Alors que se profile sa release party au PopUp du Label, on a retrouvé Amaurie pour une conversation autour de son EP, Nuance. Au programme, la création du projet de son esthétique à son rendu visuel, sa collaboration avec Felix Petit, son évolution et faire du jazz qui sonne pop.
La Face B : Salut Amaurie, comment ça va ?
Amaurie : Ça va bien. Je suis concentrée sur le PopUp. C’est challenge parce que ce n’est pas une soirée où je suis invitée mais c’est une soirée produite par mon équipe donc c’est plus ambitieux.
LFB : La première fois qu’on s’est croisés, c’était à la Rochelle en 2022. C’était pile entre la sortie de Personne ne perd et de Nuance. Je me demandais quel à été le chemin pour toi entre ces deux projets parce qu’il sont musicalement très différents.
Amaurie : En vrai, quand t’es artiste, je pense que tu évolues tout le temps. Personne ne perd, c’était juste mon premier EP. Je l’ai fait avec Monomite, je me cherchais encore un peu et il y a eu une DA à ce moment-là. J’ai l’impression que j’ai appris à écrire des chansons, j’ai commencé à produire. Et après, Nuance, j’ai poussé les maquettes beaucoup plus loin. J’ai appris des leçons de Personne ne perd. Je me suis un peu émancipée. J’ai trouvé une DA plus personnelle je pense, avec la volonté de faire plutôt de la pop.
LFB : Ce que je retiens, c’est que j’ai l’impression que sur ce nouvel EP, on est sur deux choses qui sont un peu complètement opposées mais qui marchent bien. C’est à la fois beaucoup plus doux et en même temps beaucoup plus acide sur le traitement des sujets et sur la façon dont il est écrit.
Amaurie : Parce que je pense que dans mon évolution personnelle, il y a quelque chose qui est plus en paix. Les morceaux sont moins sur mes petites névroses perso. Ils commencent à se tourner un peu vers le monde et ce qu’il se passe. J’ai moins peur aussi de jeter des pavés dans la mare et de dire que je m’en fous, que j’ouvre ma gueule. Je suis extravertie musicalement.
LFB : Tu dis que c’est moins tourné vers toi mais en même temps, tu es beaucoup plus actrice de tes morceaux. C’est-à-dire que sur le premier EP, tu utilisais beaucoup plus le « tu » alors que là, tu utilises plus le « je ».
Amaurie : Absolument. On me l’a fait remarquer parce que je pense que le premier EP, il y avait vraiment un truc de réglages de compte avec des personnes. Je ne sais pas. C’est bizarre, ce n’était pas spécialement calculé mais il y avait une thématique un peu comme ça. Là, oui c’est vrai. Il y a des morceaux où je me mets un nu. Je savais que je le ferais un jour. Je n’évolue pas forcément vers ça pour la suite mais voilà.
LFB : C’est un peu une transition. J’ai l’impression que c’est un EP qui t’a permis de te libérer sur pas mal de choses. Déjà, je trouve qu’il est beaucoup plus libéré et moins timide dans l’utilisation de ta voix.
Amaurie : Oui, complètement. Il y a plusieurs choses. C’est aussi la réalisation vocale. C’est une question de temps que les gens peuvent y passer et de tes connaissances. Moi, j’avais plus de connaissances en réalisation vocale, j’avais progressé en chant. Je pense que le chant, ça met du temps pour s’affirmer. Ça dépend des gens.
LFB : Avec cette liberté, je trouve que sur le premier EP, tu étais plus cloisonnée sur une espèce de rythmique qui t’imposait la façon dont tu devais chanter. Alors que là, c’est la façon dont tu chantes qui vient poser la compo et ce qui vient autour.
