Au détour d’une aire d’autoroute, entre Lille et Orléans, il n’est pas impossible de croiser Romuald et Mathieu, alias Angle Mort et Clignotant, en train de danser autour de leur caisse. Les baffles sorties, de la musique techno à fond, on est allé rencontrer deux amoureux de la conduite, de musique populaire et de raves pour parler de leur dernier EP, Toujours Ouvert.
La Face B : La première chose qui m’a interpellé quand je vous ai découvert, c’est le nom du groupe : est-ce que « Angle Mort et Clignotant » ce sont vos noms de rappeurs ou c’est le nom du concept du groupe ?
Clignotant : Romuald c’est Angle Mort, moi Mathieu je suis Clignotant. On s’est jamais caché derrière ces pseudos mais ce nom de groupe est super drôle. On s’est dit qu’il fallait absolument l’utiliser.
LFB : Vous étiez dans un précédent groupe ensemble à la base, c’est venu quand et comment ce nouveau duo ?
C : Angle Mort et Clignotant, c’est la deuxième formation qu’on a ensemble Romu et moi, avant on avait un quatuor avec une chanteuse et un vidéaste en live. Mais dans un premier groupe, il y a toujours un moment où ça s’essouffle. Nous on remarquait qu’on était déjà un tandem fort de composition, du coup on a commencé à créer ce duo comme un exutoire fun, pour faire toutes les choses simples impossibles à faire dans un groupe un peu plus intello.
LFB : D’où vous vient cette esthétique autour de la conduite ?
Angle Mort : C’est beaucoup d’amour et de tendresse pour l’automobile, qu’elle soit la plus perfectionnée au monde ou la plus pourrie, bien que la plus pourrie nous inspire plus (rires). C’est une source presque intarissable, même si toutes nos chansons ne portent pas là-dessus. Avoir un thème, ça donne directement une direction, ça facilite les choses.
C : Ça nous est venu au fur et à mesure de longues conduites, pendant les tournées du groupe précédent. On aime beaucoup conduire, au-delà de l’univers de la bagnole, il y a l’univers de la route, ça évoque le voyage, c’est complètement différent que de prendre un train ou un avion.
LFB : Au vu des influences techno belge, gabber, hardcore, dans quels genres de lieux vous sortiez avant le COVID ?
C : On est pas des si gros clubbers en fait, par contre, tu nous mets dedans tu nous retrouve pas avant 13h le lendemain, on adore danser, on adore la musique qui tape. On aime autant les boites de nuits pourries de province où on danse sur du Patrick Sébastien que des clubs assez pointus house, deep house, etc… Même un festival gabber au fin fond de la Hollande on y va, c’est juste qu’on a pas des habitudes de sorties de fou.
AM : On est très musiques actuelles en fait, Mathieu il est plus dans l’univers gabber que moi, il fait partie d’un groupe de danse.
C : Oui je fais partie d’un collectif de jumpstyle à Lille, par contre c’est pas exactement du gabber, j’ai appris la différence.
LFB : Ah éclaire-moi alors ! Je n’arrive toujours pas à faire la différence…
C : Le jumpstyle c’est de la danse sur du hardstyle, donc environ 150 BPM, ça ressemble assez à ce qu’on injecte dans nos chansons. Pour le gabber, la danse est différente, c’est du hakken. C’est une danse où tu reprends tes mouvements vers toi, c’est très populaire autant chez les flamands qu’en Russie par exemple.
LFB : Vous êtes d’où d’ailleurs ?
C : Moi j’habite à Roubaix, mais je suis grenoblois.
AM : Moi j’habite à Orléans.
LFB : En parlant de Roubaix, votre pochette a été shootée là-bas. En plus de ça, si on prend en compte votre esthétique presque tunning et des titres comme « Jean-Paul Roove », on se demande si vous avez un affect particulier avec le Nord, c’est le cas ?
C : Moi j’y habite depuis trois ans, c’est une région que j’adore. En vrai, tout notre réseau est encore actuellement à Orléans mais c’est clair qu’il y a un truc avec cette région. Le Nord un peu rugueux, ça nous fascine, c’est un pan de la culture populaire française.
LFB : On sent que vous mettez tous les curseurs à fond quand vous composez, vous pensez beaucoup au live en faisant votre musique ?
