Bagarre : « on a pensé cet album comme un refuge »

Bagarre sera ce vendredi sur la scène du Bataclan pour la sortie de leur troisième album, le club c’est vous. À cette occasion on a retrouvé les cinq musiciens pour une conversation autour de cet album, où l’on parle évolution, amour, envie de créer un refuge et une musique à la fois radicale et lisible.

portrait Bagarre

La Face B : Salut !

Bagarre (tous en chœur) : Salut Charles.

La Face B :Comment vous allez ?

Emmaï Dee : Bien. Ça fait plaisir de te voir. Ça fait longtemps aussi.

Majnoun : Parce que tu nous a envoyé des gens pour La Face B. C’est ça être patron.

La Face B : Oui, c’est vrai. Je me suis dédouané. Avant de parler de votre album, j’aimerais parler d’un autre club. Parce qu’il y a 20 ans, TTC sortait Bâtard sensible et donc sortait Dans le club. Et pour moi, il y a un rapport dans le sens où c’est un des premiers albums qui mélangeait aussi fort les genres musicaux et qui s’autorisait un choix de voie un peu radicale. Je me demandais si dans la forme vous voyez une filiation entre ce qu’il a entrepris et ce que vous faites…

Emmaï Dee : Ah moi grave je pense que oui dans le côté collectif des morceaux qui existe vachement plus. Quand je pense qu’on le sent plus dans cet album-là, parce que justement il y a le côté par morceau. C’est-à-dire plusieurs leaders par morceau sans que ce soit officiellement du rap, ce qui est en fait très rare. Et sans que ce soit des duos.

Majnoun : Ou des juxtapositions.

Emmaï Dee : Voilà des juxtapositions. Et c’est ce que je trouvais quand même très fort dans TTC bien que les thèmes… si tu mets Fake boy à côté Dans le club... Mais après je trouve qu’il y a aussi dans la musique de cet album-là de Bagarre qu’il y a un retour quand même à un mélange pas hyper loin de TTC je trouve aussi.

La Bête : C’est paradoxal parce que j’aime beaucoup Teki Latex. J’aime beaucoup Para One. J’aime beaucoup les Beastie Boys, mais je n’aime pas TTC. Je comprends qu’il y ait une filiation, par défaut. Je m’en veux. Il y en a une et il faut le reconnaître, même si ce n’est pas choisi.

LFB : L’album vient de sortir. Votre dernière sortie, c’était en 2019. À l’époque, vous parliez de faire une pause et puis forcément elle a eu lieu.

Denis Darko : Désolé les gars, on a lancé virus. (rires)

LFB :Est-ce que le fait de voir cette pause s’étendre, ce n’était pas à la fois nécessaire et aussi un piège dans lequel il ne fallait pas tomber?

Emmaï Dee : Bah si grave. Mais, je pense que pour le coup le morceau Injuste résume bien ce truc-là. Je pense qu’on avait besoin d’un break. Quand on parlait d’un break, on parlait de trois moi donc en effet plus rien à voir.

Majnoun : Puis il y avait une tournée d’été qui était prévue et à l’issue de la tournée d’été, je pense que les vraies questions se seraient posées quand même.

Emmaï Dee : Voilà Mais ce que je trouve hyper intéressant moi, c’est que ça nous a permis de nous poser la question de « est ce qu’on avait envie de faire encore de la musique ensemble ? » Si c’était encore judicieux de faire ça ensemble. Quel était notre envie de musique…

Majnoun : De quelle façon aussi la faire…

Emmaï Dee : Le risque, en effet, c’est comme ça a duré longtemps et que nous on a besoin d’être sacrément ensemble pour faire de la musique. Ça a risqué la vie du groupe. Mais je pense qu’on est repartis encore mieux quoi.

La Bête : Le côté positif c’est que ça a donné beaucoup de temps à nous tous séparés mais aussi à l’entité Bagarre qui a permis aussi de se séparer de contrat qui nous liait avec notre précédent label. Nous, ça nous a permis d’oser faire le saut dans l’indépendance musicale. Et aussi, je crois qu’il nous fallait un truc pour nous réécrire, que ça soit notre entourage, mais aussi notre manière de faire. Et donc tout ça en fait au final, je dirais que c’est un même plus positif que négatif. On a failli y passer, mais au final, ça a été que du bon et ça a permis de faire une musique dont on est fiers et qu’on assume. On commençait un petit peu à se répéter déjà. Et là je pense qu’on se serait carrément trop répété, on aurait peut-être pas réussi à faire sortir quelque chose.

