Bandit Voyage : « Ortolan et Eau de Vie de Pomme! »

En cette toute fin d’année 2021, nous avons rencontré Bandit Voyage, juste avant qu’ils ne rejoignent Laurent Goumarre pour un Côté Club sur France Inter où ils allaient partager l’antenne avec Alain Chamfort. Avec deux magnifiques EP édités chez Entreprise (que vous pouvez trouver regroupés au sein d’un même vinyle), Bandit Voyage traverse le paysage de la nouvelle scène musicale francophone avec l’énergie et l’euphorie qui leur sont propres. Qu’importe le Bandit pourvu qu’il y ait le Voyage ! Ou plutôt qu’importe le Voyage pourvu qu’il y ait le Bandit !

Crédits Photos : Damien Breton

La Face B : Comment allez-vous. ?

Robin : Ce matin, je me suis levé tardivement, vers 11 heures. Ça faisait longtemps que je n’avais pas autant dormi d’une seule traite !

Anissa : Et moi, je me réjouis que cette année se termine. Et, même si elle a été plaisante, que l’on puisse vivre de nouvelles aventures en 2022. J’en ai un peu marre de cette année. C’est bien de la voir se terminer.

Robin : C’est légitime.

La Face B : En s’appuyant sur le nom de votre groupe, quelle est la part de Bandit et Voyage chez vous ?

Anissa : J’ai aimé croire que j’étais le Bandit et que Robin était le Voyage. Mais au final, on s’est rendu compte que l’on était les deux !

Robin : L’idée est de ne pas avoir une base solide. Chez nous, on est assez libres. C’est ce qui nous permet de beaucoup bouger, d’aller partout. On avait cette idée. Et quand on a commencé notre histoire, pour mille et une raisons, cela s’est fait un petit peu sous la cape. On s’est retrouvés comme des bandits, à beaucoup bouger. Le premier concert que l’on a fait s’est déroulé à Los Angeles. Il y a donc ça aussi, la naissance du groupe s’est faite pendant un voyage. On a dû trouver un nom. On se sentait un peu comme des bandits, comme Bonnie et Clyde. Et il y avait cette volonté d’évasion et de liberté.

Anissa : Il y a eu aussi l’idée, elle nous est venue plus tard mais elle est chouette à évoquer, que Bandit Voyage étaient deux termes que l’on retrouve dans la langue française et anglaise. En Angleterre, on parle aussi de bandit ou de voyage. Du coup c’est un truc qui marche hyper bien.

Et puis à ce moment-là je commençais aussi un projet solo que j’avais appelé Banditbandeau. Dans ma grande idée de choses qui se rejoignent et de vie de tiroirs, je voulais que tous mes groupes aient en eux le mot Bandit. Comme cela, tout allait revenir à un univers commun

Robin : C’est un peu mégalo quoi.

Anissa : Oui, c’est très mégalo [Rires]

la Face B : Bandit Voyage a un style qui lui est propre, non aisé à caractériser. En lui trouvant une analogie gustative, si on devait rapprocher votre groupe d’un plat ou d’une boisson, quelle apparence prendrait-il ?

Robin : Si on était une boisson, on serait sans doute une eau de vie de pomme. Parce que le fruit a fermenté pendant longtemps avant d’être distillé et de devenir transparent mais ultra-fort. D’ailleurs il se trouve que l’on a vraiment fait une eau de vie de pomme « Bandit Voyage ». C’est un produit très terroir de chez nous. Je suis ancré dans la vie genevoise. Je suis né à Genève, de parents genevois de la campagne. C’est très rare, comme les Parisiens qui viennent de Paris : il n’y en a pas. Mais j’en suis le contre-exemple en étant à 100% Genevois. Ça te va Anissa de dire que si on était une boisson on serait une eau de vie de pomme à 42 ?

Anissa : Oui et j’ai même envie d’ajouter, métaphoriquement, que de loin on pourrait croire que c’est de l’eau, quelque chose d’assez agréable. Et quand on l’a en bouche, ça nous prend et ça nous fait mal. Que l’on aime ou que l’on aime pas, cela produit une réaction épidermique. Un peu comme notre groupe au final ! [Rires]

Pour un plat, j’avais envie d’ajouter… je ne sais plus comment cela s’appelle, ce plat que Maïté faisait avec un oiseau…

La Face B : L’ortolan !