AM : On y pense sans y penser… Dans le squelette de la chanson pas vraiment, quand on travaille sur la structure ça peut venir assez inconsciemment. On pense surtout aux gens qui vont écouter en se disant « c’est quoi le gimmick ? », qu’est-ce qui fait que les gens vont accrocher et pouvoir chanter hyper rapidement.
C : On pense très vite à la réception que va en avoir le public. Un de nos challenges c’est que, quand une chanson commence, le temps qu’elle finisse tu chantes le dernier refrain. Par exemple, Le jeu du piment, au début tu comprends pas trop, au fur et à mesure tu captes le refrain et à la fin tu finis par chanter.
AM : C’est comme la publicité, en un minimum de temps, il faut être le plus percutant possible.
LFB : Vous diriez que vous êtes minimaliste dans votre approche ?
C : Dans notre process oui, on a tendance à se limiter au maximum et ne pas rajouter des couches et encore des couches, ça apporte en clarté.
Quel est le processus créatif justement ? Qui s’occupe de quoi ?
C : On fait vraiment tout en tandem, on a quelques spécificités mais pratiquement les mêmes compétences chacun.
LFB : Dans Karaoké, vous faites référence à Marc Lavoine, Indochine et Jul. Je n’ai pas envie de vous demander de quel genre de musique vous vous revendiquez mais plutôt qu’est ce que vous écoutez au quotidien pour pouvoir placer trois références aussi différentes successivement ?
AM : Bah ceux-là. A partir du moment où c’est populaire et mélodique, ça peut nous inspirer.
C : Je pense que Romu a une très grande culture de la variété française et de la pop de toutes les époques, plus que moi. C’est un tueur au blindtest, il a une culture qui n’est pas du tout snob. Il n’écoute pas non plus les mauvaises chansons de Polnareff, mais il connaît toutes ses bonnes chansons. Moi j’écoute beaucoup de rap français actuel. On a pas des goûts de snobs en gros, on est à la recherche de la qualité et du tube, donc on balaye très large.
LFB : Vous n’essayez pas d’avoir une notion de bon ou de mauvais goût en gros, tout ce qui est efficace est bon à prendre.
C : C’est pas mal de considérer qu’on essaye de réévaluer ce qui est de bon ou de mauvais goût.
AM : On essaye aussi d’évoquer ce qui touche à l’enfance. Toi peut-être que tu vas trouver un truc ringard et beauf mais ça va parler à un autre parce qu’il accompagnait ses parents dans les bals et que ça l’a marqué.
LFB : D’ailleurs, si on revient sur Jul, même si vous n’avez pas grand-chose à voir musicalement, il y a quand même cette volonté de mélanger électro et rap.
C : Oui c’est vrai en plus, il met des kicks sur tous les temps, il fait de la techno. S’il y en a bien un qui n’a pas de limites de genres c’est lui.
AM : Il parle souvent de Dalida et tout en plus, il aime la variétoche ça se voit.
LFB : Sur Petit Bac, on vous a vu collaborer avec Martin de Salut c’est cool, comment la connexion s’est faite ? Vos musiques semblent se répondre.
AM : Salut c’est cool avaient une radio sur leur site, et ils nous avaient demandé d’envoyer des sons à nous, il y a longtemps. Un jour je les ai rencontré à un festival qui s’appelle les Rockomotives, à Vendôme, ça s’est bien passé tout simplement. On a fait ce morceau de A à Z avec lui et Marie Klock, qui est aussi une super artiste. C’était top comme rencontre.
C : On a fait une grande partie du boulot en visio d’ailleurs, parce que c’était pendant le confinement mais on ne pouvait pas se permettre de prendre du retard. Moi je partageais mon écran et on avançait la prod et le texte. Finalement on est allé en studio et tout est allé très vite.
LFB : La question du coup, c’est : est-ce que c’était une vraie partie de petit bac ?
AM : Non (rires). Je pense d’ailleurs que c’est un des morceaux où il y a eu le plus de versions. Il y a eu beaucoup de taf, ça ne se voit peut-être pas trop. Un jeu de société sur un beat, c’était pas si évident.
