Apollo Noir « J’aime bien que l’art ne soit pas un truc trop élitiste, mais accessible. »

Il y a quelques jours, Apollo Noir nous présentait son 3e album Weapons. À cette occasion, nous avons décidé de rencontrer l’homme qui se cache derrière cet univers moderne et déjanté : le musicien et producteur Rémi Sauzedde.

La Face B : Comment ça va ?

Apollo Noir : J’allais dire « j’ai honte de dire ça », mais ouais ça va bien. Personnellement c’est une bonne période; après à une échelle plus globale, il y a des choses qui me font dire que ça va pas très bien. Pour ma part, ma famille, tout le monde va bien, donc c’est l’essentiel.

LFB : Tu as sorti ton 3e album Weapons le 27 novembre. Est-ce que tu peux nous raconter un peu la genèse ?

AN : J’ai ce projet Apollo Noir, et à côté de ça, je fais pas mal de mix et de prod pour d’autres artistes. J’ai sorti mon dernier album Chaos ID il y a un an. Et toute l’année j’ai fait beaucoup de prod, je n’avais pas beaucoup de temps pour moi. Mais dès que j’avais 5 min, j’essayais de poser des idées. Ce qui fait que j’avais plein de chantiers à droite à gauche, mais je n’avais rien pu regrouper, ou constituer une chanson . En tout cas j’avais plein de matières ! Et au printemps de l’an dernier, un peu avant le confinement, j’ai commencé à prendre un petit peu plus de temps. Et le confinement a accéléré les choses, je suis pas mal resté chez moi, je ne suis pas allé au studio, j’ai bossé un peu à distance avec des artistes… J’ai eu beaucoup plus de temps. Et j’ai pu enfin me replonger dans mes archives, avec toutes les bribes que j’avais constitué à droite à gauche depuis un moment. J’ai pu faire plusieurs titres, et à partir de là ça m’a donné l’impulsion pour terminer le disque et faire 3-4 nouveaux titres. C’est quelque chose qui s’est étalé sur pas mal de temps, la production finale du disque s’est terminée au printemps 2020.

LFB : Ce 3e album est un peu plus varié en terme de sonorités que les 2 précédents qui sont plus homogènes. Est ce que c’est dû au fait qu’il a été écrit sur une longue période ? Ou c’est voulu ?

AN : Je ne pense pas que ce soit un truc qui soit spécialement voulu. J’ai une façon de produire qui est spontanée pour ce que je fais avec Apollo. Je fais les choses, et puis je vois après à quoi ça ressemble, et je me dis  “ouais ça me va » ou « non ça dégage”. Je pense que ça synthétise aussi des envies musicales, et des choses que j’ai écouté pendant cette période là, que j’ai recraché dans ce disque. Aussi bien des trucs plus industriel, drone, rap, dark, que des trucs plus rythmés, plus agressifs avec des guitares etc…

LFB : Des groupes précis qui t’ont inspiré ?

AN : Pas des groupes précis. Mais j’ai commencé la musique en tant que batteur dans des groupes de rock et de hardcore. J’avais 16 ans, aujourd’hui j’en ai 34. Mon ADN c’est vraiment ça, ça vient du hardcore et du punk. Quand j’ai commencé Apollo Noir ça faisait déjà 10 ans que j’étais dans les musiques électroniques. Ce projet, j’ai réussi à le former dans ma tête en synthétisant mes origines musicales qui viennent des musiques lourdes et agressives, rock en général, et des musiques plus électroniques, plus expérimentales. Et c’est ça qui a fait que Apollo Noir a existé, dans ma tête en tout cas. Sur ce dernier album Weapons, je suis allé encore plus loin dans le mariage de ces 2 univers. Pour moi, c’est un peu la même dynamique, ça m’a paru logique de creuser ça plus loin.

LFB : Dans cet album, on trouve pas mal de sentiments assez différents, dont de la colère. Du moins au début de l’album, avec des titres comme Tue Les Tous, Arme de Destruction Massive. Pourquoi cette atmosphère assez violente ?

