Avec Dogue, Ariane Roy nous a offert un second album radical. Un changement fort et impressionnant qui nous entraine vers des territoires nouveaux, aussi bien musicalement que thématiquement. On a eu le plaisir de retrouver l’artiste québécoise pour une longue conversation autour de ce second album, ce qui le compose et ce qui vit autour.

La Face B : Allô Ariane, comment ça va?
Ariane Roy : Ça va très bien, vraiment.
LFB : Comment se passe la sortie de ton album?
Ariane Roy : Ben, full bien. Je suis vraiment contente. On a aussi commencé à… En fait, on a monté le spectacle en début avril, mi-avril, puis on a commencé la tournée au Québec, puis ça se passe vraiment bien. Je suis vraiment contente, soulagée aussi que l’album soit sorti, je pense. J’avais hâte que ça sorte. Qu’il soit bien reçu aussi.
LFB : Tu as énormément tourné pour Medium Plaisir. Ensuite, tu as enchaîné la tournée avec Lou-Adriane (Cassidy ndlr) et Thierry (Larose ndlr) qui a eu beaucoup d’ampleur. Je me demandais à quel moment tu étais lancé dans les idées qui représentaient Dogue et surtout, quelle était la nécessité de te retrouver un peu seule pour travailler ton album?
Ariane Roy : En fait, à la fin même de la tournée de « Medium Plaisir », je commençais déjà à composer pour mon autre album. Sauf que je t’avoue que tout ce que j’ai composé à ce moment-là, je l’ai jeté par la suite parce que je n’étais pas satisfaite de ce que je composais. On dirait que ça ne résonnait pas encore. Puis éventuellement, j’ai trouvé à la fin de la tournée « Le Roy, la Rose et le Loup », pas de la fin d’été, mais fin novembre 2023.
Début 2024, je suis allée à New York avec un de mes amis pour le plaisir vraiment.
Puis on dirait que le fait d’avoir amené la surprise sur mon inspiration et d’essayer de vivre la vie, d’absorber des expériences, ça m’a vraiment fait du bien. Là, je suis revenue et j’ai trouvé ma direction.
J’avais besoin de me retrouver seule parce que je me demandais tellement ce que j’allais prendre comme direction.
Je savais que je voulais changer de direction, changer peut-être même d’équipe, c’est-à-dire de la personne avec qui j’allais travailler, même si avec Dominique Blanc, ça va être extraordinaire de travailler avec lui. Je voulais juste aller ailleurs, tout simplement, pour des nouvelles avenues artistiques. Mais avant de trouver, je me suis dit que je voulais me challenger et sortir de ma zone de confort en étant seule avec moi-même, parce que dans ces moments-là, on n’a pas l’appui d’une autre personne pour nous dire oui ou non.
Il faut vraiment aller sonder un peu nos intuitions et nos élans. Ça fait que ça m’a vraiment fait du bien d’avoir cette période-là d’un à deux, trois mois seule avant de travailler avec Félix Petit.
LFB : Il y a un chose qui est hyper importante avant la musique qui a marqué, une transformation entre les deux albums, c’est les visuels, les photos et le premier clip que tu as dévoilé qui « transformait » déjà un peu le personnage d’Ariane Roy que les gens pouvaient avoir. Je me demandais quelle importance ça avait eu, quelle réflexion était faite dans la création des visuels avant de pouvoir dévoiler la musique aux gens.
Ariane Roy : C’est vrai qu’il y a d’abord eu Si je rampe, qui n’est pas sur l’album finalement. Pour moi, l’univers visuel est vraiment une façon d’écouter la musique qui est importante pour moi. Parce que j’aime ça aussi, découvrir la musique de cette façon-là.
Mais au-delà de ça, je pense qu’on devrait transmettre quelque chose par un univers, par une histoire qu’on raconte dans un clip. C’est comme se permettre de se réapproprier notre chanson d’une autre façon. J’aime vraiment ça.
J’ai un nouvel intérêt aussi pour les films. Je regarde plus de films qu’avant. Le cinéma, c’est quelque chose que j’aime beaucoup.
Et on dirait qu’il y a beaucoup de gens qui ont ce talent-là, qui ont cet œil-là aussi. Et moi, d’être dans un autre personnage, je ne sais pas, pour moi c’est vraiment quelque chose de plaisant. J’ai du plaisir à faire ça.