LFB : Si tu regardes bien, tu as un rush de cinq ans où vous faites deux EPs, deux albums et tu sentais que sur l’Olympia fin 2019, tu sentais que vous arriviez à une espèce de fin de cycle et qu’il fallait trouver un moyen de se renouveler…

La Bête : La nature l’a fait pour nous.

LFB Je trouve que cet album, c’est votre album le plus intime. L‘album s’appelle Le club c’est vous qui est un appel vers les autres mais le premier titre, Injuste, c’est l’un de vos morceaux les plus introspectifs…

Majnoun : Tu vois 2019-2019, pour le coup, il partait du monde extérieur et de comment on le vivait. Et là, je pense qu’on a un peu moins parlé du monde. Mais bizarrement on s’est dit on va parler de nous. Et d’où est venue l’idée du titre de se dire Le club c’est vous, c’est de dire qu’en fait, à travers nos histoires, on est les histoires de plein de gens. C’était sans que ce soit on va faire un morceau auquel les gens vont s’identifier.

La meilleure façon de faire un truc qui parle finalement peut-être à tout le monde, c’est l’espoir en tout cas, c’est de faire un truc qui parle sincèrement de nous. Et voilà, c’est un peu l’idée d’être moins sociétaux, peut-être plus biographiques. Mais quand on a écouté tous les morceaux, c’est déjà ça. Il y a beaucoup de morceaux qui regroupent des questions sociétales aussi. Mais sans être des modes d’emploi.

La Bête : Tout est un peu lié à comment cet album s’est fait. La réaction musicale qu’on a eu, elle a été un peu justement sans réflexion et ce qui est assez rare. En tout cas pour nous, ça nous paraissait une chance de revenir à un truc aussi pur qu’un premier album. C’est-à-dire tu ne réfléchis pas, tu fais les choses et puis tu espères que ça aille loin mais tu n’en sais rien… Donc tu as un truc très très naïf et au final, ce côté un peu Covid, notre vie qui avance, tout ça nous a un peu naturellement amené sur un truc très simple, très évident, très senti.

Aussi on voulait un peu aller à l’essentiel. Par exemple avec Le club c’est vous, c’est un vieil adage qu’on a. C’est bizarre ce que je vais dire, mais comme si on avait jamais réussi à le rendre réel alors qu’on a des concerts où on est très proche des gens. Mais il nous fallait notre version album et dans les thèmes pour qu’on soit plus proches des gens. EtLe club c’est vous, c’est un hommage au public avec qui on le vit, avec qui on crée et qui fait vraiment cœur avec Bagarre. Il y avait un truc très généreux qu’on ‘a donné. Et donc l’intimité, oui, mais c’est surtout que ça veut dire voilà, on vous donne. On parle de notre vie, de notre vie de couple foireuse, on parle de nos identités, de nos questions sur nous, de nos rapports à nous, de nos vies de merde ou nos espérances. Et ça, il fallait qu’on le donne et on a trouvé l’adéquation entre notre philosophie et nous-mêmes. C’est trouvé.

Majnoun : Il y a toujours cette envie de plaire et en même temps d’être content de savoir maintenant un petit peu ce que c’est l’industrie musicale et de dire qu’en fait, finalement, le succès, ça n’appartient qu’assez peu à toi et que c’est le public qui choisit. Donc autant faire le truc qui te ressemble le plus et pas forcément obéir à entre guillemets certaines impulsions. Un label pourra te dire qu’il faut un titre qui rentre, mais à un moment ça ne dépend pas de toi. Toi, tu fais les meilleures chansons possibles et surtout les meilleures chansons que t’as dans la tête. Après voilà, c’est là où il y a un truc un peu comme le premier, où on se dit toute façon, nique, si ça marche, ça marche.

LFB : Là où c’est intelligent et réussi, c’est que contrairement à d’autres personnes qui viennent un peu de la même génération musicale que vous, vous ne vous êtes pas perdus dans une caricature.

Majnoun : Je pense qu’on est aussi pas un succès commercial énorme, ce qui fait qu’on continue à faire la musique sans pression…

LFB :Ouais, mais le fait est que malgré tout, les personnes qui vous écoutent et l’entourage que vous avez, continue à grandir.Je l’ai vu à Lille par exemple, c’est qu’il y a un public qui est là depuis dix ans, comme il y a un public qui vous découvre tout juste. C’est un truc en expansion malgré tout…

Majnoun : C’est l’espoir de créer des nouveaux publics et de voir des nouvelles personnes arriver par plein de nouveaux canaux que tu ne maîtrises pas, ça c’est cool.