Anissa : Exactement ! Il y a cette idée, que dès que tu te lances, tu oses. C’est un truc que tu as au fond de la gorge et qui va te rester. Mais même moi, je ne sais pas si j’arriverai à manger ensemble cet alliage.

Robin : Au moins après l’ortolan, tu as l’eau de vie de pomme pour te rincer la bouche. Donc ortolan et eau de vie de pomme !

Crédits Photos : Damien Breton

La Face B : Va pour le goût ! Et maintenant pour ce qui concerne l’ouïe. Qu’est-ce qui fait qu’un son Bandit Voyage sonne comme un morceau de Bandit Voyage ?

Anissa : J’ai l’impression, Robin tu donneras tes impressions ensuite, que c’est la ligne de basse de Robin et ma voix. C’est cet alliage. Peu importe que ce soit de la Pop ou de la Country, c’est cet alliage qui va en faire un produit Bandit Voyage.

Robin : La voix d’Anissa est quelque chose de très clivant dans notre groupe. La basse, ça l’est aussi. J’ai vécu les années des groupes sans basse. Par exemple le Johnson Blues Explosion, où tout à coup il n’y avait plus de sons de basse. Je me souviens d’une remarque d’un pote : « Mais c’est quoi ces groupes sans basse !? ». Alors je suis revenu à la basse avec l’envie d’en faire un truc très bavard, très sixties. La basse de Paul Mc McCartney est un moyen d’expression fabuleux. Je ne me suis jamais privé de faire beaucoup de notes.

Après la basse et la voix d’Anissa, je mettrais aussi la guitare d’Anissa, qui est assez grunge, assez basique et très groovy. Elle me permet de jouer beaucoup de basses dessus. Et puis nos boîtes à rythme Roland ! On a une immense collection de boîtes à rythmes, assez différentes les unes des autres. On en a pas mal changé en live et là, on s’est fixé sur une et elle fait aussi partie du son de Bandit Voyage. La Roland avec une ligne de basse, Anissa avec sa guitare et sa voix, voilà ce qui caractérise notre son.

Et puis de temps en temps on complète avec de l’autotune, comme tu as pu le remarquer. C’est marrant, parce que souvent à la fin des concerts, on nous dit : « J’aime pas l’autotune, mais sur la voix d’Anissa ça a du sens ». Après, on n’utilise pas l’autotune de la même manière que PNL.

Anissa : Alors que j’aurais peut-être besoin que l’on corrige ma voix avec de l’autotune, mais on a décidé de l’utiliser pour justement ne pas la corriger !

La Face B : Ce sont les aspérités qui donnent à la voix sa force.

Annissa : On se retrouve là-dessus.

La Face B : A propos de ces drums machines, elles structurent les morceaux et même en concert elles trônent devant la scène comme un musicien. Elles sont très marquées fin 70 début 80 – Blondie ou Phil Collins – comment avez-vous eu l’idée de vous en servir ?

Robin : Pour moi, ça a été plutôt une fascination de l’objet. Ce sont de beaux objets. Il y a des boutons de couleur. La proposition des beats, leurs dénominations : « Bossa Nova » « Rumba » « Beguine » sont évocateurs. Ce n’était pas pour ne pas avoir de batteur et le remplacer par une drum machine. Non, c’était plutôt, l’objet qui va accompagner le groupe. De fil en aiguille on a récupéré des Korg, des Univox, des Roland, dont la fameuse 808 utilisée par Phil Collins ou Marvin Gaye.

Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, ça rend notre musique hasardeuse. On était récemment avec des québécois qui nous disaient « Finalement vous êtes avec la boîte à rythmes, vous n’êtes pas esclaves d’une séquence ». On appuie sur « play » et dessus on joue ce que l’on veut. Son utilisation est venue de là.

Ensuite, on n’a pas que des morceaux avec la drum machine. On apprécie d’avoir de la batterie suivie de la drum machine, ou même pas de beat du tout. On a aussi deux ou trois morceaux juste guitare-voix. Ça nous permet de faire beaucoup de va et vient. Etant donné que la couleur dominante est donnée par la voix d’Anissa, cela nous laisse beaucoup de liberté.