LFB : Pour élargir sur vos collaborations passées, j’ai vu que vous aviez collaboré avec Cadillac, vous aviez d’ailleurs cité Stupeflip comme une de vos influences dans une autre interview. C’est génial de pouvoir croiser en studio des gens qui vous inspirent, comment vous aviez fait ?
C : Pour Cadillac c’était encore plus direct parce qu’on a fait entre 5 et 10 de ses premières parties. On avait des étoiles dans les yeux, on est fans, en plus il est sympa et ses concerts étaient trop bien. Un jour au petit déj’ de l’hôtel, j’ai lancé le sujet… Alors que c’était pas gagné !
LFB : Oui, ils ont la réputation d’être assez insaisissables, comme King Ju par exemple…
C : Ah bah King Ju, si tu veux l’avoir tu peux te brosser je pense ! Mais Cadillac il suffisait de lui demander. Après, c’est quelqu’un qui se décourage très facilement. En face de toi, il va te dire « oui » mais par la suite c’est un sacré travail de le garder impliqué. C’est quelqu’un d’à la fois assez défaitiste mais aussi très perfectionniste.
LFB : Vous avez aussi un collectif qui s’appelle Fauchage Collection, vous pouvez nous en parler ?
C : Oui, c’est un label qui a été monté par Léa ‘MKL’ Miquel qui, elle, vient de Fauchage Collectif, il y a deux entités. Collectif c’est une équipe qui fait des concerts sur Paris, on les a rencontré, notamment l’un des groupes principaux du projet qui s’appelle Princesse Näpalm. On a joué avec eux à l’Espace B, ça s’est super bien passé. Ils nous ont proposé de nous accompagner d’abord avec du booking. Le chanteur de Princesse Näpalm, Léo, qui a aussi un projet solo qui s’appelle LN-VR, nous a proposé de trouver des dates. Léa a finalement décidé de monter son label à Tours, Fauchage Collection, du coup, on est sa première sortie discographique.
LFB : Pour conclure sur votre EP qui s’appelle « Toujours ouvert » et qui comporte beaucoup de références au monde de la nuit, quel est le message que vous souhaitez faire passer par rapport à la fête, surtout dans le contexte actuel ?
C : Le titre n’a pas de rapport avec le confinement, on avait choisi ça avant mais ça nous intéresse que le projet prenne une toute autre posture maintenant. Fais la fête, par exemple, a un tout autre sens désormais, c’est dingue. En tous cas cet EP est une déclaration d’amour à la fête, à la joie mais pas du tout en contresens avec la situation actuelle.
LFB : Dernière question et pas des moindres : quelle est selon vous la meilleure première caisse à avoir quand on vient d’obtenir le permis ?
AM : Une Fiat Panda je pense.
C : Ouais une Panda c’est pas mal…
AM : Ma sœur elle a une Fiat Panda mec c’est ouf !
C : Moi tu sais très bien ce que je vais dire Romuald, une Renault Express. Tu prends un modèle diesel il est increvable, bon tu peux prendre un Citroën C15 aussi mais t’auras aucune allure. Bref, dedans tu mets tout ce que tu veux, tes cinq copains et tes bagages. Imagine t’as le permis au mois de mai, tu pars pour les grandes vacances en road trip en Croatie et tu dors dans ta bagnole.
AM : Quelle vie…
C : Enfin là on parle d’être jeune, moi si je vais en Croatie il me faut une chambre d’hôte et tout, je suis un vieux moi, un boomer (rires). Enfin bref, moi j’avais acheté ma Renault Express six mois avant d’avoir le permis, je pouvais pas conduire mais j’avais ma caisse. Sinon une Clio c’est bien aussi… C’est la voiture que tu récupères de tes parents ça.
AM : Quelle génération ? Les Clio 1 ?
C : Ah non pas les Clio 1, tu peux plus là. Il faut au moins une 3.
AM : Je sais pas combien ça coûte aujourd’hui…
C : Il y a plein de bagnoles à récupérer en fait… En vrai, la première bagnole, c’est important.
AM : Il faut pas qu’elle soit si pourrie que ça parce que t’es jeune conducteur, t’as pas d’expérience, il faut qu’elle soit secure.
Merci les gars, c’est sur cette magnifique question philosophique que se termine cette interview !