Avec Aporia, Sufjan Stevens et Lowell Brams se baladent dans les contrées électroniques

On était habitués à partir en ballade avec Sufjan Stevens, envoûtés par sa douce voix comme sur Illinois (2005) ou Carrie and Lowell (2015). Mais surtout, c’était impossible de tomber amoureux de Mistery of Love, figurant sur la bande originale de Call Me By Your Name (2017), adaptation filmée du roman éponyme de James Ivory, par Luca Guadagnino. Et comment ne pas fondre face à son engagement pour la cause LGBT, comme en témoigne les titres Love Yourself et With My Whole Heart, tous deux sortis sur la chaîne Youtube Asthmatic Kitty pour le mois des fiertés, en 2019 ?

Aporia, album de Lowell Brams et Sufjan Stevens
La pochette d’Aporia a été réalisée par Sufjan Stevens lui-même.

Malgré tout ça, l’artiste américain continue de surprendre, avec son dernier album Aporia produit avec Lowell Brams, le co-fondateur d’Asthmatic Kitty, collaborateur de longue date, et beau-père de Sufjan. Et pour cause, parmi les 21 titres de l’album, la voix de Sufjan Stevens ne se fait point entendre. Au revoir les guitares, et autres mélodies à cordes. Bonjour le synthétiseur et les dissonances ! Aporia se veut plus expérimental, comme un mélange hybride entre la ballade et l’électro. Si le concept est difficile à imaginer, il suffit d’écouter Climb That Mountain pour en être convaincu. Les deux musiciens nous emportent dans un univers qu’on pourrait penser tout droit inspiré de Sigur Rós ou de Joe Hisaishi, le compositeur derrière les célèbres mélodies du studio Ghibli. A raison, car Lowell Brams et Sufjan Stevens ont souhaité créer « une bande sonore riche à partir d’une épopée de science-fiction imaginaire débordant de paysages sonores de synthétiseur de mauvaise humeur, accrocheurs et vaporeux ».

Le mot « aporia« , d’origine grecque, signifie littéralement « sans passage » ou « à perte« . Le nom n’est pas donné au hasard, tant les morceaux sont mélancoliques, planants, à la manière de la longue méditation, Agathon, par laquelle on se laisserait bercer volontiers. Mais les artistes se réfèrent plus au concept derrière le mot grec : « une contradiction insoluble« . Et des contradictions, l’album en a beaucoup : Sufjan Stevens quitte les mélodies organiques pour des sonorités analogiques, et les titres sont composés par lui, auteur-compositeur professionnel, et son beau-père, amateur. Il en résulte une création visuelle, à laquelle on espère, un jour, voir de images se poser, dans un clip.

A défaut d’images, l’histoire de la conception est touchante. « Cet album marque définitivement le départ à la retraite de Lowell« , dit Sufjan, « mais il raconte une plus grande histoire d’intendance et de mentorat. Il est là depuis que j’ai cinq ans. C’est une longue histoire. Même si Lowell n’a aucune compétence musicale qualifiée, il a été une énorme inspiration pour moi, à la fois en tant que mentor et spécialiste de la bonne musique.« 

Si vous n’êtes pas enchantés à l’idée de prêter l’oreille à Aporia, peut-être seriez vous convaincus par la démarche derrière la sortie de leur album ? Publié quelques jours plus tôt que prévu, Lowell Brams et Sufjan Stevens ont décidé de reverser 50% du produit de la vente d’Aporia à des associations caritatives, pour lutter contre le COVID19. Et en ces temps, il nous était impossible de ne pas l’évoquer.