Anissa : Et j’ai aussi envie de dire que la boîte à rythme, c’était au début un choix de ne pas avoir de drummer. Quand on a commencé le groupe, on était un couple. On avait envie d’être que tous les deux. Ça a été la réponse à cette envie, au-delà la fascination que porte Robin aux boîtes à rythme.

C’est aussi parfait d’avoir une boîte à rythme parce que l’on a besoin d’avoir quelque chose de solide. Comme je commençais la musique ça m’aurait mis dans une sorte de stress d’avoir un vrai humain qui me dise « On y va, on y va, on a cette partie à livrer, c’est pas là,  … » ça m’a donné une sorte de liberté qui m’a permis de trouver ma place en tant que musicienne. On n’avait pas de questionnements de rythmique.

Robin : Je suis hyper touché par ce que tu as dit. C’est vrai que c’est bien de rendre hommage à cette boite à rythme. On en parle mais je crois qu’elle nous a permis d’être ce que l’on est. Il y a plein de gens qui sont musiciens sans jouer d’instrument, ce qui était le cas d’Anissa. Elle a appris la guitare et à développer ce côté-là. Mais elle est complètement groove. Il y a des gens qui sont davantage musiciens mais qui ont moins le sens du tempo.

Anissa : J’avais l’opportunité d’avoir chaque son. Quand tu commences, c’est magnifique. Du coup, je ne jouais pas des rythmes reggae, je ne jouais pas des « 2-4 ». Je jouais des « 1-2-3-4 », « 1-2-3-4 ». Et ça m’a permis de pouvoir me lâcher et de juste me concentrer sur comment je voulais chanter. Ce n’est pas évident de faire de la guitare et de chanter en même temps quand tu n’as pas eu cette pratique avant.

Crédits Photos : Damien Breton

La Face B : Et ça nous ramène à la fin des années 70 début des années 80 dans le tourbillon de la new wave qui se formait alors. Dans ta voix il y a un peu de Lene Lovitch. Ce sont des choses que vous écoutez ?

Robin : Je ne vois pas comment tu peux être musicien sans être un grand mélomane. C’est quelque chose qui m’a beaucoup fasciné chez Anissa. On a 12 ans de différence d’âge, mais elle connaît tous ces courants, elle aime tellement la musique. Ce qui était chouette aussi, c’est qu’elle venait avec des références nouvelles, que je ne connaissais pas. Le RnB moderne, pour elle, cela va de soi, mais elle a également toutes les autres références. Je me demandais comment c’était possible que quelqu’un de son âge connaisse tout cela. On écoute autant du reggae que de la dub ou du garage, mais avec une petit prédominance pour la musique jouée. Le Rock’n’roll avec guitare, basse et batterie cela reste quelque chose que l’on adore.

Anissa : Oui, c’est ce qui constitue la force du duo. On arrive avec nos registres séparés et on les mélange ensuite. C’est hyper intéressant parce que Robin venait de quelque chose qui était un peu plus soul, world musique, bayou, jazz. Il venait de la naissance des styles et moi de leurs enfants. Du coup, Robin m’a ramené aux styles mères et moi, je l’ai emmené à leurs enfants. On a alors pu faire de toutes nos références une sorte d’arbre assez énorme. De Thelonious Monk, au Stranglers et même à Alain Chamfort.

Robin : Oui, Alain Chamfort on l’aime aussi. On aime le parcours de ces seconds couteaux de la chanson française, comme lui ou William Sheller. Ces gens-là font des trucs hyper qualitatifs, bien fichus. Ça nous parle. On est honoré de rencontrer Alain Chamfort ce soir.

Anissa : Et outre les tubes que font les grands musiciens, ce qui est intéressant pour nous c’est d’aller écouter toutes leurs chansons. Quand tu vas parler d’Alain Chamfort à quelqu’un, il va peut-être te citer que deux chansons, alors qu’en fait, il a tout un registre tellement énorme derrière lui. Et c’est intéressant de rencontrer ces gens-là.

La Face B : Anissa, tu viens d’une famille un peu particulière, dans laquelle la créativité est hyper féconde. Qu’est-ce qui a fait qu’il y ait eu un tel creuset ?

