Dans cet épisode, je reçois Augusta, qui vient me parler de son titre « the beetles & the bugs ». Elle revient sur l’origine douloureuse de cette chanson, et sur son écriture, qui a joué le rôle de catharsis et lui a permis de respirer à nouveau. Une discussion à retrouver en VF sur cette page !
Ecoutez « the beetles & the bugs » d’Augusta. Pour suivre son actualité musicale, c’est par ici !
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Interview VF
CRAFT : Salut Augusta ! Bienvenue !
Augusta : Salut !
CRAFT : Pour celles et ceux qui ne te connaîtraient pas, tu peux me parler un peu de ta musique ?
Augusta : J’ai un EP de 4 titres, c’est de la folk – guitare/voix, et quelques harmonies, tout ce que j’aime.
CRAFT : Tu dirais que la transition vers une carrière musicale s’est opérée quand ?
Augusta : Je ne sais pas ! En fait, j’ai sorti les quatre chansons de l’EP il y a quelques années, toutes séparément, de façon indépendante. Et récemment, je les ai sorties à nouveau en tant qu’EP, avec un label, ce qui est très cool. Je suppose que c’est ce qui a professionnalisé mon projet !
CRAFT : C’était les mêmes enregistrements ?
Augusta : Oui, on les a juste rassemblés en un EP, appelé « the beetles & the bugs ».
CRAFT : Tu es venue me parler de la chanson titre – tu peux me parler de l’origine de ce titre ?
Augusta : Je voulais parler de celle-ci parce que j’ai un rapport assez complexe avec cette chanson. Je crois que j’ai commencé à l’écrire en 2019 ; c’était une période très étrange, cela faisait deux ans qu’on avait perdu mon frère. La chanson parle de lui, et de deuil, et de l’enfance qu’on a eue ensemble. A l’époque, j’essayais d’écrire de nouveau – j’essayais de faire quoi que ce soit de nouveau. A chaque fois que je m’asseyais pour écrire, mes pensées se tournaient vers lui, et ça finissait en crise de larmes, c’était horrible… Donc j’ai simplement arrêté d’écrire.
Mais au fond, j’avais envie que la vie reprenne – je sais que ça sonne très théâtral, mais je n’y arrivais pas, et chaque fois que j’écrivais, c’était un échec ; tout me ramenait à lui. Et cette chanson est venue assez naturellement en fait. Elle s’est écrite elle-même, et je l’ai laissée. Et je me suis laissée en parler, parce que je ne pouvais écrire sur rien d’autre tant que je n’avais pas écrit sur lui. Et puis je l’ai gardée dans les tiroirs pendant assez longtemps : elle était pour moi et personne d’autre. Et je crois que j’avais peur de la chanter devant des gens, et qu’on me dise « oh non, ma pauvre, ça a dû être si dur ! ». Je crois que je ne voulais pas être la victime de l’histoire.
Donc elle est restée secrète un assez long moment ; et un jour, je jouais à Toulouse avec mon ami David, et à la fin d’une session jam, il m’a dit « tu devrais la jouer en live celle-ci ! ». De mon côté, c’était inenvisageable. Je ne l’avais jamais jouée et je ne voulais pas le faire. Mais j’ai fini par l’écouter, et j’ai commencé à la faire en concert. Et c’était intéressant de voir que les gens y étaient plus réceptifs que pour mes autres chansons ; je pense parce qu’elle est si évidemment vulnérable, et si difficile à chanter pour moi. Je n’avais jamais été aussi vulnérable, et ça m’a ouvert les yeux de voir cette réception. Et à titre personnel, j’adore entendre les chansons personnelles d’autres artistes, voir comment iels en parlent. Mais le faire soi-même… c’est une autre histoire. Je peux chanter mes ruptures, mes tristesses, etc… mais chanter sur lui et sur le deuil, c’était… incroyablement difficile. Au début, c’était très dur de la chanter ; j’ai un nombre incalculable de souvenirs de ma voix qui se casse pendant la chanson. Maintenant, je suis capable de prendre un peu de distance, mais je dois quand même me concentrer à chaque fois, et me dire « ok, on va y arriver ! »
CRAFT : Tu fixes un point juste au-dessus du public pour te concentrer ?
Augusta : Non, je ne peux pas… J’ai tellement peur de croiser le regard de quelqu’un ! Je ferme juste les yeux. Je me rappelle l’avoir chantée à Toulouse il y a quelques temps. Mes parents sont venus. Et comme ils étaient en retard, comme d’habitude, ils sont arrivés pile au moment de cette chanson. Et je me souviens de leur regard pendant que je chantais, et moi qui me disais « mon dieu, c’était la pire idée du monde, je ne devrais pas être en train de faire ça. » Maintenant je ferme juste les yeux !
