Le mythique groupe australien Amyl & The Sniffers est de retour non pas pour nous jouer un mauvais tour (vous les voyez les références de Boomers?!) mais pour poursuivre leur ascension à travers un nouvel opus haut en tubes. Après un premier album éponyme en 2019, puis Comfort to Me en 2021, voici Cartoon Darkness, un album dont le titre évoque la légèreté des animés comme la noirceur de nos temps.
Amyl & The Sniffers se compose de la charismatique Amy Taylor (chant), de Declan Mehrtens (guitare), de Gus Romer (basse) et de Bryce Wilson (batterie). Retrouvez nos précédentes archives sur le groupe ici.
Comme un traité musical de sociologie.
Ce titre antithèse, extrêmement parlant, résume bien l’album. Composé de treize masterpieces, Cartoon Darkness surfe sur la vague du monde actuel et met en exergue ses contradictions et disparités. Le groupe aborde des sujets de société qui se succèdent et se complètent. Cartoon Darkness incarne à lui seul un traité musical de sociologie. Une palette de thèmes englobe l’ensemble. Ainsi, on passe de l’écologie à la politique, de l’intelligence artificielle aux nouvelles générations, de la guerre à l’overdose d’information dont nous sommes les victimes et les acteurs.
Le tout est saupoudré de candeur, de naïveté et donne une couleur particulière à cette noirceur qui s’installe. Un brin d’espoir habille encore notre monde, un survêtement qui vient la dissimuler. Cette noirceur s’est invitée dans l’actualité mais la vie mérite toujours d’être célébrée et c’est bien là une promesse tenue et démontrée par l’album.
Un album à la Black Mirror.
Dernier titre dévoilé avant la sortie de l’album, Jerkin’ est marqué par le phrasé “uppercutant” d’Amy. La négativité est personnifiée. Amy lui rétorque, la confronte, la piétine. Elle a façonné une barrière invisible, une bulle d’optimisme qu’elle s’est bâtie avec les matériaux les plus solides. Ceci lui permet d’être imperméable à toutes les frasques et à tous les desseins les plus sombres qui se dessinent face à elle. Incarnant l’énergie et la force féminine à son paroxysme, Amy dénonce ainsi le climat anxiogène des réseaux sociaux où chaque utilisateur est coincé dans les mêmes schémas qui se répètent : le diktat des likes, le règne du paraître et les faux-semblants.
Amyl & The Sniffers et le retour à l’adolescence.
Chewing-gum, morceau dévoilé en août dernier, succède à Jerkin’. Le groupe s’exprime sur l’état des jeunes générations engluées dans des flots d’informations et de désinformations dont elles sont devenues effroyablement dépendantes. En effet, la naïveté des êtres humains devient universelle et leur capacité de réflexion s’altère avec la pollution numérique. Notre corps se mue mais nous restons bien longtemps des enfants. Comme un chewing-gum dont le goût passe après dix secondes de mastication, on profite de plaisirs futiles et immédiats qui semblent faussement générer de la joie alors même que celle-ci s’avère des plus éphémères.
Tiny Bikini est la suite logique dont découle Chewing-Gum. Avec désinvolture et ironie, Amyl & The Sniffers dépeint les préoccupations et les discussions stériles qu’il est désormais possible d’observer régulièrement dans la société actuelle. Ainsi, l’humanité, de plus en plus individualiste, se soucie bien plus de la façon dont elle va être perçue à défaut de se soucier de ce qui importe vraiment et de ce qui crée toute la richesse de l’être et qui devrait réellement importer.
Le calme avant la tempête.
Big Dreams, un des derniers titres dévoilés avant la sortie de l’album, constitue la véritable surprise de Cartoon Darkness. Un titre beaucoup plus tempéré et moins péchu que de coutume pour ce groupe à l’énergie explosive. Cependant, ne vous fiez pas à cette baisse d’intensité et à l’âme mélancolique qui émane de Big Dreams.
La musique évoque ici un esprit proche des codes du Far West ou encore de la mythique route 66. Une impulsion guidée par le besoin intrinsèque de liberté et d’émancipation. Un besoin d’en finir avec le fonctionnement actuel se fait sentir. Une scission doit s’opérer pour sortir de l’oppression, oublier toutes nos préoccupations et notre charge mentale dues à nos obligations sociétales qui s’apparentent un peu trop à métro, boulot, dodo, argent. Un changement de vie s’impose pour que ces grands rêves deviennent une réalité atteignable.
L’album se poursuit avec un titre à l’opposé de Big Dreams partant ainsi sur des riffs bien lourds, codifié punk à 100% histoire de jouer l’ascenseur émotionnel. It’s Mine est un morceau qu’on souhaite vivre en live tant l’intensité fait grimper les battements du cœur. Il est un défouloir qui transpose l’auditeur dans la fosse où les corps chavirent, vacillent et où les appuis sont fragiles.
Une bouffée d’air frais.