Je passe beaucoup de temps à me demander, quel va être mon prochain clip, ma prochaine histoire. Je trouve ça vraiment fun d’avoir cet espace-là.


LFB : Il y a quelque chose d’intéressant aussi. Sur la pochette de Medium Plaisir, tu étais scindée en deux. Là, sur la pochette de Dogue, c’est vraiment une image assez forte de toi. Est-ce que c’était une manière de dire que tu étais pleinement toi sur ce projet?
Ariane Roy : J’ai l’impression que c’est l’album le plus moi que j’ai fait.
C’est un album que j’ai envie de faire depuis longtemps. C’est un album que j’ai toujours voulu faire.
Ce n’est pas parce que tous les textes sont nécessairement exactement carrés sur mon existence, parce que c’est pas le cas. Il y a quand même quelques textes qui sont fictifs ou basés sur l’expérience du monde autour de moi. Mais j’ai l’impression que dans la façon de dire les choses, dans la façon de chanter, dans la façon de composer, dans ce que j’ai trouvé musicalement, c’est exactement la personne que je suis en ce moment artistiquement.
Ça m’a fait vraiment du bien d’aller puiser dans cette partie de moi qui existait un peu moins jusqu’à présent. C’est comme si j’ai donné un peu d’espace, une place pour exister. Mais ça m’a fait beaucoup de bien de faire ça.
LFB : J’ai l’impression que c’est peut-être aussi dû au nombre des années. Mais c’est un album plus adulte. Alors peut-être que Medium Plaisir était quelque chose de plus forme d’adolescence.
Ariane Roy : Oui, exact. Medium Plaisir, c’est comme une sortie de l’adolescence à l’âge adulte. Le coming-of-age album que tous les artistes, on dirait, ont.
Je ne sais pas. C’est un peu un classique, c’est un cliché. Mais je l’ai près du cœur, Medium Plaisir.
Vraiment, c’est important pour moi cet album-là. Tandis que Dogue, c’est plus… Je suis à ma fin vingtaine, on dirait que je suis rendue ailleurs. Même s’il y a quelque chose en moi qui a envie d’être un peu plus incisif, d’être un peu plus mordant.
Ça me fait du bien parce que cet album-là, même en ce moment, dans les périodes où je me sens plus vulnérable ou que je me remets plus en question, il m’apprend. J’ai encore des choses à apprendre de cet album-là. C’est bizarre comme lien, mais c’est ça la musique.
C’est quelque chose auquel, même si c’est moi qui l’ai créé, je peux me rattacher.
LFB : Tu le redécouvres.
Ariane Roy : Oui, c’est une entité à part entière.
LFB : L’idée de Dogue, elle représente quoi pour toi? Parce que la façon dont il est écrit, avec le E à la fin, quand tu prends la version anglaise, c’est D-O-G. J’ai l’impression qu’il y a une idée aussi, peut-être pas forcément exprimée clairement, mais de féminiser l’idée du Dogue aussi.
Ariane Roy : Il y a aussi ça, effectivement. En même temps, Dogue aussi, c’est un mot que j’ai découvert en cherchant un peu dans ce champ lexical-là. Parce que Dogue, c’est un mot qui désigne les chiens de grande taille, les chiens plus menaçants.
C’est aussi, entre autres, un qualificatif qu’on va dire pour une personne qui est plus à rien, plus brutale. J’ai découvert ça en cherchant. Mais je trouvais que ça représentait bien, avec humour aussi, le côté vulnérabilité, je veux dire…
Des fois, c’est un peu sombre, ça peut quasiment être agressif, l’album, mais en même temps, des fois, c’est aussi avec beaucoup d’autodérision. Mais c’est le côté chienne, ce côté-là, qui est justement avec moi, qui est là maintenant, je prends la parole. Avec de l’humour, puis avec des fois aussi de la vulnérabilité.
Ça n’empêche pas non plus qu’il y ait des moments plus doux, plus fragiles, mais c’est ce côté-là de moi qui ressort.

LFB : Même tout au long de l’album, cette idée d’appropriation, je trouve, de caractéristiques qui collent souvent de manière positive à un homme et de manière négative à une femme.
