Seulement un an après leur premier LP Dogrel qui leur a permis de se hisser au renouveau du post-punk aux cotés de ILDES et de Parquet Courts, les irlandais ont réussi le défi du deuxième album qui a déjà le mérite de différer du précédent : plus sombre et moins agressif. C’est sans aucun doute dû aux textes et à la voix de Grian Chatten qui porte ces onze titres.
Tout commence par cette pochette d’album : on retrouve la statue représentant la mort de Cùchulainn, héros de la mythologie celte irlandaise, qui se trouve à la poste centrale de Dublin et qui commémore l’insurrection de Pâques de 1916. Cet événement historique qui, certes, fut un échec pour les insurgés, marque néanmoins un tournant dans la pensée de la population irlandaise : il n’est plus question de gagner en autonomie sous l’empire colonial britannique mais de quête d’indépendance absolue. Cette référence historique reflète l’esprit de cet album.
Le titre éponyme pourrait être l’hymne de cette rébellion dévouée et remplie d’abnégation. Grian, leader du groupe, argue trente fois « Life ain’t always empty », se convaincant avec certitude que la vie nous offre toujours le nécessaire pour nous maintenir dans du positivisme. Sauf que cette répétition est sarcastique car elle est scandée après des couplets aux allures de slogans publicitaires : « Let your demeanour be your deep down self ». Comme lors de cette insurrection en 1916, tout le paradoxe en découle : le consommateur est soumis aux exigences de ses biens : « Sit beneath a light that suits ya And look forward to a brighter future ». Les fans de la première heure retrouveront ici, avec délectation, la patte accrocheuse et directe de Fontaines D.C. auquel s’ajoute à l’arrière un doo-wop digne des Beach Boys.
Cette oppression des médias s’en ressent inéluctablement dans Televised Mind qui est le parallèle parfait à A Hero’s Death. La recette est la même : Grian, d’un ton monotone, répète sans cesse « That’s a Televised Mind » dans une tension de rifs électrisante et hypnotique. Le titre est incontestablement le manifeste d’une société s’abreuvant de pop-culture toute similaire les unes aux autres. Si l’énergie du morceau peut rappeler celle de Hurricane Laughter, Grian n’élèvera sur ce titre jamais la voix comme dans l’ensemble de l’album. Fontaines D.C. n’a plus besoin de crier pour se faire comprendre.
C’est la preuve que le groupe n’est pas une hype éphémère en fournissant une copie du LP précédent. Il est capable d’étendre son talent durant une quarantaine de minutes avec une énergie sobre mais palpitante tout en gardant la noirceur. Il faut surement remonter à leur illustre prédécesseur, Joy Division, pour retrouver une telle efficacité. C’est ainsi que le quinté de Dublin prend à contre-pieds Ie passé juvénile de Dogrel. A Hero’s Death commence d’ailleurs par « l’anti-Big ». I Don’t Belong est le chef d’œuvre d’un groove horrifique où Fontaines D.C. se déclare n’appartenir à personne et encore moins à toute forme de marchandisation comme font l’objet des deux histoires narrées à travers le titre qui ne va jamais exploser dans des envolées bruitistes et nerveuses.
Si Fontaines D.C. se déclare indépendant, il se moque logiquement de ceux qui ne le sont pas. Londres est notamment pris à parti par son évolution sociétale à l’image d’une Amérique inégalitaire socialement. La voix de Grian sonne aussi grave et ténébreux que le diable et fait souffler un vent de terreur durant cinq minutes. Le son s’éclaircie tout de même quand la bande se montre libre et anarchique dans I Was Not Born mais cette parenthèse ne dure que quatre minutes. Paradoxalement, le groupe brille quand il sombre dans le mélancholique You Said ou encore la ballade enfantine et fragile Sunny qui surfe sur la pop lancinante des sixties, rappelant encore une fois les œuvre de Brian Wilson.
L’album se conclut par le réflexif No. D’une progression linéaire, Grian grippé par tant d’interrogations, prône finalement l’entre-deux : ni la joie excessive, ni la tristesse absolue : juste le gris « Just appreciate the grey / Yeah / Even though you don’t know / Even though you don’t / You feel, you feel ». Il s’agit presque d’un aveu d’échec. A aucun moment les instruments et les chants se montreront explosifs car l’impuissance a pris le pas : prisonnier par le passé et tétanisé par l’avenir.
Fontaines D.C. a beau être un groupe jeune rempli d’excitation, il ne cherche pas à plaire aux autres, c’est une bonne chose. Avec A Hero’s Death, la bande post-punk de Dublin opte pour une introspection sur soi-même, partagée entre ses envies et ses désespoirs à l’image de cette jeunesse actuelle. Là où la majorité des groupes punk appellent à se révolter, eux choisissent l’optimisme abattu : à la fois ironique et libre mais aussi sans conviction. L’album est au final d’une homogénéité et subtilité exemplaire, le tout emporté par la poésie de Grian Chatten.