Avec protégé.e, Terrenoire dessine des territoires intimes et collectifs

Terrenoire, le duo de Saint-Etienne, revient avec un second album, sorti fin janvier, qui cartographie avec sensibilité les différents enjeux qui traverse notre société.

À la manière de tisserands, Raphaël et Théo Herrerias étendent un fil sonore entre différences espaces pour les unir, les lier. Ces derniers sont musicaux : les influences classiques (en particulier dans le morceau protégé.e) dans la composition — le duo s’accompagne d’ailleurs d’orchestres et de chorales pour certaines dates — électronique, rap et variété — l’ombre d’Alain Bashung planant avec bienveillance au-dessus du groupe depuis leur début. Des espaces symboliques, aussi, que Terrenoire veut protéger. Il y a dans protégée.e un rapport presque corporel au lien que l’on entretien avec les autres. Comme ceux complexes à nos proches, « famille de fous, j’perds des points d’vie » (hotline gorgone) ou doux, avec ceux qui sont partis (un chien sur le port),ceux qui arrivent (alma) et ceux que l’on observe vieillir, « je veux vieillir avec toi » (ton corps de daronne).

Rompre les frontières plurielles

Prodige du travail du son, les deux frères parviennent à évoquer l’intimité, à tracer le contour du mélange des corps par celui des voix. Terrenoire emploie le varispeed, un procédé qui permet de rendre plus aigüe un chant. L’auditeur, intrigué, ne sait plus si une femme ou un homme chante sur des titres comme l’hyper sensuel hotline gorgone ou le spirituel le jour où tout s’est ouvert.

Les démarcations que dépasse le duo sont aussi physiques et géographiques. Terrenoire l’affirme dès l’entrée du disque par un morceau intitulé ton territoire. Ce titre aérien et sincère, aux accents jazz, parle du fait de dévoiler son territoire comme s’il s’agissait de son corps, son cœur, son âme. Raphaël Herrerias chante : « J’ai besoin que tu me parles, parle-moi, parle-moi, parle-moi. Fais-moi voir ton territoire. »

Le duo retrouve aussi ses racines en rendant hommage à Saint-Etienne, dont le groupe prend le nom d’un quartier. C’est par le football que se fait le clin d’œil stéphanois. god save zinédine fait l’éloge du risque, du fait de se lancer, dans un sentiment mêlé de nostalgie et de douceur. Un morceau dont la clôture — un magnéto qui se coupe brusquement sur des paroles — rappelle le morceau Le silence, issu du premier EP du groupe. Désormais sur la Capitale, Terrenoire lui déclare sa flamme avec ambiguïté dans paris, la grande ville. Dans ce morceau écrit la première personne, Raphaël décrit les métros, les souterrains, les gens, les visages, à la manière d’Alain Souchon qui chantait l’ultramoderne solitude. Les images défilent sous nos yeux, dans un élan cinématographique, créé par une musique rythmée.

Engagements dans le monde

La force de Terrenoire à prendre part au monde, à tenter d’avoir une action sur ce dernier, transparaît tout particulièrement dans ce second album. Le duo dénonce avec le fou dans la voiture des chefs d’Etat qui prennent un virage intense, à cent à l’heure, vers l’extrême droite. Une certaine fascisation, en somme. Ce morceau se veux aussi critique du star-système qui éloigne les artistes de leur public. Les deux Stéphanois se promettent de revenir à la simplicité des choses, comme l’illustre vivre sobrement.

Se situer dans l’entre-deux

Eclairé par la lumière et l’obscurité, Terrenoire chérit dans son ADN les contradictions, en quête certaine d’un juste milieu d’une justesse. Le duo confronte les opposition dans une accumulation de questions jusqu’à la folie, jusqu’à dérailler : « Quel est le bon geste ? Quel est le bon cri ? Quel est le bon trait ? Quel est le bon train ? Quel est le progrès ? Quel est le futur ? Quelle est la frontière ? » Terrenoire fait une transition entre le chaos de ce morceau et la litanie le jour où tout s’est ouvert. Un splendide morceau qui évoque une prière, une reconnaissance envers un Dieu qui nous inonde de lumière et de transformation. Ce sentiment d’être blotti dans brèche, l’ouverture, dans le pli de la carte, entre l’ombre et l’éclat.

Dans cette même lignée des titres qui guérissent, rassurent, soignent, Terrenoire signe le magnifique avancer. Avec force, conviction la voix des deux frères, porté par la douceur d’un piano, nous invite à : « Avancer / Un pied puis l’autre / Jusqu’à arriver sous l’arche / Là où le cœur se soulève / Où le poids se soulage / Tu sais, l’ombre / N’a jamais tout repris / Y’a de l’eau là, tout près / J’te jure qu’c’est pas un mirage / Bien sûr qu’ça fout le vertige »

Avec leur second album protégé.e, le duo Terrenoire parvient à nous faire « pleurer devant la beauté » de leurs compositions contemporaines et populaires. Populaires, car proches du peuple, du cœur, de l’âme des gens. Musique qui touche, percute, pénètre les sensibilités individuelles. Contemporaines, parce que collectives, parce qu’engagées dans son époque. le duo défend d’ailleurs cet album avec une tournée repensée pour être plus ancrée sur les territoires, plus proche du public et plus respectueuse de l’environnement.

Retrouvez notre entretien avec Terrenoire ici

Retrouvez Terrenoire sur Facebook et Instagram

Laisser un commentaire