Amaurie : Ouais, parce qu’encore une fois, cet EP je l’ai beaucoup plus fait de mes mains avant que Félix n’intervienne. Il y avait des maquettes très pensées en amont. J’avais écrit beaucoup d’instruments, les basses, les batteries. Tout est plus maîtrisé. Félix (Petit ndlr), sur certains morceaux, il adorait ça parce qu’il disait qu’il était vraiment réalisateur. Évidemment qu’il a fait beaucoup de prod mais il a aussi fait beaucoup de réal. Tu as des éléments et tu n’as plus qu’à les agencer, les inverser. Moi j’ai dessiné la robe et lui…
LFB : Il a fait les finitions quoi.
Amaurie : Oui, c’est ça. Il s’est éclaté à ça.
LFB : Du coup, l’EP s’appelle Nuance qui est le titre de l’un des morceaux. Pourquoi tu n’as pas appelé l’EP Nuances au pluriel ? J’ai l’impression que chaque morceau qui compose l’EP est un peu une nuance de ta personnalité et de ta personnalité musicale.
Amaurie : Ouais. C’est une question d’esthétique. J’aime bien le singulier. Je trouve que c’est plus simple. Déjà, c’est compliqué alors en plus si tu commences à mettre des « s ». Je trouve ça plus beau le singulier. En fait, nuance, ça a beau être un mot singulier, c’est au pluriel parce que ça induit qu’il y a plusieurs choses déjà.
LFB : Tu parles d’esthétique. Il y a un truc que je trouve hyper important, c’est que le titre des chansons est vachement tranché, là où auparavant tu avais des phrases. Là, une chanson, c’est un mot qui en même temps guide et amorce le morceau.
Amaurie : Oui parce que ma méthodologie a un peu progressé du premier au deuxième disque. En fait, souvent je pars d’un mot pour écrire une chanson. J’ai une grande liste avec plein de thèmes que je veux aborder. J’écris la topline et quand je l’ai, je regarde mes petits thèmes et je me dis, ok ça parle de mes origines, nuances,…
LFB : Au final, c’est un vrai recueil. C’est vraiment pensé comme un recueil.
Amaurie : C’est ça. C’est un peu scolaire, c’est presque une dissertation sur un sujet. Non, ce n’est pas une dissertation. C’est ma petite vision d’un thème. Origine par exemple, ça parle de moi mais aussi le fait qu’il y ait BRÖ… Elle est franco-algérienne et moi franco-tunisienne. C’était pour que la notion d’origine ne soit que personnelle et ramener une vision transversale.
LFB : On parlait des nuances là-dessus mais il y a aussi les nuances musicales parce que je trouve que chaque morceau a une esthétique assez tranchée et une couleur qui lui est propre.
Amaurie : C’est ça. Ça, je reconnais que ce n’était pas facile et que ça m’a joué un peu des tours je pense. Et notamment quand l’EP n’était pas fini et que je l’ai fait écouter. J’ai compris qu’il ne fallait plus jamais que je fasse écouter mes maquettes. En fait, maintenant, je ne fais écouter les maquettes qu’à des gens où je sais qu’ils savent vraiment bien écouter la musique. Parce que je pense qu’aujourd’hui, cet EP se tient très bien. Même si tout est très nuancé, ça se tient et c’est cohérent. Je me suis encore un peu cherchée dans le chemin de cet EP. J’adore la musique dans son ensemble et je reconnais que j’ai eu un peu de mal à me dire que moi, ce qu’il faut que je fasse, c’est de la chanson pop.
LFB : C’est intéressant parce que finalement, c’est limite logique que tu aies bossé avec Félix parce qu’il est habitué à bosser avec des artistes québécois et c’est vrai que là-bas, ils sont plus libres dans cette idée d’exploration et de réflexion musicale. Pas forcément dans le genre mais que ce soit la personnalité de l’artiste qui inspire, plutôt que rester bloqué sur un genre de musique particulier.
Amaurie : Complètement. Ils sont plus libres. Les québécois sont beaucoup plus ouverts aussi à ça. Ces artistes-là marchent beaucoup moins en France alors qu’au Québec, ce sont les plus gros. Et donc oui, c’est sûr qu’il y a un alignement. Après, Félix a clairement… Ce qui l’a intéressé avec moi, c’est qu’il a fait autre chose. Il a fait des choses qu’il n’avait jamais faites avant. Mais ouais, il y a cette transversalité.