Ariane Roy : Le fait de l’affirmation de soi, d’accepter sa part de violence aussi, qui est très présente dans l’album. Exactement. Mais c’est bien dit, en fait, c’est ça. Puis aussi de ne pas tout le temps se justifier, s’excuser, être aussi dans la douceur, faire attention. C’est des très belles qualités, c’est juste que de ne pas constamment être soumis à ça, d’accepter sa part d’ombre puis d’en faire une force, ça devient une forme d’empouvoirment de se l’approprier.
LFB : Oui, il y a beaucoup de prise de pouvoir dans l’album. Il y a deux morceaux qui sont très doux à la fin. Mais je trouve qu’avant, il y a vraiment beaucoup cette idée d’imposer ce que tu es, que ce soit sur tes relations amoureuses, sur l’industrie qui va chercher une vision de toi qui n’existe peut-être pas forcément. Il y a vraiment cette idée de se poser et de dire, je suis là, je suis comme ça.
Ariane Roy : Exactement. Je suis contente et je suis d’accord avec toi. C’est ça.
LFB : J’ai l’impression que c’est un album qui cherche aussi à expulser beaucoup de choses. Que tu as peut-être gardé pendant très longtemps.
Ariane Roy : Oui, exactement. Et même de façon inconsciente.
Je pense que des fois, il y a des choses, comme je te le disais tantôt, il y a de la fiction, mais la fiction, ce qu’on crée et ce qu’on dit, je pense que ça parle d’une façon ou d’une autre de nous. C’est un canal inconscient de choses qu’on capte et qu’on a envie de vomir sur ce papier. Ça fait du bien.
LFB : Oui. Ce qui est marrant, c’est que cette idée-là, elle est dans le texte, mais elle est aussi dans la musique. Elle est aussi dans l’interprétation du texte.
Ariane Roy : Oui, oui. Vraiment. Effectivement. J’ai envie de me permettre un peu plus, justement, des fois, autant que ma voix à être plus feutrée ou plus douce. Il y a des fois que je crie sur l’album. Ça arrive à deux, trois reprises que j’ai juste crié dans le micro.
Mais pour moi, ça faisait partie de cette recherche-là aussi, de voir c’est quoi les timbres de ma voix. Qu’est-ce que je fais naturellement, mais que des fois je n’ose pas montrer. Ce qui sert à la chanson à ce moment-là. La voix, c’est un instrument littéralement.
On le sait, mais ce n’est pas juste pour être tout le temps lisse et aérien. Ça peut avoir plusieurs… Évidemment, ça transmet une émotion. Des fois, c’est ça.
LFB : Je trouve que c’est un grand album d’interprètes, en fait. L’utilisation de la voix. Il y a des moments où tu parles. Il y a des moments où tu chantes. Il y a des moments où tu dis, tu cries. Il y a aussi énormément d’utilisation d’onomatopées, des choses comme ça dans les chœurs, qui donnent plus de texture et qui surélèvent la voix. C’est un album qui est beaucoup pensé sur comment utiliser la voix pour transmettre des émotions un peu variées, en fait.
Ariane Roy : Oui, effectivement. J’ai étudié en chant aussi. Quand je suis sortie de l’école, j’ai mis tous mes apprentissages et mes techniques de côté. On dirait que j’étais en mode, je fais des shows, je ne pensais pas à ça. Je suis revenue à reprendre des cours de chant pour retrouver ça, la technique. On dirait qu’en retrouvant, en ayant un contact avec les capacités, les compétences que j’avais acquis au fil du temps et dans mes années scolaires, j’avais envie aussi de retrouver ce que je peux faire avec ma voix, ce que je suis capable de faire, et aussi d’accent.
Moi, je ne compose jamais mes mélodies en fonction de ce que je suis capable de faire vocalement. Je me rends compte des fois par après, en enregistrant au studio et en me disant que c’est vraiment difficile pour moi de faire ça. Avec la pratique, après, c’est incorrect.
Des fois, c’est surprenant, mais en même temps, ça fait en sorte que je découvre des chemins que je n’aurais pas nécessairement empruntés si j’avais fait attention à ça. Je voulais tout le temps que ce soit facile pour moi.
LFB : C’est marrant parce que ça donne vraiment à l’écoute de l’album, en y réfléchissant, un côté presque schizophrénique, multiple.
Ariane Roy : Je comprends. Il y a un côté que je voulais assez cinématographique. C’est comme si pour moi, c’était de déployer des effets sonores, des ambiances qui sont un peu « spooky », comme on dit, qui sont quasiment halloweenesques.