CRAFT : Je suis sûre que tes parents ont vu le courage, et la beauté dans l’acte de chanter cette chanson.
Augusta : Je ne sais pas, je me souviens juste avoir vu la tristesse dans leurs yeux, et m’être dit « je n’ai pas le droit de vous infliger ça. » Cette chanson, je l’ai écrite pour moi, parce que j’en avais besoin, mais je ne veux pas la faire peser sur autrui.
CRAFT : Oui je vois. C’est intéressant cette notion : quand on est face à quelque chose d’indicible, on est très nombreux et nombreuses à en faire de l’art. Pas pour expliquer des choses comme l’amour ou la mort, parce qu’elles sont par nature inexplicables, mais pour créer un récit, faire la paix. Et c’est par l’art que ces choses-là traversent plusieurs personnes qui n’ont pas vécu les mêmes choses. Un événement qui peut nous sembler si personnel, si unique à notre vécu, est en fait complètement universel. Je me demande comment tu te sens quand tu vois que ton vécu touche d’autres gens par la chanson ?
Augusta : Je ne l’ai pas écrite pour faire sens de mon expérience en tout cas. Je n’avais aucune idée de ce que ça voulait dire de faire son deuil. Je savais qu’il y avait de la tristesse. Mais j’ignorais la folie qui l’accompagnait. Et ça sonne très cliché de dire « j’avais besoin d’écrire cette chanson », mais c’est vrai – je ne pouvais rien faire d’autre tant que je ne l’avais pas fait. Et je pense que ça fait partie du deuil aussi, le fait de reconnaître ce qui s’est passé. Et oui, c’est assez étrange de se dire que d’autres gens écoutent la chanson et la comprennent. Perdre quelqu’un, c’est perdre quelqu’un : il y a un commentaire YouTube sur cette chanson, où la personne dit « j’ai perdu mon animal de compagnie », et juste ça, de se dire que c’est arrivé à quelqu’un d’autre, c’est précieux. Parce que le deuil te fait te sentir si seul.e. Pour moi, même dans ma famille, mes parents qui avaient perdu leur fils, mon frère qui avait perdu son jumeau… je me sentais tellement seule. C’est rassurant de savoir que les gens qui écoutent peuvent s’identifier, oui.
CRAFT : Il y a des chansons qui ont ce rôle-là pour toi ? Des chansons dont les paroles par exemple résonnent avec ta propre expérience ?
Augusta : Oui, je me souviens par exemple d’avoir écouté « Gracious » de Ben Howard, longtemps avant la mort de Casper. Je ne savais pas ce qu’était le deuil à l’époque, mais je me souviens m’être dit que c’était une façon extrêmement belle d’en parler. Et j’y suis revenue pour mon propre deuil. Dans le refrain, les paroles sont « gracious goes the ghost of you » : et je me suis dit « wow, comment tu dis de si jolies choses sur une chose si horrible ? » Et il y a Tom Rosenthal aussi. Il a une chanson, « It’s OK ». Et même quand ça semble pas OK, lui dit que ça l’est, donc ça doit l’être !
CRAFT : Parfois, c’est les choses simples qui marchent – oui, c’est OK, je vais mieux dormir ce soir !
Augusta : Oui !
CRAFT : Dans « the beetles & the bugs », les paroles sont assez simples, mais très évocatrices. C’est rempli d’images, et la poésie réside dans la progression à mon sens. Tu disais que la chanson s’était écrite elle-même, et je trouve que ça s’entend, on dirait de l’eau – c’est d’ailleurs une métaphore présente dans la chanson. Je me demandais quel genre de chansons, ou de poèmes, ou n’importe, t’inspirait ?
Augusta : Je n’en ai aucune idée. Je suis attirée par les vieilles chansons folk, et leur façon de dire des choses compliquées de façon simple. Quand j’ai écrit « the beetles & the bugs », j’étais dans ma chambre, chez mes parents, et je regardais autour de moi. Tout avait changé, même si tout était comme avant bien sûr. Ma chambre est sous les combles, et c’est de la que viennent les premières paroles (« feeling like a foreigner under these damn tiles »). Et je regardais par la fenêtre dans le jardin… je n’ai pas eu l’impression de l’écrire en fait, je ne faisais qu’observer autour de moi.