LFB : Un morceau comme Aventure, tu sens l’influence. Il y a un truc très frais et léger. Tu sens la collaboration entre ce que lui fait avec d’autres et ce que toi tu apportes.
Amaurie : Complètement, parce que la grille d’accords est une grille classique de jazz. Et du coup, c’est presque une blague avec les jazzeux. Entre nous, on sait que c’est du jazz et qu’il fallait que ça devienne plus pop pour correspondre à l’EP. J’avais bossé ce morceau-là avec deux jazzeux qui s’appellent Noé Berne et Auxane Cartigny (Oxy) qui sont des super, super musiciens. Parfaits pour apporter le premier jet d’arrangements à cette chanson. Puis, Félix est arrivé et il a ajouté la touche pop dont le morceau avait besoin pour s’aligner avec les autres.
LFB : Il a cette radicalité de faire des trucs très jazz et de les transposer vers des trucs beaucoup plus pop.
Amaurie : En fait, Félix vient du jazz, il l’a étudié à Montréal. C’est quelqu’un qui sait faire beaucoup de choses. Du coup, si tu dis que c’est du jazz mais qu’il ne faut pas du jazz, lui, il gère !
LFB : Le fait de chapitrer un peu l’album, en termes d’écriture, est-ce que ça t’a libéré sur certaines choses d’aller chercher des choses un peu plus profondes comme sur Nuance ou Jeunesse ? J’ai l’impression que ce sont des choses beaucoup plus personnelles que ce que tu as pu faire auparavant.
Amaurie : Oui, carrément. Encore une fois, je dirais plus que la différence, c’est que je maîtrise mieux ma technique. Je pense que le premier EP, j’y allais un peu à tâtons. J’ai appris plein de choses sur le premier EP. Il y a eu énormément d’accidents aussi. Il y en a eu beaucoup moins dans Nuance. C’était beaucoup plus fluide, topline, sujet, texte, arrangement. C’était toujours le même process. Ce n’est pas le mot libération qui me vient, mais plus la maîtrise. Pour moi, la musique a toujours été une névrose. Des fois, je pleure parce que je n’en fais pas assez. Ça a toujours été un truc où j’ai besoin d’en faire beaucoup. Là, je sens que mon vocabulaire augmente énormément. Il y a un truc comme ça où j’ai de plus en plus d’outils pour faire la musique que je ressens au fond de moi. Et c’est super apaisant !
LFB : Tu n’as pas peur au fur et à mesure d’être trop aspirée par la technique ?
Amaurie : Non. Justement l’exercice, c’est de sortir de ça et d’en faire un truc populaire. C’est ça mon but aujourd’hui. Je trouve que Personne ne perd, c’était vachement niche alors que Nuance, ça l’est moins et je vais faire du encore moins niche pour la suite. Je trouve que ce qui est dur, c’est de rendre son œuvre très accessible, lisible. Faire un truc très pensé mais que tu arrives à rendre premier degré comme Nuance. Ça commence un peu à marcher et c’est ça qui m’excite.
LFB : Ça a marché grâce à TikTok aussi.
Amaurie : Et Instagram. Un petit peu ouais. Il y a eu des 200 000 milles vues sur Insta donc c’est cool. Je me dis que j’aurais écrit un beau couplet dans ma vie.
LFB : Je trouve qu’il y a une esthétique visuelle qui est très importante, que ce soit dans le choix des photos ou même sur les clips. Comment tu le travailles ? Est-ce que tu as le moodboard dès le départ ou est-ce que c’est après les chansons qui vont guider un peu ?
