Il est l’un des artistes francophones les plus productifs depuis l’ère du confinement, même s’il était déjà bien avant, avec à la clé la réalisation de This Is Quarantine, un projet comprenant huit tracks et vingt-trois remix avec pour thème : la crise sanitaire. Que cela soit pour produire une B.O. ou la musique d’un ballet, le compositeur et producteur musical Arnaud Rebotini sait s’adapter et imposer sa marque de fabrique jusqu’à être reconnu médiatiquement grâce notamment à son César de la meilleure musique originale pour 120 battements par minute. La Face B a pu s’entretenir avec lui à l’occasion de la sortie fin janvier de son nouvel EP Shiny Black Leather qui nous plonge dans une ambiance club queer endiablé, à la fois rude et terriblement efficace.
La Face B : Bonjour Arnaud ! Comment vas-tu ?
Arnaud Rebotini : Bonjour à toi ! Ecoute, ça va !
LFB : Depuis le confinement, tu ne chômes pas et tu sembles même devenu de plus en plus productif avec deux EP en un an. Qu’est-ce qui te motive à produire en ce moment ?
Arnaud Rebotini : J’avais envie de continuer à produire. Surtout, j’ai plus de temps. Quand tu tournes, tes semaines sont raccourcies même si ce nouvel EP a été écrit avant le confinement. Y’a des choses qui arrivent comme ça.
LFB : L’élaboration de ton dernier EP remonte à très longtemps donc ?
Arnaud Rebotini : Oui, ce sont des morceaux que je mature depuis un moment et que je joue en live. J’ai fini par les produire. Malheureusement, c’était retardé depuis le début de la pandémie puis finalement on l’a sorti hier. La pandémie a rendu les choses compliquées.
LFB : Depuis 2011, excepté les BO, tu as surtout réalisé des EP dans tes projets solos. Qu’est-ce qui t’a amené à ne plus sortir de longs formats en solo ?
Arnaud Rebotini : Il y a eu tout de même l’album Frontières que j’ai sortie avec Christian Zanési, et en 2019, l’album pour le ballet Fix Me que j’ai écrit tout seul mais qu’on peut considérer comme un propre album personnel en fait. Ensuite, effectivement, en termes stricts « d’album solo », cela fait longtemps que je n’en ai pas sorti. Il y en a un qui est prévu depuis assez longtemps mais il a été repoussé avec le coronavirus.
LFB : On va désormais parler de ton dernier EP Shiny Black Leather quiest sorti vendredi. Rien que la pochette nous emballe. Quelle histoire cache ces gants ?
Arnaud Rebotini : Je n’ai pas choisi la pochette mais il était important de bien correspondre au thème avec la couleur, les gants et le cuir qui brille. C’était surement l’élément visuel qui pouvait résumer le mieux l’entrée en matière de l’EP.
LFB : Le titre éponyme est d’une brutalité efficace. On est dans une ambiance sombre de club queer où semble régner la fête, la sensualité, le glam voire même la décadence…quelles images avais-tu en tête en l’élaborant ?
Arnaud Rebotini : C’est exactement ce que tu as décrit : des choses un peu dures, un peu brut…
LFB : La piste suivante nous emmène loin. Krasnodar !? C’est une ville qui a traumatisé de nombreux supporteurs de foot déjà. Pourquoi nous proposes-tu de nous emmener là-bas ?
Arnaud Rebotini : C’est un nom de ville que j’ai trouvé intéressant en termes de son. J’ai entendu parler de cette ville pour la première fois grâce à la Ligue des champions de football. Cette ville m’évoque un peu la guerre froide, où on construit par exemple des missiles et qui évoque l’Union Soviétique. Cette ville mystérieuse, secrète et un peu fermée ! L’idée de prendre le dernier train pour aller dans cette ville pourrait signifier la fin de tout. C’est ce point-là qui m’intéressait.
LFB : Peut-être aussi le chaos.
Arnaud Rebotini : Oui un peu, surtout que c’est une superbe ville Krasnodar avec un bon club de foot sur place apparemment. Au-delà de ça, c’est ce nom et ce signifiant qui m’ont surtout plu !
LFB : Jubilatoire, entêtant, puissant… Peut-on affirmer que tu n’as jamais aussi été brut, efficace et punchy avec cet EP ?
Arnaud Rebotini : Peut-être. Il est vrai que le but est d’avoir quatre titres vraiment efficaces qui peuvent surement rappeler le début de Black Strobe (ndlr : groupe qu’il a formé en 2007 avec Yvan Smagghe).
LFB : On sent ces influences cold wave et post-punk : Sister Of Mercy et même Nine Inch Nails pour certains airs industriels… Que tu as voulu apporter à tes productions récentes…
Arnaud Rebotini : Oh oui ! C’est totalement influé et c’était les références que j’avais.
LFB : Il y a de ce fait une certaine continuité avec le projet This Is Quarantine réalisé durant le premier confinement…
Arnaud Rebotini : Tout à fait. Les deux vont très bien ensemble. Les thèmes se rapprochent. On est dans le même état d’esprit. Et même la reprise du thème principal de Halloween de John Carpenter est de cet ordre-là.
LFB : Tes musiques nous donnent l’impression de transmettre directement des images concrètes et suggestives…
Arnaud Rebotini : Ce n’est pas une volonté mais surement plus un ressenti qui est peut-être vrai.
LFB : Quelle est, de ce fait, ta façon de composer ?
