Antoine Assayas et la chambre des échos : l’invitation au voyage

Du djing au road-trip jusqu’à son studio d’enregistrement où Antoine démêle son obsession pour le field recording, le bel objet musical Room of Echoes se fait chambre de résonance d’une vie tissée au gré de mille lieux et d’autant d’époques – et agit comme une invitation au voyage, dans le temps et l’espace. Rencontre avec l’auteur de cet opus-ovni dans lequel se plonger d’urgence…

La Face B : Quel a été ton parcours de musicien ? 

Antoine Assayas : Mes premiers pas en tant que musicien, c’était la découverte de la batterie à l’âge de 13 ans, des covers de groupes de funk, de groove, de rock psyché – et évidemment de Nirvana et des Smashing Pumpkins ! Puis j’ai eu mon premier groupe de compo… avec mon père ! Il s’appelait Grateful Dad et c’était un moyen pour lui et moi de nous rapprocher dans une période assez tumultueuse. Par la suite, je me suis vraiment concentrée sur la musique électronique, à partir de l’âge de 23 ans, quand des amis à moi se sont lancés dans la techno. J’ai découvert Ableton, en autodidacte.

Le véritable déclencheur, ça a été ce voyage au Vietnam : j’ai découvert qu’il y avait un monde sous mes pieds qu’il m’était nécessaire d’explorer.

La Face B : Comment est né le projet Room of echoes ? Comment as-tu eu l’idée d’y incorporer ces passages issus de collectes et de field recording ? Était-ce un projet structuré en amont ou s’est-il construit en sérendipité ?

Antoine Assayas : La découverte du field recording correspond à ce moment clef où je suis arrivé au Vietnam, où j’ai aussi exploré l’Inde, la Birmanie… Le premier album a été le fruit de ces recherches sonores et de ces textures superposées qui étaient un peu plus expérimentales.

Room of echoes quant à lui est né de la découverte de vinyles enregistrés dans les années 70, à Bali, auprès des Touaregs, en Amérique du Sud, en Amazonie…

C’était des ethnologues qui collectaient ce sons, en réalité. J’ai eu la chance, par ma grand-mère, de tomber sur une collection de vinyles, qu’elle avait reçu elle en tant que collaboratrice de Radio France. En tant que producteur, c’était absolument formidable car chaque morceau constituait une piste séparée d’instruments ! On entendait par exemple de la musique des Touaregs du désert, des instruments des griots du Niger… C’était de la matière à sampler parfaite : c’est ce que j’ai fait, j’ai tout mis sur une clef USB et j’ai ensuite commencé à écouter ces sons, à trouver des séquences qui me parlaient plus que d’autres et j’ai marié à ces séquences des synthétiseurs analogiques, mélangeant des sons d’ailleurs et d’autrefois à des sons électro modernes aux reflets pop-psyché.

La Face B : De qui t’es-tu entouré pour cet EP ?

Antoine Assayas : Je suis très accompagné par Antoine Dabrowski, que j’ai rencontré en avril 2021 – enfin, on s’était effleurés en 2019, puisqu’il avait passé sur Tsugi Radio mon premier album ! Depuis un an, on taffe beaucoup ensemble et ça a changé ma manière de travailler. Il y a aussi Gwen Chapelain, mon attachée de presse à l’origine de notre présent échange ! Et enfin, je suis entouré de musiciens que j’ai rencontré aux quatre coins du monde. Sans oublier mon père, de façon ponctuelle, et qui s’est retrouvé auteur d’un morceau de l’album qui devait à la base être instrumental !

La Face B : Quel est le récit dessiné par cet EP ? Conte maléfique ou magique ? 

Je n’associerai pas ma musique à quelque chose de maléfique, elle a peut-être des formes un peu noires, un peu sombres, parce que j’ai tendance à aimer les mélodies légèrement dissonantes, les accords assez mineurs et parfois tristes, mais j’ai l’impression que j’ai fait cet EP avec tellement d’enthousiasme et de joie que je ne peux pas y projeter quelque chose de négatif.

La Face B : De quelle façon le voyage a-t-il influencé ta musique ?