Mais oui, c’est ça. Du coup, oui, nous utilisons la voix et tu vois, l’idée de mélodie, en fait, dans les sonorités.
LFB : Je trouve que c’est hyper important aussi sur l’album que peu importe la façon dont tu utilises ta voix, il faut que ça suive la mélodie et que ça soit agréable à écouter, même dans les côtés les plus énervés, en fait.
Ariane Roy : C’est ça, je voulais vraiment créer cet effet-là, faire tomber tout l’or.
Je pense aussi que des fois, même, il y a des films qui m’ont inspirée, je me souviens des fois même avec la réalisation, parce que peut-être sûrement les visualizers et les clips de l’album, être une fan de Sofia Coppola, par exemple, ou de Nadia Lee Cohen.
On regardait des courts-métrages, on faisait des références à Virgin Suicides, puis c’est con, mais c’est un peu des univers, des fois, qui inspiraient certains tableaux de l’album, et après les visuels aussi par la suite, mais donc oui, pour moi, il y a quelque chose d’être un peu dans la théâtralité et d’accepter ce côté-là. Oui, c’est ça, exact.
C’est drôle parce que souvent, on m’avait dit, peut-être que ça vient de là inconsciemment, mais sur scène, on voit ton personnage, et moi je ne comprenais pas, je n’étais pas un personnage, c’est moi. Puis je comprenais après que dans le fond, c’est moi mais c’est une partie de moi qui existe sur scène, qui est peut-être moins présente dans la vie, ou peut-être que si tu me connais vraiment bien, tu la vois, mais au final, on a plein de facettes, on a eu des multitudes, puis je veux dire, sur scène, il y a quelque chose qui se déploie autrement,.
Puis dans l’art, puis être un artiste, avoir le privilège de trouver des canaux où ces facettes-là peuvent exister d’une certaine façon, on dirait que justement, d’aller dans cette théâtralité-là, pour moi, c’est comme, ok, c’est de la permission totale, parce que je n’ai aucun compte à rendre à personne, je peux faire ce que je veux, je peux exister de la façon que je veux, dans les limites de… je ne suis pas en train de dire je vais faire un album discriminatoire, évidemment, mais je veux dire, dans moi qui je suis, juste exister.

LFB : Cette idée-là, elle te poursuit un peu musicalement, il y a des chose très baroques, dans le son, même si c’est très électronique, des fois, comme des sonorités de clavecin, des choses un peu, qui rend justement l’album cinématographique aussi dans la musique, et effectivement, comme si chaque morceau était un tableau particulier qui permettait d’avancer jusqu’à la fin.
Ariane Roy : Oui, exactement, je trouve qu’il y a une cohérence un peu narrative, à laquelle je n’ai pas pensé avant de faire toutes les chansons, mais au fur et à mesure, il y a des références aussi intertextuelles de chansons en chansons, même des lignes mélodiques des fois qui reviennent dans certaines tunes. C’est plus que medium plaisir, où c’était quand même des chansons que j’avais accumulées depuis 2-3 ans.
Ben là, je pense que c’est quand même, dans ma tête, Dogue, c’est ce royaume dans lequel on entre et on sort. C’est ça. Pour moi, c’est ça.
LFB : Pour moi, il y a deux morceaux qui cristallisent un peu les intentions de l’album. Il y a I.W.Y.B.et il y a Agneau. Ce sont pour moi deux morceaux, je trouve, qui représentent cette idée de multitude dans l’interprétation, dans la musique, avec des cassures de rythme… la recherche de surprises aussi qui est très présente dans ces morceaux-là.
Ce sont eux morceaux qui ne ressortent pas forcément quand tu écoutes l’album d’une traite, mais c’est deux morceaux qui sont un peu placés de manière à ce qu’ils soient importants dans l’album.
Ariane Roy : Oui, c’est vrai, mais je comprends ce que tu veux dire. Effectivement. La première que j’ai composée, c’est I Want Your Body. Ça t’aide à donner le ton, justement, comme tu disais, au reste de l’album. En même temps, tous mes hommages aussi, pour moi, c’était ça.