On continue sur la même lancée avec Motorbike Song. Ce titre fait tout de même écho à Big Dreams (et son clip). L’appel de la liberté est devenu viscéral et ce besoin se répète et s’accentue au fil de Cartoon Darkness. Le monde a changé. La société a changé. Les aspirations évoluent. Peu tolèrent cette sensation d’étouffement qui émane de notre ancien train de vie. Chacun·e a besoin de sa liberté, de reprendre le contrôle de sa vie, de souffler, de respirer afin de pouvoir fonctionner au quotidien. Ainsi, c’est en se recentrant qu’on réveille notre propre conscience. Motorbike Song s’achève sur un petit solo de guitare bien rock’n’roll classique mais tellement significatif. La moto est associée à un esprit rock comme le rock est associé à la liberté et à l’émancipation.
Cartoon Darkness se poursuit avec Doing In Me Head. Ce titre résonne comme un hymne adolescent avec son refrain martelé. Puis Pigs arrive en force pour nous obliger à nous regarder en face. L’humain détruit la planète et utilise ses meilleures qualités à des fins nocives et destructrices. En effet, il s’automutile pour mieux s’autodétruire. Quand cesserons-nous de faire du mal ? Il n’est alors pas étonnant que les jeunes générations se perdent quand tout est fait pour les dérouter. C’est là tout le propos de Cartoon Darkness.
crédit photo John Angus Stewart
Les premiers amours.
On continue avec Bailing On Me. C’est assurément le titre le plus acidulé et le plus pop de l’album. Pourtant, il reste un morceau mélancolique. Il est question de cœur brisé et d’amour perdu. Au fil des 2’41 qui constituent Bailing On Me, se dessinent les contours d’une chambre d’adolescent dans laquelle on écrirait sur un journal intime des bribes de vie. Chacun et chacune revit alors sa première rupture, une façon d’unir les auditeurs sur un sujet vécu par la plupart des êtres humains. C’est aussi une manière de nous rappeler notre humanité et de nous scinder autour d’une expérience quasi universelle qui forge et a forgé notre “nous” adulte.
Vient enfin U Should Not Be Doing That, premier titre dévoilé du volet Cartoon Darkness. Fais pas ci, fais pas ça ! Tant d’hommes tentent de contrôler et de soumettre les femmes. Les femmes n’ont pas besoin qu’on leur dise quoi faire ni comment le faire. Nous ne sommes pas des êtres qu’on infantilise. Nous sommes autonomes et capables de réfléchir par nous-mêmes. Les hommes se sont trop souvent installés dans la tête des femmes. Cela a eu pour impact de faire baisser leur estime d’elles-mêmes, de les faire douter de leur capacité à s’auto-suffire et de leur faire croire qu’elles ne peuvent rien faire seules. Amy Taylor fait clairement un doigt à ces injonctions. Elle appelle à plus de confiance en soi et à s’affirmer haut et fort. Un peu de self-love effet feel good sauce Amy. Qu’on nous laisse tranquilles et qu’on nous fiche la paix !
Si tu veux le faire, fais-le !
Do It Do It agit dans la continuité de U Should Not Be Doing That. Ce titre, teinté d’énergie et d’optimisme, encourage chacun et chacune à se donner les moyens d’atteindre ses objectifs. Il n’est point nécessaire d’attendre l’autre pour accomplir des choses et pour s’accomplir soi-même. C’est un chemin qu’on emprunte seul. Tout le monde peut se réaliser mais cela demande des efforts et de la motivation. Mais vous pouvez le faire alors let’s go !
Going Somewhere s’enchaîne dans la même logique que les deux derniers morceaux. Enfin, Me And The Girls clôture Cartoon Darkness dans une ambiance organique, presque disco et assurément groovy. Cependant, le propos n’en est pas moins sérieux. Amy Taylor aborde la liberté des femmes ainsi que leurs droits. Ce titre est marqué par la sororité et l’unité. La chanteuse affiche clairement le besoin d’indépendance des femmes et affirme leur capacité à s’auto-suffire.
crédit photo John Angus Stewart
Apprendre à être soi-même et à suivre sa propre route dans une quête de liberté et d’émancipation est un point central dans cet album. Il est une ôde à la vie et une invitation à vivre malgré les nuages les plus sombres qui se profilent à l’horizon de l’humanité.
Par ailleurs, Cartoon Darkness dresse un parallèle entre l’adolescence et l’âge adulte. On reste à la frontière de ces deux temps forts de l’existence comme si on ne voulait pas grandir, comme si être adulte était terrifiant et que l’insouciance de l’adolescence ne devait jamais disparaître. La vie est un cartoon, parfois une vaste blague, qui étale toutes ses nuances de noir. On ne peut qu’espérer qu’elle retrouvera toutes ses nuances de rire, de joie et de beauté. On ne peut qu’essayer de semer l’espoir et de se battre pour le meilleur. Alors, profitons de chaque étape de notre vie et n’ayons pas peur de vivre et de colorer chaque instant et ce, même si la vie paraît parfois surréaliste.
Le seul regret qu’on a sur cet album, c’est qu’il perd en électricité statique. On attendait autant de punch et de rage que de coutume. Il n’en reste pas moins un opus de qualité. Cependant, Amyl & The Sniffers est une formation à expérimenter en live. Laissez-les pimenter votre vie. On se donne rendez-vous sur la tournée de Cartoon Darkness.