La Bête : Tu ne maîtrises pas mais il y a quand même un truc je pense qui doit se dire avec cet album qui doit marcher. Je ne sais pas si le mot est le bon mais amoureux. Il y a un truc où les sujets dépassent un peu la musicalité, des fois.Alors qu’avant on était peut-être dans un truc plus musicien et peut être moins dans l’écrit.

Là il y a un truc, je pense que très facilement les gens s’y retrouvent sans barrières. On s’est affirmé nous, même dans ce qu’on raconte, quand on écrit, dans qui on est dans la définition de Bagarre. Je pense qu’on a aussi rencontré des générations nouvelles, même la nouvelle génération de personnes queer avec laquelle on a forcément évolué nous-même à travers elle. Et là je suis assez fier de qu’on ait réussi à toucher justement des nouvelles personnes avec qui on peut dialoguer, avec qui on n’a pas le même âge et pourtant on se retrouve sur des thèmes importants.

Denis Darko : C’est vrai que je pense que le public qu’on a rencontré, mais même sur la tournée 2019-2019, on commençait à voir des gens plus jeunes que nous à nos concerts et qui étaient un peu moins notre public, ce que je trouve génial et hyper inspirant. Et je pense qu’on a aussi d’une certaine manière pensé à eux quand on a écrit les chansons et ça nous a inspiré.

LFB : Et puis il y a un truc qui ne trompe pas finalement, c’est aussi la sincérité. Tu parles de carrière, de succès mais j’ai l’impression que depuis le départ l’idée c’est de construire quelque chose.

Majnoun : Sauf que pour continuer à le faire, faut continuer à en vivre donc c’est des questions qui se posent. Après en effet Bagarre, il y a un truc très vrai depuis le début, c’est la vérité.

Emmaï Dee : Souvent, c’est ce qui fait que les gens qui ne comprennent pas le projet, surtout en l’écoutant, le comprennent aussi sur scène. Je crois que sur scène, cette sincérité, elle est immédiate et on ne peut pas tricher avec ça. Je pense que c’est ce qu’on a essayé de faire sur cet album là, mais d’arriver à être entièrement pas plus à nu, enfin plus en phase avec nos kiffs.

LFB : Et beaucoup plus direct en écriture…

Emmaï Dee : Moins cacher des choses.

Mus : Je pense que quand tu fais de la musique depuis longtemps et quand tu fais de la musique de manière un peu sérieuse, il y a toujours un moment où tu fantasmes un peu le fait de réussir. Et au bout d’un moment, à force, tu vois que ce n’est pas si simple et que les choses ne marchent pas comme ça. Ca devient plus simple en fait. Tu fais de la musique de manière décomplexée, tu penses encore moins au fait de répondre à des codes et encore plus du fait d’avoir la décision de continuer tout seul en autoprod, en indépendant. Oui c’est plus sincère et les choix que tu fais sont vrais et en accord avec toi-même.

Majnoun : Il y a quand même un truc qui a présidé cet album, c’est l’envie de ne pas juste être renvoyé à un groupe de live et un groupe d’énergie. Mais aussi à être un groupe compris et écouté par les gens chez eux. Parce que ça, c’est plus une passion quand même. « Ouais Bagarre je n’écoute pas chez moi », j’ai entendu souvent ça dans notre carrière ça. Aucun compromis en live, mais c’est super frustrant d’entendre ça. Et donc là, il y a eu quand même ce désir-là.

La Bête : Notre égo a parlé.

LFB : J’ai une question là-dessus. Est-ce que c’est la meilleure manière de résumer l’album ce n’est pas de dire que c’est la déconstruction sur le dancefloor ?

Bagarre (rires)

La Bête : C’est un bon terme déconstruction sur le dancefloor. C’est le nouveau single de Sophie Ellis Bextor.. Mais c’est vrai, c’est comme si on n’avait plus de preuves à faire sur ce monde-là, sur cet endroit d’où on venait. On a réussi à s’écarter des trucs qui nous rassuraient avant, des cases. On est donc très simplement nous. On n’est plus à dire nous le club machin, c’est le club machin. Parce qu’on a décidé de l’ouvrir. C’est moins nocturne par exemple. Notre musique elle a un côté moins 2 h du matin et elle a un truc plus fédérateur. Parce que quand tu sors du club et qu’il fait beau en été, des fois ça peut mettre un petit coup de déprime, mais en même temps ça reste joyeux aussi.