Parce que pour moi, tous mes hommages, c’était euphorisant à faire parce que je me prenais pour un genre de super-héros. Je composais la ligne de basse et j’étais comme… Je ne sais pas, il y a quelque chose dans le fait de raconter une histoire, d’être vraiment dans le personnage. À un moment donné, il y a un bout de clavecin et pour moi, c’est un bout super… Il est full d’autodérision. C’est beaucoup d’humour dans ce bout-là, mais pour des gens, c’est super émotif. Après, on le reçoit comme on veut, mais c’était satisfaisant à faire pour moi. C’est des ruptures de ton, en fait, comme tu disais.
J’aime beaucoup ça. Mais en tant qu’auditrice, quand j’écoute la musique, j’aime ça des œuvres qui me surprennent et m’amènent dans des chemins inattendus.
LFB : C’est un peu le cas sur l’album. Ce qui est intéressant aussi, c’est que je trouve qu’il y a énormément de tension même sur les morceaux les plus calmes. C’est-à-dire qu’il y a des morceaux où tu changes de rythme entre le couplet et le refrain de manière tellement brutale que quand tu arrives sur un autre morceau qui reste très calme pendant ton morceau, tu as l’impression que tu vas faire un saut comme dans un rêve.
Ariane Roy : Je comprends ce que tu veux dire. Puis aussi, je comprends, il y a aussi des fois c’est la douceur mêlée à de l’étrangeté. Dans Nocturne, il y a un peu ça aussi, un genre de paysage un peu lumineux mais en même temps un peu tendu. Je ne sais pas. J’imagine que ça reflétait des fois comment je me sentais aussi à ce moment-là. Parce que nécessairement la musique c’est aussi ça, même à notre insu.
LFB : Oui. Comme tu disais tout à l’heure, tu te surprends aussi toi-même.
Ariane Roy : Tu retrouves des secrets que tu n’aurais pas pensés. Oui, mais vraiment.

LFB : Et justement, comment s’est fait le travail avec Félix Petit et comment il t’a revenu justement sur l’album?
Ariane Roy : J’avais envoyé mes maquettes sur lesquelles je travaillais et on ne se connaissait pas. On s’était déjà dit bonjour. Je savais qui il était, il savait qui j’étais.
Mais on dirait que quand j’avais trouvé le son de l’album, j’ai pensé que Félix Petit serait la personne la plus désignée pour m’aider à plonger là-dedans.
Je sais que c’est quelqu’un d’extrêmement talentueux qui a fait des gros albums que j’estime énormément. Quand on s’est rencontrés la première fois, artistiquement, ça a tout de suite cliqué. Il a vraiment aimé ce que j’avais fait jusqu’à présent et il m’a vraiment encouragée à garder les choses que je faisais.
Le son est bon, on garde ça, de me faire confiance aussi. En même temps, Félix a beaucoup d’instincts et est encore plus capable d’amener des twists dans les arrangements, dans les beats de drum, dans les punchs de drum, la ligne de basse. Il a un instinct musical vraiment impressionnant.
Je suis quelqu’un aussi qui, des fois, remet beaucoup en doute et me pose beaucoup de questions. Il est beaucoup dans le premier jet, le premier feu créatif. On dirait qu’on était très complémentaires là-dessus, en étant un œil très sensible, une attention au texte, c’est vraiment un bon match artistique, Félix et moi, pour cet album-là. Je pense que ça a vraiment bien fonctionné. C’est ce que je recherchais d’encore plus plonger là-dedans.
Félix ne cherche jamais à dénaturer les gens avec qui il travaille.
LFB : C’est ce que j’allais dire. Que ce soit avec Les Louanges, ou avec Hubert Lenoir, ou récemment avec Bonnie Banane. Il y a cette idée qu’il est là en fait, c’est un guide plus qu’un dictateur. Il est là pour amplifier tes idées.
Ariane Roy : Exactement. J’ai vraiment apprécié de savoir parce que ça donne confiance en nos propres capacités. C’est vraiment l’union fait la force.
LFB : C’est un son de saxophone qui est assez caractéristique aussi. (rires)
Ariane Roy : Oui, exactement. Le son de Félix, on le reconnaît.
LFB : Pour finir sur l’album, il se termine avec deux morceaux très apaisés. Une déclaration d’amour à ta maman et un morceau qui s’appelle Berceuse. Je me demandais si finalement ces morceaux-là étaient là aussi pour exprimer le fait que tu avais soigné certaines choses et que tu avais laissé passer la colère qui est très présente au départ.
