de ses cinq albums, quoi que rapprochés dans le temps, le groupe s’est vu parcourir différentes phases qui font montre d’un talent indéniable et d’une palette assez conséquente. Leur style, à la colonne vertébrale de folk anatolienne, s’articule autour d’influences funk, reggae, rock psyché, synthé des années 70 voire 80. Bref, l’inventivité du groupe ne se réduit pas à seulement remettre au goût du jour un genre peu identifié, Altin Gün magnifie tout ce qu’iel touche.
L’album commencerait presque comme une musique de film. Badi Sabah Olmadan ouvre avec brio un disque qui s’avère excellent. Musicalement, on retrouve l’Altin Gün des débuts. Un peu moins de synthés que sur Yol (Glittebeat Records / 2021), Aşk, sur le même label, retrouve la fougue de On. Guidé par une guitare et un saz en pleine symbiose, impossible de passer à côté de ce trip psyché plein d’amour. Sur les envolées des deux chanteur.euses du groupe, on se balade à travers des paysages désertiques et pourtant accueillants. Plein de couleur, cet album nous transporte dans un coin perdu, une oasis rêvée. Altin Gün a le chic pour nous sortir des pochettes d’albums magnifiques, qui reflètent parfaitement l’univers du disque. Et c’est encore le cas avec Aşk. Perdez-vous avec elleux, et revenez apaisé.e par la beauté de ce disque.
Au Trianon, la part belle a été donnée, sans grande surprise, à cette sortie. Dans les moulures bien françaises de cette salle magnifique ont résonné pendant une grosse heure des airs colorés, vintage et entrainant. Il fallait être en fosse pour se rendre compte du pouvoir dansant de ce groupe. Le parquet de la salle s’est vu doucement houler sous les vagues de déhanchés du public. Comme un nouvel instrument qui, par ses oscillations, appuyait encore plus le côté groovy du sextet mixte, la salle n’a pas mis longtemps à devenir une mer mouvante. Altin Gün enchaîne, sans jamais trop s’arrêter, et nabvigue tranquillement à travers sa discographie, tout en laissant la part belle à quelques solos et parties plus instrumentales bienvenues. En ressort un sentiment de maîtrise totale, et un cocktail salvateur d’émotions bienveillantes.
Pas étonnant que les deux dates du Trianon ont affiché complet en seulement quelques jours. Pas étonnant non plus que tout le monde se les arrache. Le groupe a une féroce réputation scénique, et c’est peu dire. Au vu du concert auquel nous avons assisté, le Trianon paraissait limite trop petit pour un tel talent. Sans jamais trop surjouer, le groupe n’a fait que délivrer une musique excellente, la sienne, le tout parfois porté par des effets de lumières bien à propos. Il n’en fallait pas plus pour conquérir son monde. A mesure d’ovations, de danses et chants turques, la soirée fût excellente. Pour combattre la morosité du dimanche soir, on recommande un concert d’Altin Gün, ou, à défaut, n’importe lequel de ses excellents albums. Effet garanti.
Toutes les photos ont été réalisées par Clara, qu’on peut retrouver sur insta juste ici : @cl_dl