CRAFT : C’est ce qu’on ressent quand on l’écoute oui. Je me suis interrogée sur le titre aussi – les autres titres de l’EP ont des majuscules, celui-ci n’en a pas. Est-ce que c’était fait exprès ?
Augusta : Je crois que les lettres majuscules disent « je suis une vraie musicienne et voici mes chansons », et rendent tout ça très officiel. Donc je crois que pour moi, c’est plus une question de confiance.
CRAFT : Je vois ! Pour moi, ça faisait de la chanson une sorte de murmure, destiné à ton frère et à personne d’autre, comme un petit message personnel.
Augusta : Ça marche aussi !
CRAFT : Concernant l’enregistrement, tu as fait ça où ?
Augusta : Pour les trois premières chansons de l’EP, j’ai travaillé avec Thomas Juvet à l’Alimentation, à Toulouse. Et pour celle-ci, c’était avec Jim Bergson, juste à l’extérieur de Toulouse. Il a un studio juste au-dessus de son appartement, et l’atmosphère est très chaleureuse. Je connaissais déjà Jim, lui et sa copine, et je les aimais déjà beaucoup (et leur chat était là !)… et c’était vraiment friendly. Quand tu enregistres une ballade guitare/voix, il faut que tu te sentes confortable, sinon ça ne va pas sonner. Et c’était intéressant : je me suis assise, il a mis deux micros face à moi, j’ai joué et c’était bon à la première prise. Ça n’arrive jamais ! C’était juste facile, ça m’a surprise moi-même. D’autant que je ne suis jamais à l’aise quand j’enregistre, j’oublie toujours mes propres paroles etc.
CRAFT : Mais comme tu dis, si l’ambiance était chaleureuse, ça a dû beaucoup aider à enregistrer celle-ci en particulier.
Augusta : Oui, exactement. L’espace et les gens ont beaucoup joué.
CRAFT : Enregistrer des ballades folk, c’est à la fois assez simple, et à la fois, il y a moyen de créer plusieurs ambiances différentes, selon les micros, les effets, etc. Est-ce que tu avais un son en tête ?
Augusta : Non, pas du tout. J’ai laissé Jim gérer le mix. Et à la base, on a enregistré la chanson pour sortir une vidéo YouTube ; je n’allais même pas la mettre sur Spotify ou quoi que ce soit. C’est venu un an plus tard ça. Quand Jim m’a envoyé la première version, je me souviens avoir demandé moins de reverb mais sinon je n’ai vraiment pas changé grand-chose.
CRAFT : Et ce genre de chansons sont faites pour être jouées en live. Elles peuvent respirer plus librement sur scène, on peut créer des pauses, accélérer, ralentir, etc.
Augusta : Absolument. Je ne pense jamais au rythme quand je suis sur scène. Et puisque je joue seule, c’est une liberté que je peux me permettre de prendre. Mais je l’ai jouée récemment avec un groupe, je faisais mes petites fantaisies comme d’habitude, et je crois que c’était très pénible pour eux (rires) !
CRAFT : Tu étais en tournée récemment avec Black Sea Dahu. Pour finir sur une petite question un peu quirky, est-ce que tu peux me donner une chose à toujours faire en tournée et une chose à ne jamais faire en tournée ?
Augusta : Une chose à ne jamais faire : passer des partiels. C’était les pires examens de ma vie. Et quelque chose à toujours faire… Essayer d’apprécier davantage le moment présent, à la fin de mon concert. C’est une expérience vraiment étrange, tu es sans cesse en mouvement, tu ne vois pas les villes mais tu vois beaucoup de salles, et tu rencontres plein de gens… tout se passe si vite. Et je crois que j’aimerais apprendre à apprécier le moment.
CRAFT : Tu es quelqu’un de très gentil et de très poli, et je te soupçonne de t’effacer aussi très rapidement après ton concert pour laisser la place au « vrai groupe ».
Augusta : Complètement ! Alors que le public m’applaudit aussi ! Peut-être que c’est un public très poli, mais quand même ! Il faut apprendre à apprécier ça.
CRAFT : La dernière question est toujours la même : pourquoi as-tu choisi cette chanson ?
Augusta : Parce qu’elle me fait ressentir le plus de choses.
CRAFT : Excellente raison. Toutes les raisons que j’entends dans le podcast sont excellentes ! Augusta, merci beaucoup d’être venue dans CRAFT !
Augusta : Merci à toi !
Interview, montage, visuel, photographie : Claire Le Gouriellec
Jingle : Dela Savelli