Ariane Roy : Oui, effectivement. Peut-être que oui. Je ne les ai pas nécessairement écrits dans cet ordre-là, je t’avoue. Mais en même temps, dans la setlist d’album, ce n’est pas anodin qu’elle soit mise à la fin. Je pense qu’on a besoin aussi d’un moment pour se déposer.
En même temps, je trouve que dans Berceuse, il y a deux choses. Il y a plus d’introspection, un peu plus de sagesse qui vient dans Berceuse après avoir été dans une émotion plus brute, plus intense. En même temps, il y a un retour au vide aussi dans Berceuse.
Berceuse, c’est un peu pour mettre en mots un sentiment d’engourdissement. Mais c’est apeurant de se sentir engourdie et un peu apathique. C’est comme si la souffrance n’était pas tellement intense, on préfère se mettre au neutre. Ce n’est pas nécessairement une bonne chose. Je pense que c’est pour exprimer ça et en même temps faire la paix avec des parties de moi, mais aussi des parties du monde que je trouve très souffrantes et très atroces.
C’est comme ce qu’il se passe en ce moment. Mais à un moment donné, c’est juste que tu te réveilles le matin, tu ouvres tes réseaux sociaux et tu vois de la violence qu’on ne peut même pas imaginer dans les films. Tu te dis que tu vas continuer ta journée.
Tu n’as pas le choix. C’est juste la dissociation. Pour moi, Berceuse, c’est ça.
C’est vraiment de se sentir dissocié autant dans l’intime que dans le politique, le collectif. C’est un peu ce sentiment-là.
LFB : Justement, tu parles de collectif. Comment ça t’impacte dans la création et comment tu vis l’analyse des morceaux qui n’étaient pas forcément l’idée que tu avais faite?
Ariane Roy : Moi, ça ne me dérange vraiment pas. Parce que, quand je sors de la musique, elle ne m’appartient plus. Je pense que la musique, comme je disais un peu tantôt, ça devient comme une entité.
Il faut respecter ça. Il y a une part là-dedans que c’est moi qui l’ai créée. Si tu comprends quelque chose d’une de mes chansons, tu as peut-être raison en partie.
Même si ce n’est pas mon intention du départ. Je trouve qu’après, pour moi, ça appartient à tout le monde. Je trouve que le travail de l’artiste aussi, c’est canaliser certaines choses qui, même à son insu ou même inconsciemment, ont besoin d’être transmises.
Je trouve que dans la vie, peu importe ce qu’on consomme comme art et comme œuvre, ce qu’on comprend dans cette couvre-livre, ça parle tout le temps plus de nous que ce que l’auteur voulait vraiment dire. On comprend tout le temps un film par rapport à nos propres biais. Moi, ça ne me dérange pas ça. Je trouve que ça fait partie de l’art, en général.
LFB : Pour rester sur le collectif, je trouve qu’il y a un truc très intéressant dans ta musique. C’est que j’ai l’impression que tu as toujours établi une espèce de barrière créatrice entre un album et sa représentation dans le live. Il y a des morceaux que tu faisais sur le live pendant la tour de Medium Plaisir. Tu avais une ampleur et un truc qui était très différent.
Je me demandais comment t’envisageais, comment tu faisais vivre Dogue en live et surtout comment tu l’associais au morceau de Medium Plaisir pour faire un show cohérent.
Ariane Roy : C’est une bonne question. Dans les chansons de Medium Plaisir, je pensais qu’on allait avoir beaucoup plus de difficultés à les mettre dans le show. Finalement, on en a quand même quelques-unes et ça fonctionne bien. Des fois, on a un peu changé les arrangements pour que ça s’insère bien.
On a trouvé aussi celle de Medium Plaisir qui avait le plus de parenté avec les chansons de Dogue et du nouvel univers. Ça fonctionne assez bien. Je pense que Dogue sur scène, c’est vraiment le fun pour moi parce que je trouve que l’intensité de l’album se ressent encore plus sur scène.
Je le ressens encore plus dans mon corps. Quand je chante, on a mis beaucoup de temps à répéter les chansons sur la musique. On a mis vraiment beaucoup de répétitions et de temps, mais je trouve que ça valait la peine pour qu’on sente vraiment l’essence de ce que toutes les tunes pouvaient apporter au public en spectacle.