Anissa : Dans la malchance de notre enfance, on a eu la chance de pouvoir se construire seuls. C’est parfois un malheur mais cela peut aussi être une chance. J’ai l’impression que dans notre famille, on a su bien le prendre, grâce aux livres et à la musique. Ce que j’aime bien dans notre famille, c’est que ma mère étant algérienne et mon père né sous X, on a deux cultures très différentes. Ma sœur s’est davantage réfugiée dans le jazz, la soul et les grandes chanteuses arabes de ma mère. Moi ça a été dans le rock français et anglais de mon père. Il était très mélomane, ancré dans la musique française.

J’ai eu cette chance d’avoir deux cultures si différentes dans notre foyer. Cela nous a permis d’avoir une créativité extrême et très diverse. Quand tu écoutes Flèche Love ou Bandit Voyage, cela n’a rien à voir. Ce sont deux mondes éclatés et pourtant le facteur commun, j’ai envie de dire – même si c’est un peu cliché – c’est la souffrance. C’est la souffrance, même au sein d’un foyer, de se sentir un peu née seule. Là-dedans on s’est retrouvées et on s’est permis d’être un peu « too much » comme diraient certains, et d’un peu tout éclater autour de nous.

Robin : C’est vrai que vous êtes bien « too much ». En parlant tout à l’heure, tu m’as dit que la première fois que tu nous avais vus, c’était au Pop-Up du Label et que tu t’étais rendu compte qu’à tes côtés il y avait Flèche Love.

Anissa : Et qui dansait comme une folle ! Malgré, ou plutôt grâce à nos styles différents on a toujours réussi à se soutenir sans qu’il n’y ait aucune jalousie ou problème d’ego. C’est ma grande sœur, elle a commencé le chemin et ouvert la voie. Mine de rien, même si on est dans deux registres différents, elle m’a montré que c’était possible d’être une femme, de monter son projet.

Robin : C’est en ça qu’elle est géniale, Flèche Love. C’est une self made girl !

Anissa : Elle est magnifique et bouleversante. Quand je dis « too much », en fait pour moi, on est normales par rapport à nos prismes. Mais par rapport à d’autres gens, c’est vrai que parfois on ose, que ce soit dans nos corps ou dans nos styles, à aller vers un ailleurs. Ça m’a fait du bien d’avoir eu cet exemple avant. Peut-être que je ne l’aurais pas fait comme cela sans elle.

La Face B : Et vous vous êtes toutes les deux retrouvées dans le clip Ma Mère

Anissa : Exactement.

Robin : Un grand moment pour moi.

Anissa : Robin était un peu comme kidnappé. Une sorte de coup de foudre d’une famille algérienne qui dégénère. C’était l’idée de départ mais on a vraiment vécu cela dans le clip. C’est souvent ce qu’il se passe quand il participe à nos dîners de famille. Il y a de l’histoire vraie là-dedans.

Robin : Ca s’écoute, ça s’engueule, ça rigole. C’est du n’importe quoi et c’est très vivant [Rires]

La Face B : Dans l’amour sur le beat, il y a un feat avec Lee « Scratch » Perry, qui est malheureusement décédé depuis. Qu’est-ce qu’il représente pour vous et comment s’est montée cette collaboration exceptionnelle ?

Robin : La première chose que tout le monde nous demande, c’est comment on a fait. C’est que simplement, il vivait en Suisse. On savait qu’il vivait en Suisse. Je l’ai vu deux fois en live, une fois en Angleterre et une fois en Suisse. Mais je ne savais pas vraiment ce qu’il représentait pour moi avant de le rencontrer. Ça s’est clarifié à ce moment-là. On lui a envoyé le morceau. Il devait être content de sortir du groupe de reggae polonais qui lui demande un feat. Ce qui nous intéressait c’était sa manière de produire, sa manière de considérer la musique. Il a quand même dynamité le bordel !

Anissa : L’intelligence de sa manière de faire de la musique. A 83 ans, il a pris pour un honneur qu’on le contacte pour faire une musique qui est totalement en dehors de son style, alors que plein d’artistes ont passé tant d’années à forger ce style. Pour lui c’était un plaisir.

Robin : Il nous a envoyé ses tracks. Cinq différentes où il chante avec nous. On a dû faire le tri parce qu’évidemment comme c’était en plein Covid on ne pouvait pas être proches. Par contre, on lui a demandé s’il acceptait de faire le clip avec lui et il nous a dit oui. Et là, on a eu l’honneur d’entrer chez lui. Il nous a fait poireauter une bonne heure. C’est quelqu’un qui vit la nuit. On avait rendez-vous à 18h30 au centre de la Suisse primitive, au sein des trois cantons qui ont fondé la Suisse. Il vivait là-bas. On est arrivés et on a attendu dans cette espèce de domaine, une baraque assez mystique où Judas rencontre Bouddah qui rencontre le Lion qui rencontre le Christ. C’était assez marrant.