Emmaï Dee : Ca fait gay pride à 14h.

Majnoun : C’est un open air.

La Bête : Pour les anciens, on dirait même Villette Sonique.

Bagarre (rires)

LFB :Mais il y a un truc, même s’il est quand même sombre, dans les thèmes et dans certaines choses, il y a un refus de la désespérance.

La Bête : Ça c’était important pour nous.

Emmaï Dee : Dans ce monde qu’on nous a offert.

La Bête : On ne se l’est pas vraiment dit, mais il y avait un peu un pari qui était de se dire de pas succomber à la facilité de…

Majnoun : D’à quoi bonisme?

La Bête : Non mais de vraiment de rajouter du bresom au bresom de justement un peu assumer ce dont nous on avait besoin. En tout cas, je ne dis pas qu’on n’a pas le droit d’être triste, mais en tout cas, nous, notre besoin à nous, c’était plutôt d’assumer que face à ça, c’est ce qu’il nous fallait. C’est la réponse qu’il nous fallait. C’était un truc qui était de l’amour, au sens très large et même de l’espoir. Et notre manière de faire face à ce qui se passe dans le monde, à tout ce qui a été plus ou moins drôle ces dernières années, c’est-à-dire peu de choses, ça a été d’écrire ça. Un peu comme une trajectoire, que si on ne sait pas vers quoi on va, on va nulle part. Et ça nous paraissait impossible de faire ça, de bouger dans ce cas-là.

LFB : Ca se ressent aussi, les thèmes suivent cette idée. Le rapport à la masculinité, le fait de vouloir vivre sa meilleure vie alors que tu n’as pas une thune, même la parentalité qui apparaît aussi. Il y a des inquiétudes, mais il n’y a jamais de définitif. Il y a toujours cette idée d’aller chercher malgré tout plus loin…

La Bête : Et puis je crois qu’on voulait aussi assumer, un truc un peu, le mot est un peu moche parce qu’il n’a pas été réactualisé mais ce truc-là, un peu hippie, c’est-à-dire face au problème, la réponse n’est ni dans la colère, ni dans la violence. Elle va se trouver ailleurs, dans cette espèce de puissance naïve et amoureuse. Et ça, il faut, je pense, une forme de courage pour la mettre en avant.

LFB :Il est très hippie comme titre.

Majnoun : C’est volontaire. On est dans une époque où la parole est tellement polarisée, où on te demande en permanence finalement de choisir entre des camps qui n’ont que des intérêts à s’affronter. Mais je pense que ce n’est pas un hasard si on réagit comme ça. Ce n’est pas une parole de centralité, c’est une parole où on se dit vas-y, on va continuer à espérer un truc un peu plus joli que juste un affrontement.

Emmaï Dee : Oui, puis à espérer dans un mouvement collectif dans une époque où on nous ramène beaucoup à l’individualité, à la confrontation, etc. Nous, notre réponse c’est le collectif, l’amour. Et c’est pour ça que ce vous, il était important. On n’existe pas les uns sans les autres. Tous les cinq, on n’existe pas sans les autres avec le public, on n’existe pas dans la vie. On a beau nous faire croire que c’est nous et nous-mêmes et nos petits iPhones et nos selfies mais la vie, c’est autre chose.

portrait Bagarre

LFBC’est un mantra que tu peux dire aux autres. Mais que vous pouvez dire entre vous…

Majnoun : Mais tu vois le club un, deux, trois, quatre, cinq c’était l’idée d’une mini société où tout le monde est égaux et tout ça. Mais ça a toujours été notre rêve que ça s’extrapole ou, on va dire, à la société dans son ensemble. Mais là on l’a assumé peut-être davantage. Que le club, ça reste une métaphore.

LFBFaut faire gaffe à ce que ça ne se transforme pas en secte (sourire)

Majnoun : Un lieu idéal. Oui, on pourra lancer des recrutements.

La Bête : Un peu comme nos concerts. On a même pensé que cet album pouvait être un refuge, un peu comme un Miyazaki. Sans refuge face à des trucs dont on ne sait pas trop où tu en es, sur des sujets comment voir la vie. Revois un Miyazaki, ça peut aider à se dire ah si, ok, on peut le voir comme ça. On peut le vivre comme ça. On peut retrouver une espèce de simplicité, de douceur au milieu de tout ça. On a essayé de faire ça nous je crois.