Amaurie : Là aussi, je sens qu’il y a une technique qui s’est affinée. Dans le premier EP, il y a eu beaucoup d’accidents. Dans le deuxième, beaucoup moins. Comment je le travaille ? Alors du coup, j’ai fait mes clips avec Arthur Morard qui est une personne super flexible et super à l’écoute. Délicieuse. C’est vraiment beaucoup de discussions. Sur Nuance notamment, on prend de la hauteur et on se demande c’est quoi la scène ? C’est quoi qu’on voit ? Même si j’avais déjà fait un repas dans un clip, c’était évident que c’était ça qu’il fallait faire, le repas de famille.
Il y a un truc très dessiné, je passe beaucoup de temps à chercher les tenues. C’est moi qui fait le stylisme. Il faut qu’il y ait un truc très clair. J’adore le ciné.
LFB : Qu’il y ait une espèce d’iconographie. Je trouve que la pochette de l’EP fait très icône justement.
Amaurie : C’est ça. Quand je cherche des tenues, je ne sais pas trop pourquoi, je sais quand c’est Amaurie et je sais quand ça ne l’est pas. Quand c’est ça, j’y vais et je ne lâche pas le designer.
LFB : Est-ce que parfois tu as l’impression que Lucile prend plus de part sur Amaurie ? Dans les thématique que tu utilises.
Amaurie : Ouais, carrément. Le premier EP, je n’étais pas trop moi-même. J’avais besoin de jouer un peu un rôle. Là, j’ai l’impression que j’arrive à faire d’Amaurie, moi. C’est trop agréable parce que du coup, j’arrive à me transposer dans ce monde. J’arrive à fusionner ce que je voulais faire. Ce truc un peu magique d’Amaurie mêlé à juste quelqu’un de normal qui habite à Paris, qui bouffe, qui dort.
LFB : Qu’est-ce que tu prévois pour ton 29 janvier au Pop Up ?
Amaurie : C’est une soirée qui s’annonce magique. Je vais faire tout mon EP, mes anciens morceaux. Il y aura aussi des exclus, avec des guests. Des morceaux que je n’ai jamais faits sur scène. Il y aura beaucoup de guests. Et bien sûr, mes musiciens de toujours Milan Tabak mon batteur et Dee Huang ma guitariste pour m’accompagner.
LFB : Quand on produit quelque chose d’aussi pop, toi qui envisages le live de plusieurs manières différentes, là tu le fais en full band. Qu’est-ce que ça t’apporte d’avoir quelque chose d’un peu plus organique et de plus ouvert musicalement ?
Amaurie : Je pense que je fais de la musique en partie pour ça. Pour composer mais aussi pour jouer dans un groupe. Ça paraît cliché mais au départ, c’est juste être sur scène. Je fais de la musique pour jouer dans un groupe. La sensation est indescriptible et c’est comme ça que j’ai vraiment l’impression de faire de la musique. Quand tu es sur scène et que tu es avec des musiciens, il y a une sorte de trans qui se crée. Les énergies doivent vraiment s’aligner. Il y a un truc d’écoute qui est incroyable. Donc oui, idéalement j’aimerais même qu’on soit plus. J’ai aussi une formule solo parce que c’est les besoins.
LFB : Si on pouvait t’accorder trois vœux pour 2024, ça serait quoi ?
Amaurie : Finir mon album. Deuxièmement, que 2024 m’offre les meilleures conditions pour le sortir. Et puis transformer le cercle vicieux dans lequel on peut parfois tomber quand on est artiste : manger, payer un loyer. Ce truc-là, essayer d’en faire un peu plus un cercle vertueux. Faire plus de musique, moins de travail alimentaire.
LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur récents que tu veux partager avec nous ?Amaurie : Suzane Belaubre. Je t’en aurais parlé même si ce n’était pas ma première partie au Pop Up parce que franchement, je trouve que c’est incroyable ce qu’elle fait. C’est une vraie musicienne, elle travaille beaucoup, beaucoup sa musique. Comme on a fait un feat, je l’ai vue à l’œuvre en studio. Elle sait où elle va. Pour moi, c’est une artiste à suivre. Sinon, j’ai trop kiffé Les trois mousquetaires, le premier. Je n’ai pas vu le deux. J’ai vu Le règne animal, c’est génial.