Et il est arrivé déguisé en Père Noël comme on le voit dans le clip. Je me rappelle ses mains, il s’était crémé les mains. Il sentait bon et s’était fait beau pour nous recevoir. Il faut dire que le pitch du clip était : « Lui amener son fils illégitime qu’il aurait eu avec Anissa ». Et sa femme lui a fait croire que c’était la vérité.

Anissa : Que j’allais arriver avec son enfant et que j’allais vouloir, je ne sais pas, peut-être de l’argent. Lui pensait sans doute : « Mais qu’est-ce qu’elle veut ?»

Robin : Un truc improbable. Et il s’est fait beau parce qu’il pensait qu’il allait voir un de ses descendants. Et en fait, il a vu une poupée en plastique.

Anissa : Et avant de la voir, il disait en descendant les escaliers : « Where’s my baby ? »

Robin : Il y avait un jeu entre ce qu’il savait, ce qu’il ne savait pas. Ce qu’il avait compris…  Mais au-delà de tous ces détails un peu rigolos, voir un type qui avait autant de lumière dans les yeux à son âge… Si je peux mourir avec la même lumière, ça voudrait dire que j’ai pu faire ce que j’aimais dans la vie. Et lui, c’est quelqu’un qui a fait ce qu’il aimait. C’était un producteur génial. Hormis les choses que l’on connaît de lui, il a fait aussi tout ce que l’on connaît pas et dont on a un peu plus l’idée depuis qu’on l’a rencontré. C’était un chanteur super. C’est un immense honneur de l’avoir eu avec nous.

D’ailleurs on a fait d’autres choses avec lui par la suite et on a même reçu des enregistrements pour des petits morceaux. On a probablement les derniers morceaux qu’il ait enregistrés. Ca donne à réfléchir sur comment on aimerait vivre ça. On n’a pas envie de capitaliser là-dessus, on n’est pas comme cela, mais c’est important de l’honorer.

Anissa : C’était un homme fascinant.

La Face B : Vous avez sorti deux EP sur le label Entreprise. Cela aurait pu constituer un album. Qu’est-ce qui a œuvré pour ce découpage ?

Anissa : Pour être honnête, personnellement je ne m’inscris pas dans ce choix. Rétrospectivement, j’ai plutôt l’impression que le label, et nous aussi, ne voulions pas faire une arrivée trop « On est personne mais on arrive directement avec un album compliqué de 10 chansons ». On voulait plutôt faire une arrivée progressive. Bandit Voyage est un groupe éclectique. On pourrait sortir demain un morceau country et puis, si on en a envie, sortir une chanson techno. C’était compliqué pour le label de savoir comment nous positionner. Pouvoir montrer cinq chansons et dire : « Digérez-les, il y en a cinq autres qui arrivent après. »

Robin : J’ai bien aimé le délire du label de dire « Un premier EP puis un second EP » et de les réunir sur un vinyle. Le but c’était de les avoir sur un vinyle. C’est mixé par quelqu’un de super aux Etats Unis et masterisé par le fameux Chab à Paris. C’est un des vinyles qui sonne le mieux que j’aie jamais fait.

Le label cherchait une manière de faire et il nous en a proposé une. Ils galèrent à cause du Covid, parce que l’on est Suisses en France, que la scène musicale est déjà encombrée de groupes cool ou moins cool mais qui doivent avoir leur place. Le « Comment tu fais ? », c’est une stratégie de label. Simple mais efficace. Cela permet de faire plusieurs singles. Et cela a marché parce qu’à chaque sortie on a été diffusé sur les radios. En France, avec une musique comme on en fait, un peu compliquée d’accès, terminer avec quatre morceaux programmés sur les radios principales c’est quand même sympa.

La Face B : C’est vrai que le format de l’EP est quelque chose qui est inscrit dans les gènes du Label Entreprise.