LFB : Et il y a forcément un morceau dont je vais vous parler puisque vous le portez depuis 10 ans. La bête, quand il est sorti, montre bien toute l’évolution que vous avez. Elle a été expurgée un peu de sa vulgarité, de sa colère, de ce côté nocturne et il arrive là, se fond dans le moule de cet album-là. Mais tout en étant l’évidence qu’il est depuis dix ans et qu’il n’a jamais changé…

La Bête : Non mais c’est l’histoire de ma vie. Non mais sans blague ! Il y a un truc… Pour ce morceau, il y avait un truc qui n’était pas résolu et qui se sentait dans l’écriture. Pendant ces dix ans de live qui était justement un truc comme si c’était empêché et que sur scène, je donnais comme ça, entre colère, quelque chose d’interne. On a essayé plusieurs fois mais là, s’il a réussi à exister dans l’album, c’est parce qu’il a réussi à exister avec honnêteté. Et ce morceau, il n’avait pas besoin de colère pour exister, mais d’espoir. Et d’un message qui disait non, ça sera comme ça. Il y a une phrase, à un moment donné, qui dit je partirai comme je suis né. Et c’est aussi ça, exister. Tu existes de toute manière, il n’y a pas de négociation à avoir sur qui tu es face à n’importe qui. Et ce morceau-là avait besoin de cette clairvoyance là pour être.

Denis Darko : Là où il y avait J’irai niquer ton père il y a une quinzaine d’années maintenant c’est vous pourrez me ruer de coups, me cribler de balles…

La Bête : J’étais un jeune toxique de mon époque. (rires)

LFB : C’est un morceau qui a grandi avec toi.

La Bête : Bien sûr, c’est ça en fait et effectivement, lui, il représente bien cette trajectoire. Et je trouvais qu’en plus, il n’a réussi à être beau que comme ça. Il a été autre chose à des moments et ça ne lui enlève pas sa saveur. Un album, la différence avec un live, c’est que c’est figé pour l’éternité. Et je trouvais que la meilleure manière qu’il existe pour tout le temps et toute ma vie future, c’était comme ça et pas autrement. Et c’est cette évidence-là qui est raccord avec ce qu’on dit effectivement sur l’album.

LFB :Je vais parler un peu de la forme et je vais rebondir sur ce que tu me disais tout à l’heure. Ce qui m’a surpris la première fois que je l’ai écouté, c’est que pour moi, c’est un album de club, mais produit comme un album de pop. Il y a un truc hyper léché comme tu disais, qui fait que les voix sont en avant et là c’est que le propos passe.

Majnoun : On a voulu faire comme Nevermind. C’est-à-dire un truc qui est radical et en même temps qui est hyper digeste pour tout un chacun. Parce que on a envie d’être compris, ça je pense. Donc la forme est très importante. Dans un monde où tu as 10 secondes pour être digéré ou pas. Et en général, en fait c’est juste il y a des gens qui aiment aller vers des trucs plus ou moins exigeants et je pense que Bagarre était perçu comme un truc exigeant à écouter. Si tu écoutes un peu nos disques d’avant, je ne trouve pas ça vrai. Mais, on a voulu aller contre ce stéréotype, on va dire, sur notre groupe un peu.

LFB :Il est très lisible.

Emmaï Dee : Tant mieux.

Majnoun : Merci. (rires)

Emmaï Dee : Je le vois comme la sortie d’une adolescence. Tout à une allure énervée, où tu mets tous tes œufs dans le même panier d’une certaine manière. Je pense que là, le fond reste le même, le propos reste le même, etc. Mais la forme est offerte de manière à ce que tout le monde puisse l’entendre. Je dis ça, je pense que c’était bon. On en avait marre d’être incompris (rires).

La Bête : On sent bien qu’il y a toujours un enjeu de forme et de fond quand tu fais de la musique, surtout quand on parle de mixage et tout ça. Mais, il y a une règle, qui est que tu apprends avec le temps . Tu parlais de non parentalité, mais j’ai l’impression qu’on est devenus aussi des bons parents pour Bagarre et qu’on a appris à prendre les morceaux tels qu’ils sont et de les amener au bout de ce qu’ils sont et ne pas de choisir pour eux ce qui devraient être. Et après, tout va de pair. Une fois que tu comprends que ta musique, elle est régie par ce qui est raconté par le texte et plus forcément la musique, le mixage va aussi avec, la voix n’a pas à être cachée et les mots n’ont pas à être dissimulés. Le thème ne va pas être mis dans des images. Tout doit être donné. Et ça, c’est parce que je crois qu’on a une forme d’expérience qui nous a appris à ne pas torturer nos propres morceaux ou à pas décider pour nos petits enfants de morceaux qui devraient être.