LFB : Et tu as gardé quoi comme morceau? Je pense à un morceau comme Kundah.
Ariane Roy : Oui, Kundah marche bien étonnamment. Elle fonctionne bien. Je ne peux pas dire toutes les tunes que j’ai gardées, mais par exemple, Si je rampe, on a refait un peu l’arrangement. Il est rendu un peu plus for the floor. Il est même un peu plus 80’s, Si je rampe.
Mais en même temps, un peu plus tendu, je trouve. Avant, c’était plus rock. Là, on est moins dans les trucs super rock.
En même temps, on est peut-être un peu plus dense. En même temps, il y a des tunes qui reviennent. Je trouve que des fois, c’est comme, par exemple, Fille à porter, honnêtement, c’est quasiment la même chose qu’avant.
Parce que Fille à porter pour moi, c’est juste une chanson. Quand je la fais, c’est la meilleure version qu’elle peut avoir, on la garde. Je pense que ça fonctionne bien parce que les gens s’attendent à ça aussi. Des fois, il ne faut pas changer. If it’s not broken, don’t fix it. Il y a ça aussi.
LFB : Il y a un truc, j’en avais parlé avec Lydia Kepinski, qui m’avait dit qu’il y avait quelque chose qui l’avait vachement libérée entre un album et l’autre, c’était de laisser la guitare de côté et de ne faire que chanter. Est-ce que c’est quelque chose que tu as envisagé?
Ariane Roy : Oui, c’est ce que je fais maintenant. J’apprends un peu ma guitare, mais très peu comparé à l’autre chose.
Ça me fait vraiment du bien parce que je fais beaucoup la musique dans mon corps. J’aime ça danser sur scène. Je ressens la musique, les pulsations dans tout mon corps.
On dirait qu’avoir cet espace-là pour me libérer. J’ai travaillé là-dessus. J’ai demandé de l’aide aussi pour les mouvements.
Pas parce que je chorégraphie quelque chose, mais juste pour encore plus embrasser ce côté-là de moi. Ça fait en sorte que j’ai beaucoup plus de liberté sur scène. La guitare aussi, ça devient rapidement une barrière entre moi et le public, quelque chose sur lequel m’accoter.
Les moments où je la prends, c’est super. Ça me fait du bien. J’aime ça jouer de la guitare, mais en même temps, je ne m’appuie pas là-dessus pour rentrer en contact avec les gens.
Au contraire, j’ai encore plus d’opportunités. Je trouve ça bien de toucher à ça.
LFB : C’est quelque chose qui va bien avec le son de l’album.
Ariane Roy : Oui, c’est ça. Il y a simplement moins de guitare sur l’album. À un moment donné, je n’en mets pas là où il n’en faut pas.
LFB : Justement, tu as la même équipe avec toi sur scène que sur la tournée précédente ?
Ariane Roy : En fait, on a une remplaçante de la choriste parce qu’elle vient d’accoucher. On va la retrouver dans quelques mois.
LFB : C’est important pour toi malgré tout, on parlait d’être seule et du collectif, de partager ça avec les mêmes personnes ?
Ariane Roy : Oui, oui, vraiment. C’est important parce que je pense que quand ça fonctionne bien avec un groupe et avec des gens qui deviennent rapidement une famille avec lesquels on va tourner durant des années, il y a quelque chose qui se construit. Ça vaut la peine d’honorer ça, d’être loyale par rapport à ça. Pas juste parce que c’est des gens de grands talents et je ne vois pas pourquoi je m’en priverais. Surtout parce qu’ils sont bons, mais je les aime.
Je les aime et ce sont mes amis.
LFB : Pour finir, si tu devais ranger Dogue dans une bibliothèque à côté d’un livre, d’un film et d’un album, tu choisirais quoi?
Ariane Roy : C’est tellement une bonne question. J’adore. Mon dieu, mais c’est compliqué ta question.
Le livre que je vais choisir, c’est un livre de Mona Cholet qui s’appelle Résister à la culpabilisation. Oui, je vais mettre ça. Pour le film, je vais mettre… Je dois me concentrer. Oh mon dieu, c’est dur. Oh ! Portrait de la jeune fille en feu, je mets ça. Pis comme album… je vais mettre 19 MASTERS de Saya Gray parce que c’est un album qui m’a full influencé et inspiré.
Crédit photos : Cédric Oberlin