Anissa : Ça nous permet d’arriver en douceur mais également d’avoir au final un produit de dix chansons. La première chanson, on a dû l’écrire il y a déjà deux ans. C’est aussi ce qui est frustrant. Si j’écris une chanson aujourd’hui, elle ne sera pas sortie avant six mois.

Robin : Anissa est capable de rentrer ce soir, de prendre la guitare après avoir fumé un joint et de chanter : « Au bar des Ondes avec La Face B ». Elle peut le faire. Et puis je vais dire : « Trop bien, attends je vais mettre une boite à rythme » … C’est un truc de l’instant. Le fait de rentrer dans un label qui est lié à Sony, ça nous oblige à temporiser un peu notre réactivité. On a fait ce choix et on n’a pas tout de suite compris ce que ça allait provoquer chez nous parce que des morceaux, on en faisait tous les trois jours.

Anissa : C’est là où la liberté du live est hyper importante pour un groupe comme nous. Si demain on a un concert et que je viens d’écrire une chanson, on va la jouer. Ce ne sera que trois minutes de notre temps. Si c’était le pire bide de nos vies, ce ne serait pas grave. Ça n’aura été que trois minutes dans le temps. Si c’est chouette, on se dira « Pourquoi pas la garder pour plus tard ». C’est pour cela qu’il est toujours important d’avoir la scène. C’est un exercice, pas pour faire tester aux gens, mais pour nous. Et l’album c’est un truc qui est, quand j’y pense, extrême. Comment mettre un son dans le temps ? Est-ce que c’est cela que l’on veut garder ou non ? Je ne le sais même pas.

Robin : C’est connu, tout artiste qui sort son disque et qui est un peu organisé a déjà composé celui d’après. Nous, c’est le cas. On a déjà ce qu’il faut. On a deux envies. Soit d’aller à San Francisco avec Sonny Smith de Sonny and the Sunsets, qui est un de mes génies préférés, le Daniel Johnston des temps modernes. Ou alors d’aller en Egypte pour jouer avec des gens de là-bas. Anissa a fait beaucoup de projets avec des gens d’Algérie. On a envie de connaître des mondes différents, où vivent d’autres musiciens qui abordent la musique différemment.

Anissa : Ou sinon, troisième possibilité, on reste dans ma chambre. On n’est pas à l’abri que par flemme on enlève la partie Voyage pour ne garder que le Bandit.

La Face B : Avant d’être à Entreprise, Bandit Voyage faisait partie du label Cheptel qui tu as d’ailleurs fondé, Robin. Qu’est-ce qu’apporte ce nouveau label. Une ouverture à l’international ?

Robin : La Suisse, comme je le disais avant est un microcosme dont le monde se fout complètement. La preuve, c’est qu’il est très difficile de citer des noms de groupes suisses, alors qu’autour de nous on a quinze groupes géniaux. L’idée c’était de se dire : « On quitte une famille pour en trouver une autre ». Et peut-être que l’on s’est rendu compte qu’en entrant en France, dans un pays qui est beaucoup plus grand, on n’est pas tombés dans une famille mais dans un label qui nous a apporté quelque chose de différent. Par contre, on a un peu perdu le contact de nos copains, de nos featuring « facile ». Là, les featurings sont devenus Lee Perry et Entreprise/Sony. Alors qu’avant on avait tout un monde qui nous rendait vivant. On a dû s’adapter.

Anissa : Après ce que cela change, concrètement, c’est qu’on est à table avec toi. On va aller faire un mini live à France Inter. La semaine passée, on a été au Bars en Trans. Je pense que ce sont des petites choses qui changent quand même pas mal d’autres choses. Rien que d’être ici ce soir à Paris, alors que ce matin j’étais à Genève. On est à table pour parler de notre album. C’est un plaisir. C’est trop chouette. Ce sont des choses qu’Entreprise nous ont fait avoir. C’est pour cela que l’on est vachement content. On se rend compte qu’on est un groupe pas facile, dans l’idée où c’est soit un coup de cœur soit : « Ne me fais jamais écouter cette musique !». C’est pour eux un challenge assez compliqué et l’on est heureux d’avoir trouvé des gens qui croient en nous.

Robin : On est reconnaissant qu’un label assez mainstream ce soit dit : « On va tenter l’aventure avec eux parce que ça vaut le coup ». Parce que la musique en France a aussi besoin d’être shakée.