AN : Encore une fois, c’était assez naturel à faire. Je pense que j’avais un truc à exprimer, et je considère que l’art ça sert à ça. Ça sert à libérer certaines choses. Et pour moi c’est indispensable. Je peux pas m’empêcher de le faire. C’est ce qui est venu tout de suite. J’ai lâché et je me suis dis “ok, ça me va très bien”. Je suis pourtant pas quelqu’un de très agressif du tout, mais c’est ce qui est venu. J’écoutais pas mal un groupe qui s’appelle Daughters, un groupe américain. Et leur dernier album est extrêmement agressif. Je pense que ça m’a un petit peu marqué pendant la production du disque; et j’ai eu envie de proposer quelque chose d’assez radical et brutal. Parce que au fond c’est une partie de moi que je n’ai pas à cacher, et je trouvais que c’était intéressant de la libérer dans la musique.
Après j’écoute des choses beaucoup plus posées, je produis des choses plus douces. Je trouve que le mariage de ces univers est intéressant. Parce que c’est comme ça que je suis, on est tous comme ça avec une part sombre et une autre plus lumineuse. Avec Apollo Noir j’essaye de faire le calme, la paix avec moi même en réunissant tout ça.

LFB : Effectivement à la fin de l’album on retrouve une ambiance un peu plus légère. Si tu devais résumer Weapons en 3 mots ?

AN : Violence, Compréhension, Rédemption.

LFB : On va à présent parler de tes clips, dont le dernier Tue Les Tous qui est assez expérimental. Est-ce que c’est toi qui est à la réalisation ? Si non, à quel point tu es impliqué ?

AN : Ce clip là Tue Les Tous, c’est moi qui l’ai réalisé tout seul. A partir d’une banque d’images. Il y a plusieurs raisons à ça. Ça me paraissait intéressant d’utiliser des images que tout le monde puisse aussi utiliser. Quelque chose qui soit assez accessible. J’aime bien que l’art soit pas un truc trop élitiste, mais accessible en général. Ça m’a paru logique de m’orienter vers des images comme ça; plutôt que d’essayer d’obtenir des subventions, et d’avoir une énorme équipe, faire un clip à 10k, 20k euros… Donc je me suis lancé dans cette aventure à recueillir des images d’archives. Et des images hyper violentes, en tout cas les plus violentes que je pouvais trouver sur ce site d’archives. Parce que j’avais envie de cette imagerie un peu métal, heavy metal, trash; tu vois où ça déglingue et ça dézingue dans tous les sens. Mais en détournant ça, pas en étant dans le premier degré. En ayant conscience que c’est mal la violence (rires). Et c’est pour ça que dans le clip j’ai inclus quelques pastilles typographiques, où je dis “j’espère que ma mère ne va pas voir ça”, où “je rêve d’amour” “je rêve de paix”, des choses comme ça parce que c’est vrai. Et c’est tout ces antagonismes qui me plaisent à présenter. C’était vraiment super agréable de faire ce clip. Je l’ai fait comme si je faisais un morceau de musique. Le montage est hyper calé sur la musique. Je crois que j’étais le seul à pouvoir faire ça. Sinon j’aurais été sur le dos d’un monteur en permanence à lui dire “nan faut que tu mettes à telle seconde”, ça aurait été insupportable. Et les clips que j’ai fait par le passé, il y en a certains que j’ai fait en collaboration avec un ami qui s’appelle Serguei Spoutnik. Un autre qui est sorti plus récemment en collaboration avec Thomas Pons; une personne avec qui je vais collaborer sur des performances et des expositions pour 2021/22.

LFB : Ce clip Tue les Tous, ça t’est également venu de manière spontanée, comme pour l’album, sans vraiment d’influence derrière ?

AN : Non pas du tout, là c’est vraiment pour moi un hommage à la culture trash métal des années 80/90, un truc qui m’a marqué. Maintenant que je suis adulte, j’avais envie de faire un petit hommage à tout ça. Et dans les musiques électroniques, on est plutôt dans des images souvent abstraites, avec des formes géométriques, des choses comme ça. Enfin pas tout le temps mais il y a quand même un gros truc autour de ça, avec une imagerie un peu futuriste. Et en fait c’est pas forcément ma culture même si j’adore ça. Ma culture est là, avec ces images. 

LFB : On a l’impression que tu as quelque chose avec la typographie. Que ce soit entre la fin du clip Tue les tous ou encore Twist Of Men.

AN : J’ai un peu une obsession avec les typographies en général. C’est vraiment un truc que j’adore. J’ai plein de banques de typos dans mon ordi. Et parfois j’en mélange certaines pour en fabriquer et tout ça… Ouais c’est un truc qui me passionne. Et au delà de l’aspect esthétique d’une typographie, je trouve que ça embarque aussi et peut véhiculer certaines choses. Par exemple une typo hyper bâton, simple, droite, va te faire penser à un truc plus corporate, plus manuscrit, littéraire; et il y a des typos qui vont te faire penser à des choses plus métal, magique. Je trouve que ça embarque des valeurs la typo. Avec le texte que tu écris, ça véhicule le message principal. J’aime bien ce jeu, pluridimensionnel, je sais pas comment on pourrait dire. Je trouve que dans ma musique c’est important, vu qu’il n’y a quasiment pas de paroles, ça me permet aussi de communiquer certaines idées. 