Majnoun : Et inversement. Parfois, il y a des prods où on s’est dit Ah, on était parti sur un thème et on dit Mais en fait, la prod elle n’évoque pas du tout ce thème-là, ça ne colle pas. Alors qu’avant on se dit ouais on s’en fout, on l’a fait, on continue à le faire.

LFB : Ce qui est intéressant, tu prends les morceaux comme On est les mêmes, Le club c’est vous, tu as quand même une production qui est assez brutale. Mais en même temps, c’est peut-être le mastering et des trucs comme ça, qui est poli en fait.

La Bête : Ca a été des grosses consignes ouais. De ne pas avoir de producteur qui débarque à la fin de l’album et qui vient pas « saboter le travail ». C’est très technique mais il y a un truc effectivement. Comme il y a une compète un peu sur les plateformes pour exister au volumomètre, il y a une tendance à vouloir toujours cartonner le truc et à la fin tu en viens à quelque chose de très agressif et qui peut même détruire un peu l’émotion du morceau. Et ça, ça a été une vraie consigne très importante.

LFB : C’est marrant parce que c’est un truc dont j’avais parlé avec King Ju de Stupeflip qui me disait justement sur son dernier album qui est beaucoup plus propre, que c’est lui qui l’avait bossé lui-même parce qu’il ne trouvait personne enfin… Ca lui cassait les couilles qu’on vienne justement saboter ce qui fait ce qu’il voulait faire et le message qu’il voulait faire passer dans sa musique.

Majnoun : Je comprends. L’idée, c’était de pouvoir mettre fort sans que ça te casse la tête. Comme un peu des tubes de pop qu’on adore…

LFB : Tu vois Boy il est surprenant parce qu’il est très très pop. La première fois que je l’ai écouté, je ne m’attendais absolument pas à ça. Bestlife, c’est pareil. Il y a un truc qui est percussif mais doux en même temps.

Majnoun : On a voulu faire une petite blague au public en sortant On est les mêmes et après Boy. On s’est dit bah ils s’y retrouveront (rires)

LFB : Mais c’est intéressant parce qu’en fait c’est aussi challenger justement le public qui vous suit depuis un moment.

La Bête : Je suis content, d’ailleurs, on a enfin nos premiers déserteurs. Sur Facebook par exemple. Je ne savais même plus qu’on avait un truc. J’y suis allé pour des questions toutes bêtes parce qu’on m’avait dit qu’il y avait un Facebook qui existait encore. Et effectivement, on n’est plus la génération Facebook. (rires)

LFB : Est-ce que justement le fait d’avoir énormément tourné en formule club ça a influencé le son de l’album ?

La Bête : Ça a plus influencé l’énergie que le son. Parce que le son, justement, on voulait quelque chose qui contrecarre. Ce n’est forcément pas la même chose. La musique de club et la musique pop n’ont pas les mêmes codes, ni musicaux, ni même régis par les mêmes catégories. On ne pouvait pas les mettre sur le même palier en terme de son. Par contre, on s’est bien évidemment ultra rapproché de ce que le club créé c’est-à-dire une énergie directe, instantanée et sincère, je pense.

Denis Darko: C’est aussi le fait qu’on a quitté les instruments, mais ça c’était un truc important et on s’est plus assumé en tant que justement collectif de cinq chanteurs. Et c’est en fait le processus de l’album où il y a plus ça qui ressort que sur les morceaux d’avant et sur les voix qui sont en avant, le fait qu’on on interagissent, nos voix interagissent entre elles au sein d’un même morceau.

LFB : C’est quelque chose que vous allez garder ?

Denis Darko : Pour le moment.

LFB : Si vous aviez des albums, des bouquins, n’importe quoi, à rattacher à l’album, qui ont eu une influence sur la création…

La Bête : Hedwig and the Angry Inch, c’est un film de John Cameron Mitchell. Que dire dessus ? A part que c’est un mythe et un mythe incroyable, un film culte que personne ne connaît ou pas assez de monde en tout cas. On l’a regardé quand on écrivait dans une session d’écriture. C’est un monde fantasmé. C’est trop en avance sur les années 1990 pour ce qu’il disait et répond maintenant à ce dont on a besoin maintenant.

Photos : Céline Non
Retrouvez notre chronique de Le Club c’est vous de Bagarre par ici