Anissa : La musique avant tout ! Je suis contente de voir que notre groupe ait signé. Pourquoi nous et pas les autres ? Alors qu’aujourd’hui j’ai l’impression que les labels auraient plutôt envie de signer de la Trap ou du Disco. Quelque chose qui marche. Je suis juste super heureuse de me dire qu’en France et dans le monde il y a encore des labels qui osent.

Robin : Ils ont pris des risques, ils ont fonctionné au coup de cœur mais c’est dur pour eux. Ça ne se passe pas comme ils aimeraient. Il y a eu la phase Covid.

Anissa : On a signé la veille de l’annonce du Covid. C’était vraiment une blague. Le soir : « On est libre de tout ! » et le lendemain c’était « Je vais rester toute la vie chez moi ».

La Face B : Il y a une économie qui doit se réinventer.

Anissa : Heureusement qu’il y a quelques signatures qui marchent vachement bien, car ça permet à des groupes comme nous de pouvoir s’incruster de rester un coup de cœur et non un coup d’argent.

La Face B : Et en Suisse, vous avez conservé des attaches avec le label Cheptel chez qui vous étiez ?

Robin : En fait Cheptel c’est mon label. Je l’ai monté dans le but de sortir en Suisse des groupes qui chantent en français. Au moment où on avait commencé, il y avait en France Fauve, Flavien Berger ou La Femme. Je me suis dit qu’on avait pareil. En créant ce label on s’est rendu compte qu’on était entouré de groupes géniaux. Et puis comme je fais aussi de la musique… Les deux autres personnes avec qui j’ai fondé le label ont aussi des groupes : Adieu Gary Cooper qui est un groupe super et Le Roi Angus. Concernant Le Roi Angus, ils viennent d’enregistrer avec Renaud Letang et sont partis pour faire un bel album.

Quand on a monté ce truc là, on s’est aussiconstitué une famille. On sera toujours sur Cheptel quoiqu’il arrive. Pour Bandit Voyage, j’avais présenté les démos aux autres. Ça a été une chouette sortie du label. Cela nous a porté conjointement, nous et le label. ça a été une belle convergence.

Anissa : En Suisse, un label ne sera jamais comme ceux que l’on va trouver en France. En Suisse, un label c’est plutôt un ami très spécial qui va dire « C’est super, on croit en toi, on ne va pas t’offrir des trucs de ouf mais tu vas être sur notre bandcamp et si on peut te financer un disque avec ce que l’on a, on le fait ». Du coup c’était un avantage pour nous. Notre liberté était à nos débuts ce qui était le plus important. C’était parfait. On avait juste une petite famille qui nous disait « On vous adore » et non « Là à 1’27’’ ce que tu dis ça ne va pas, et puis après il faudrait un break de batterie ».

Robin : C’est une famille créative. Ça a beaucoup excité les médias en Suisse et on s’est un peu retrouvés au centre d’un nouveau mouvement. C’est quelque chose que l’on a quand même un peu perdu. Et à la fois, le but de ce label est de pouvoir rendre des groupes visibles. D’ailleurs lorsqu’Entreprise nous avait booké à cette soirée là (AVENTURE(S) #2 – Le Pop-Up du Label mer. 27 févr. 2019), ils checkaient ce qu’il se passait sur Cheptel. Ils se sont dit « Il est pas mal ce groupe ». C’est comme cela que ça s’est passé.

Anissa : Et puis on voit qu’il se passe des choses en Belgique et au Québec. Et la Suisse, elle en est où ? C’est une envie de réunir toute la francophonie et de se dire que l’on a des pépites partout.

La Face B : Après, c’est la musique qui compte peu importe d’où elle vient.

Anissa : C’est clair, mais parfois on se sent un peu comme les rejetés. Dans une grande cour d’école, on serait un peu laissés de côté.

Robin : Ce qui est marrant c’est qu’on se sent vraiment cousins avec les québécois. Il y a comme une fratrie non française qui se dessine. Il y a toujours un peu ce jeu d’amour-haine envers la France.

Anissa : Les rejetés se retrouvent ensemble.

La face B : Pour conclure, et même si on les a déjà un peu évoqués, quels sont vos projets pour le futur ?