LFB : En plus des typographies, tu collectionnes également les instruments. On en voit sans cesse sur tes réseaux. Ces nouvelles acquisitions c’est pour un nouveau projet ?

AN : Ça c’est constant. Quand je suis arrivé à Paris, il y a 13 ans un truc comme ça, je pouvais plus faire de batterie dans mon petit studio, et c’est comme ça que je me suis mis à la musique électronique. Pas par défaut; mais je savais que d’un point de vue sonique ça pouvait m’offrir aussi de nouvelles perspectives par rapport aux instruments acoustiques. Et c’est comme ça que j’ai acheté mes premiers synthétiseurs. Ça fait 13 ans que j’achète, je revends, je fais mes petites affaires et arrive à avoir un flux constant de nouvelles machines. Et pour moi c’est super inspirant; à chaque fois que j’ai une nouvelle machine, ça me permet d’aller plus loin dans des explorations sonores. Et c’est hyper important. Ça peut être des synthés, mais ça peut être aussi un ordi, un logiciel, une guitare, un micro dans un espace… Je peux pas me cantonner à un seul outil, juste avec mon ordinateur. Comme tu dis on me voit souvent avec de nouvelles machines sur les réseaux sociaux, mais en fait c’est ça tout le temps (rires).

LFB : Tu as un chouchou parmi tous ces instruments ?

AN : Ouais j’ai mon chouchou depuis super longtemps, c’est le Jupiter 8. C’est un synthé polyphonique qui date du début des années 80. Je l’ai depuis 5-6 ans, et je m’en sers toujours autant, tous les jours. Je ne peux pas m’en passer. 

LFB : Tu l’as un peu évoqué au début de l’interview, tu n’es pas que musicien mais également à la tête d’un label : Santé Records. Est-ce que tu peux nous en parler un peu ?

AN : Ouais carrément ! Déjà pour moi les labels ont toujours été un truc super important. Ça participe vraiment à la mythologie de la musique. Il y a autant de labels qui ont marqué ma vie que des artistes je pense. Des trucs comme Dischord, un label de punk indépendant, Warp dans les musiques électroniques, et pleins d’autres petits labels que je suis. A tel point qu’il y a des labels dont j’achète les disques sans connaître les artistes, parce que je sais que la ligne directrice est toujours parfaite. A chaque fois je suis surpris, je suis content, et je découvre un artiste grâce à ce label. Ça fait des années que je suis comme ça. Et ça faisait un petit moment que je me disais que j’aimerais bien faire mon label un jour. Mais ça reste un truc un peu fantasmé, c’est compliqué à faire, il y a trop d’administratifs, on gagne plus d’argent avec de la musique etc… J’ai retourné la question dans tous les sens dans ma tête, et j’arrivais pas trop à savoir comment me lancer.