Arnaud Rebotini : Elle part plutôt d’une idée, de qui m’inspire, d’une suite d’accords… Pour les morceaux technos assez simples par exemple, je pars d’une ligne de basse, d’un rythme, d’une ambiance que je crée. Ou aussi selon le chant, la couleur. Après j’y mets mes influences du moment. Dans cet EP, ces morceaux sont assez classiques pour moi.
LFB : Donc finalement, tu ne pars pas avec des idées visuelles en tête avant de composer, ça semble plutôt l’inverse.
Arnaud Rebotini : C’est plutôt les sons qui m’amènent quelque part. Il m’arrive quand même de partir d’une image ou d’un thème mais plus généralement, je commence à partir de sonorités.
LFB : On retrouve ce que tu dis dans le film 120 battements par minutes de Robin Campillo, pour lequel tu as composé car la musique réussit à rythmer les émotions des personnages. Ce défi de produire pour une bande originale qui contient quelques contraintes t’a-t-il amené à faire évoluer ton processus de création ?
Arnaud Rebotini : Cela est inhérent à tous les films. C’est un dialogue que tu as avec le réalisateur. La production musicale est au service d’un scénario et de moments à l’intérieur de ce scénario où tu dois venir souligner les émotions et les instants clés voulus par le réalisateur. C’est quelque chose que j’aime bien car c’est une position où je peux essayer des choses avec en plus une rencontre artistique très intéressante.
Par exemple, quand Romain Campillo me donne une direction, d’une époque, de son désir et du thème du film, je garde une certaine liberté car c’est moi qui écris. Après, c’est lui qui valide ou ne le valide pas.
LFB : Es-tu prêt à te consacrer davantage dans la création de B.O. de films, comme tu as fait ensuite pour Le Vent Tourne et Curiosa ? Et peut-être ouvrir un peu plus loin tes horizons et entrer dans le monde des jeux-vidéos ?
Arnaud Rebotini : J’avais même déjà fait ça avant avec Romain Campillo pour Eastern Boys ! Mais sinon oui, pourquoi pas. Si on me propose quelque chose qui m’intéresse artistiquement, je serai toujours prêt à collaborer. Mettre de la musique à l’image, c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup.
LFB : 120 battements par minutes ou aussi de nombreux titres à tes débuts comme 1314, 777 ou encore Pi (3,1415) sont de nombreuses références chiffrées. Tu sembles avoir un rapport particulier avec les nombres ?
Arnaud Rebotini : Non, pas spécialement ! Même si cela peut paraître amusant, il s’agit de titres comme ça qui peuvent venir.
LFB : En dix ans, tu sembles avoir eu une certaine évolution plus punchy et sombre…
Arnaud Rebotini : Je pense que je reviens au début de Black Strobe qui était déjà punchy, ainsi que la série de remix ou encore l’album Music Components Rev2. Il s’agit plus d’un retour qu’une évolution même si je peux osciller sur des projets plus ou moins clubs, ambiants ou même pops par moments !
LFB : Tu es avant tout producteur musical mais tu es dès fois aussi dès fois DJ et aussi ancien disquaire. Tu avais déclaré sur France Culture « Le disquaire doit être comme un DJ ». Qu’entendais-tu par-là ?
Arnaud Rebotini : Si je vais dans un magasin de disques, j’attends d’un disquaire qu’il me fasse découvrir quelque chose et pas qu’il m’indique les références d’un son que je connais. Maintenant, j’ai pris des habitudes, je vais sur Discogs ou plus généralement sur Internet quand je sais ce que je veux. Quand je vais chez un disquaire, c’est pour avoir une conversation et découvrir quelque chose de nouveau !
LFB : Et penses-tu que l’inverse est aussi vrai ? Le DJ doit être comme un disquaire ?
Arnaud Rebotini : Ça c’est le vieux discours des DJ qui doivent faire découvrir des choses au gens. Il peut avoir plein de choses chez les DJs : ceux qui sont là pour amuser les gens et jouer des choses faciles et y’a ceux qui font découvrir. C’est une fonction qui dépend des gens à qui tu t’adresses. Tu peux être amener à soit l’un, soit l’autre.
LFB : Justement, sur cet EP, as-tu retrouvé ce statut de DJ voire de maître de cérémonie ?
Arnaud Rebotini : Oui, quand tu es compositeur, producteur et artiste, tu décides de tout. C’est ce qui change des B.O., tu as plus de libertés. Tu es ton propre chef.
LFB : As-tu des jeunes artiste électronique qui tu suis et adores à nous conseiller d’écouter au plus vite ? Ou d’un autre style musical
Arnaud Rebotini : Il y en a plein ! A commencer par tous ceux à qui j’ai demandé des remix pour This Is Quarantine et tu as un peu une idée des gens que j’aime bien en ce moment comme Pablo Pizzi, Phase Fatale, Christian Zanési, Zombies In Miami,, etc…
LFB : Et actuellement, en ce qui concerne les influences cold wave et post-punk ?
Arnaud Rebotini : Je ne me penche pas trop sur cette musique actuellement. J’écoute beaucoup de reggae, de folk aussi en ce moment.
LFB : Quel est ton guilty-pleasure du moment ?
Arnaud Rebotini : En ce moment, je ne pense pas en avoir. Peut-être Avril Lavigne. J’adore. C’est peut-être old school !
LFB : Pour finir, qu’est-ce qu’on peut te souhaite pour la suite ?
Arnaud Rebotini : Des concerts ou tout simplement la fin de la pandémie comme pour tous !
LFB : On te remercie d’avoir consacré un peu de temps avec nous !
Arnaud Rebotini : Moi aussi, je vous remercie !