Awir Leon fait parti pour nous de ces êtres métamorphes, ceux qui se transforment en permanence, qui avancent contre les courants et les tempêtes, s’y adapte et les domptes. Preuve en est, Man Zoo, album intime et atmosphérique, s’est offert plusieurs vies, entre premier offrande, réinvention organique et réinterprétation à travers des remixes, ce second album prouvait la volonté du bonhomme de n’être jamais là où on l’attend, mais plutôt de nous entrainer dans les zones où il accepte de nous rencontrer. Alors qu’il vient de commencer une tournée en premier partie de Woodkid, tout en joignant son groupe scénique, Awir Leon nous donne un rendez vous surprise avec Anthem Grey. Un nouveau morceau, un nouveau chapitre, une nouvelle voi(e)x pour l’artiste nordiste.
L’important c’est pas la chute. L’important ce n’est pas non plus l’atterrissage. L’important c’est le geste, c’est l’envolé. C’est de se dire qu’on doit y aller, peut importe qu’on se casse la gueule, qu’on finisse par être incompris ou rejeté. Parce qu’au pire, qu’est ce qu’on risque ? De se relever et de repartir, mais jamais vraiment seul. Parce que même si on se troue, même si on se prend un mur, il y aura toujours des gens pour capter le message et pour suivre le mouvement, pour voir entre les lignes. Et c’est ainsi que se construit une armée.
On le dit comme on le pense, Man Zoo de Awir Leon n’aura pas eu une réception à la hauteur de ce qu’il était. C’est sans doute avec beaucoup de partialité qu’on vous raconte ça (mais en même temps, un avis sur l’art peut-il se permettre d’être impartial ?) tant cet album aura touché, et touche encore, quelque chose d’important dans un coin intime de nos personnes. L’album nous aura permis, tout comme à son auteur sans doute, de sortir la tête de l’eau dans une période assez sombre. On a utilisé la musique de François comme une bouée de sauvetage et elle nous aura aussi pas mal accompagné pendant la période de pandémie.
Cette foutue pandémie, la voilà qui débarque à nouveau tiens. Mais c’est un élément qu’on ne pourrait occulter ici, car ceux qui le connaissent un peu savent que la musique de Awir Leon est perméable aux éléments, aux aventures et aux conflits. Alors quand on a mis le son au maximum pour découvrir Anthem Grey, on n’a pas pu s’empêcher de penser à ces deux années qui séparent ce nouveau chapitre de l’ancien.
Déjà il y a ce titre, qui nous aura quand même bien fait rire. Imaginer Awir Leon dans une zone grise nous semblait impossible, alors le voir lui dédier un hymne… Il n’en sera rien forcément. Si ce morceau est bien un étendard derrière lequel se positionner, c’est plutôt celui d’un monde en couleur, d’un monde où notre radicalité serait enfin acceptée et autorisée. Sortir du gris pour embrasser le reste, marcher encore et encore pour défendre nos vérités, nos histoires et nos profondeurs.
À une époque où globalement tout se barre en couilles, il n’est plus question de se cacher. C’est ici la première transformation d’Awir Leon : si la poésie est toujours présente, elle se fait plus directe, plus évidente et surtout, collective. On sent dans ce morceau le besoin d’exprimer et surtout d’entrainer les autres à le faire avec lui. La thématique est aussi claire que lumineuse, elle ne cherche plus à avancer cacher derrière des métaphores.
Surtout, elle se joue au pluriel. Si les pensées d’Awir touchent à son intime, sur Anthem Grey elles partent à la recherche de l’autre. Preuve en est avec ce « we don’t want grey » répété à l’envie et qui nous invite à nous questionner nous aussi : Avons nous encore envie du gris ? Honnêtement pas vraiment.
La seconde transformation, la plus évidente finalement car celle qui nous atteint en premier : la composition. Anthem Grey est un morceau direct et enivrant. Il s’attaque directement au corps pour ensuite percer le cœur. On savait la volonté dansante de la musique d’Awir Leon bien existante, apparaissant ici et là par touche dans sa discographie. Ici, comme un besoin primaire, la mue se fait de manière totalement organique.
Si certaines de ses productions demandaient auparavant une véritable concentration, ce morceau se joue plus à l’épure. Quelque chose d’immédiatement évident et puissant et qui délivre au fur et à mesure toutes ses nuances. Ce qui est drôle, c’est qu’une nouvelle fois, le fond et la forme sont en corrélation chez Awir Leon. On se retrouve ainsi face à un morceau presque guerrier par moment, porté par cette force qui n’a qu’une envie : soulever les foules.
Pour accompagner cette révolution douce, il fallait un clip à la hauteur des événements. C’est tout naturellement qu’Awir Leon s’est donc rapproché de l’excellent Neels Castillon pour donner un écho visuel à son Anthem Grey. Le réalisateur a pris l’âme du morceau pour l’interpréter à sa manière. On sent ici, au service de la musique, toutes les caractéristiques propres à son cinéma : des couleurs tranchées, des images aux teintes presque irréelles et une envie prenante, qu’il partage avec le musicien, de mettre les corps en mouvement. Toute la force poétique du morceau est mis en exergue à travers ses corps qui reprennent le combat, qui se réapproprient l’espace et s’échappent d’un quotidien qui avait bien trop serré ses chaines autour de nous.
Dans cet espace hors du temps, une étrange procession se déroule donc autour de ce gouffre magique. Un culte ? Un rêve ? Nous ne le savons pas trop, toujours est-il que ces hommes et femmes cherchent la libération, l’élévation et fuir plus que tout cette zone grise qui nous oppresse. Alors, ils se lancent, et se jettent dans ce gouffre étrange qui semble cacher bien des secrets.
Car comme on l’a déjà dit plus haut, l’important, ce n’est pas la chute, c’est le geste.