Et puis il y a 2 ans j’ai rencontré Botine, aka Clément Vidamant, un artiste. Et on s’’est super bien entendu, déjà humainement, en terme de savoir vivre etc… et par rapport à la musique et notre vision de la musique. Alors là on s’est dit “bon ben faut qu’on monte un label”, mais on savait pas trop comment faire, et ça restait dans un coin de notre tête. Et puis j’ai cet excellent ami dont je te parlais, Serguei Spoutnik, avec qui j’avais travaillé pour faire des clips. Il a un groupe qui s’appelle Quadrupède; et ils avaient déjà sorti un premier disque sur un label belge qui s’appelle Black Basset. Et il y a 2 ans, il commençait à m’envoyer des nouvelles démos du prochain album, et c’était complètement zinzin, un truc de fou. Ils finissent le disque, et envoient à leur label. Ce dernier met 3 mois à leur répondre qu’il n’aime pas et ne comprend pas le disque. Alors là j’envoie ce truc à mon pote Botine et il me dit “c’est quoi ce truc de dingue ?”. Je lui explique et il me propose de sortir leur disque. Tout est parti de là. Ça a été le lancement du label, en septembre 2019. Et tout de suite on s’est dit avec Clément qu’il fallait pas qu’on se prenne la tête, avec un truc lourd administrativement, des histoires de tunes et tout ça. Il fallait qu’on trouve un truc plus simple, proche de nos ADN, et moi dans tout ce que j’ai vécu dans la musique quand j’étais plutôt ado et jeune adulte à travers des labels punk. Des labels avec des gens qui gèrent ça en plus de leur travail, mais qui le font avec le cœur et autant d’énergie qu’ils peuvent. Et donc c’est comme ça qu’on a lancé Santé Record, en se disant que jamais on ferait de demande de subventions, on veut pas se lancer dans un truc où il y a une tonne d’admin à gérer tous les jours. Faut que ça reste simple, fluide. Pas de tune en jeu. Mais par contre on met nos moyens humains et notre temps à disposition des artistes, ainsi que nos réseaux pour aider le truc à grandir. Et donc on a sorti Quadrupède qui est un disque rock experimental, après un disque d’Adrien Pallot qui est un artiste qui fait des musiques ambient. Puis un disque de Peanuts, qui est plus techno industrielle lo-fi, très crade. Pour te dire qu’on passe d’un genre à l’autre sans trop se soucier de si ça va plaire que à des gens qui écoutent du rock, ou autre. On sort vraiment les choses qu’on aime. C’est vraiment ce qui nous paraît le plus important. Et là, il y a l’album de Apollo Noir qui va sortir sur Tigersushi mais aussi sur Santé Records. On va sortir d’autres disques d’ambient, on va sortir un disque avec ma femme qui est plutôt rock. On a sorti une compilation musique acid. Des trucs assez variés quoi.

LFB : C’est quoi la journée type de Rémi Sauzedde du coup ? Tu t’y retrouve ? 

AN : C’est pas facile (rires). Nan c’est trop bien, déjà parce que c’est ce que j’ai choisi. Je me réveille assez tôt, j’emmène ma fille à l’école. Après je fonce au studio en vélo. En général j’arrive vers 9h, donc je bosse pendant 1h ou 2 pour le label. Parce que souvent ça m’arrive de faire les mixes de disques qu’on sort. J’aide un petit peu à produire certaines choses. Parfois je fais un peu la promo aussi : contacter les médias, uploader les titres sur les plateformes, ce genre de trucs. Et après, vers 10h30/11h il y a un artiste qui arrive avec qui je bosse. On se fait une journée de prod ou de mix ensemble. Le soir je rentre chez moi, petite vie de famille. Et puis vers 20h30 je me remets à bosser sur Apollo Noir le soir. Je tente de regarder un film après, un bouquin, en général je ne m’endors pas très tard.

LFB : C’est quoi le futur d’Apollo Noir en dehors de Weapons ? Tu es déjà sur d’autres projets ?

AN : Ouais absolument. Je suis dans une bonne dynamique avec ce projet. C’est vraiment un terrain de jeu que je fais à côté du reste, j’en ai besoin pour m’exprimer, c’est un peu mon petit bol d’air quoi. Je t’en ai vaguement parlé tout à l’heure mais on a sorti un clip avec Thomas Pons en septembre qui s’appelle Unrelated To God. Et ce clip c’est un peu le point de départ pour une collaboration qui va aller plus loin avec cet artiste. On va performer en live musique et dessin. Il va faire du dessin en direct, et aussi aura préparé quelques boucles. Et on va vraiment mélanger ça en live avec une scénographie un peu particulière. On va représenter ça aussi à travers des expositions, et l’édition d’un objet. C’est un truc qui se met doucement en place. On rentre en résidence début 2021. On va en faire plusieurs et on va commencer à présenter un live en septembre / octobre 2021. Il y a encore un petit peu de temps ! Et puis en parallèle de ça, je dois sortir d’autres musiques sur d’autres labels. Voilà j’ai pas mal de trucs de prévu. Malgré le manque de possibilité de faire du live, j’arrive à trouver d’autres formes d’expression.

LFB : Le live ne te manque pas trop ?

AN : C’est sûr que ça manque. L’énergie d’un live c’est super, que les gens soient ensemble, à écouter la même chose au même moment c’est quand même cool. Et puis la puissance du son aussi c’est super important. Derrière un ordi où à la maison c’est pas pareil. Mais c’est vrai qu’on entame des collaborations à distance avec des artistes, on fait des mix avec des radios etc… Il y a pleins d’autres façons de s’exprimer. Il faut savoir utiliser son temps pour faire autre chose quoi.

LFB : Merci beaucoup pour ce temps. Un dernier petit mot pour la fin ?

AN : Merci à vous de prendre le temps de vous intéresser à ce que je fais. Et prenez soin de vous et de votre famille !