Antoine Assayas : Je pense qu’on ne s’attend jamais à ce qu’on va voir dans le voyage. Dans mon cas, ça a été un bousculement, une sorte de reset personnel, comme si j’avais ôté mon ancienne peau et qu’il s’agissait désormais de trouver une nouvelle vie. Ce sont les sons qui m’ont entouré qui m’ont appelé : j’étais en train de me balader – il se trouve que j’avais un micro sur moi à ce moment-là – et j’ai été comme happé par des gammes, des métriques si différentes de ce que je connaissais. C’est quelque chose qui m’a donné envie de tout connaître et de tout enregistrer.

Je suis devenu comme fou à ce moment-là : j’enregistrais des animaux avec des grelots, des gens qui parlaient – pour leur phrasé -, des poèmes chantés à la va-vite par un moniteur de colonie de vacances dans le train entre Bombay et Delhi… C’était obsessionnel, presque de l’ordre de la névrose : je voulais absorber tout ce que j’entendais et j’avais l’impression que je devais garder trace de tout.

En rentrant, j’ai dû me nourrir une seule fois par jour pendant un mois, je ne sortais plus de mon studio, je triais, je triais, je triais : « cortège de chèvres à Pushkar », « poèmes du train au Rajasthan », « chorale de femmes au Kerala »… J’avais l’impression d’avoir de l’or entre les mains et d’être le seul à le savoir.

La Face B : « I want my key back out of this world » : besoin d’évasion ou nécessité de s’ancrer quelque part ? 

Antoine Assayas : Alors, celui-ci, c’est un texte de Michka mais qui fait écho à mes autres morceaux : il y a une narration qui se dessine sur l’album, sous forme de poésie un peu abstraite – même si les paroles ne sont pas le point de départ de mes morceaux. « My key back », ça me parlait bien, ça faisait écho à ma musique qui évoque parfois le rêve, l’enfermement… Il y a une dimension comique aussi : j’imaginais mon père crier ça en arrivant sur scène, et moi de lui demander : mais quoi, mais pour aller où, où est-ce que tu es bloqué ?!

La Face B : Quelles sont tes influences ?

Antoine Assayas : J’ai eu une grosse période où je sortais au Rex club, j’ai adoré Extrawelt, James Holden, Darius… J’ai été très marqué dans ce qu’il y avait de mélodique dans la musique électronique, et ça a été un vrai problème, car j’ai réalisé en étant DJ qu’il ne fallait pas passer ces morceaux-là. Aujourd’hui j’écoute d’avantage des groupes avec des textures un peu étrange mais qui marient à ça des intentions un peu plus pop. Et moi c’est ce que je veux réussir à faire ! Par exemple, j’adore le groupe Suuns.

La Face B : Quelle relation entretiens-tu avec la mise en images de ta musique ? C’est important pour toi ? 

Antoine Assayas : Totalement. J’ai eu la chance folle de rencontrer Valentin Duciel ! Quand on a commencé à travailler ensemble, nos deux univers se sont ajustés et le résultat est super. Il a tourné deux clips pour moi, dont un au Mont Ventoux au 16 millimètres ! Sur les clips, il a tout fait : le synopsis, la mise en scène, les costumes… il a même étalonné. C’est quelqu’un qui a vraiment une vision – et l’un des avantages de travailler avec Valentin, c’est qu’il réussit à casser le côté trop maîtrisé qu’a parfois ma musique.

La Face B : Quels sont tes projets pour 2022 ?

Antoine Assayas : Alors, déjà le concert de ce soir à la Dame de Canton ! Venez ! (rires) Je suis dans le Top 100 Pernod Ricard et lauréat du BPM Contest, je suis aussi lauréat de l’appel à la résidence Groover au Château éphémère donc beaucoup de choses se dessinent, dont une tournée en Allemagne ! L’idée c’est de maintenant vraiment rôder sur scène le live à trois, avec Alexis Cartus aux claviers et le batteur William Picard, pour me laisser le champ libre en terme d’incarnation. Je cherche aussi un tourneur !

La Face B : Un message à faire passer, pour terminer ?

Antoine Assayas : Oui, on a parlé de ma grand-mère… C’est grâce à elle que j’ai découvert ces vinyles et je voulais vraiment lui dédier cet EP. Elle s’appelait Jeannie Tisseron – je l’appelais Mamicha mais t’es pas forcé de l’écrire (sourire).