Robin : On aimerait bien partir à San Francisco pour renouer avec le début de Bandit Voyage. Je produisais alors un disque à San Francisco. Mais avant d’aller en studio, on est partis en vacances en Californie avec le groupe que je produisais : Los Angeles, San Jose et San Francisco. Après ces vacances, je suis resté à San Francisco et Anissa est retournée en Suisse. L’idée est maintenant de reboucler une boucle.

Anissa : Moi, je reviens avant toi et toi tu me rejoins après !

Robin : Ou si ce n’est pas San Francisco, pourquoi pas un studio dans un pays un peu inhabituel pour aller à la rencontre d’une autre manière de bosser. J’ai enregistré un disque à Istanbul et j’ai adoré leur style de travail. Chaque pays a son école et chaque école a sa manière de travailler. En France par exemple, elle est très différente de celle que l’on a en Suisse. On ne s’en rend pas compte mais bosser en studio en France, n’a rien à voir avec bosser en studio en Suisse.

L’idée est donc de réenregistrer un disque après avoir fait plein de concerts et plein de compos et plein de collaborations, mais soit en Egypte soit en Californie.

En collaboration, on est en train de faire un truc avec un quintet de jazz génial qui s’appelle Léon Phal Quintet. C’est intéressant d’aller faire des live-captations à Paris. Cette liberté que l’on a peut faire penser à du free jazz. C’est un lien qui serait magnifique.

Anissa : Ce soir, on va proposer à Alain Chamfort de faire un EP Disco [Rires]. En vrai, on a envie de faire plein de choses. Mais on ne sait pas encore ce qu’il faut faire. Tout accepter, jouer partout, sortir ce dont on a envie ou faire des choix. On est dans ce moment hyper excitant, où on se demande quelle forme on souhaite donner à Bandit Voyage. Traîner dans des bordels toute la nuit ou retourner en cour de récré. On ne sait pas si on doit en faire trop ou pas assez. Même si personnellement, je serai toujours pour en faire trop !

Robin : C’est ce qui nous a beaucoup manqué ces dernières années : les petits moments entre nous en studio, à composer, à délirer.

Anissa : En2022, on aura beaucoup de moments en studio, ensemble.

Robin : Recommencer à composer, c’est génial de faire cela. Tu te rends compte que le studio est devenu le musicien de plus dans ton groupe. On est deux ; mais en vérité le troisième membre de Bandit Voyagen c’est le studio. C’est quelque chose qui a disparu avec le Rap ou la Trap. Le studio est un espace créatif, tellement ahurissant et sans limites.

Mais qui ne fait pas tout. D’ailleurs, le tout premier single fait avec Entreprise qui n’est pas sur le disque, Attendons demain, est enregistré dans la chambre d’Anissa sur une carte son à deux francs [suisses].

Anissa : On mangeait des spaghettis !

Robin : On m’entend manger derrière. Et c’est ce qui rend ce morceau chouette. Tu as la voix d’Anissa avec derrière quelqu’un qui bouffe des pâtes. Personne n’a dit que ce n’était pas bien. Des fois, c’est quoi cette folie qui dit que tout doit être clean, enregistré dans des cabines avec des micros à 3000 balles ?

Anissa : Il faut essayer les deux. Essayer le sale et le pur.

Robin : Vivre le studio, développer en studio, se donner les moyens. On est là pour créer. Mais non, la musique maintenant il faut qu’elle soit efficace. Un bon exemple, c’est le single de Fishbach, qui est sur notre label. C’est quelqu’un de génial, et le premier single de son nouvel album vibre vraiment. Et puis le single d’après, bam, disco, « Alexandrie Alexandra ». C’est voulu. Parce que maintenant après La Grenade de Clara Luciani et les chansons de Juliette Armanet, il faut faire cela. Le son est devenu Disco compressé. On se dit que maintenant on utilise le studio pour faire sonner les choses de la même manière. Alors que le studio, c’est au contraire l’idée de les éclater.

Anissa : Pour revenir à Fishbach, ce qui est jouissif, quand tu es à sa place aujourd’hui dans la musique, c’est de pouvoir faire une chanson hyper intime chez toi et une semaine après d’être en studio avec les meilleurs musiciens pour faire la chanson la plus efficace du monde. On rêve tous d’être efficace, de dire des bêtises. On rêve tous de tout faire. Je pense que le rêve du studio c’est de pouvoir faire une petite chanson là avec ton zoom et demain d’en faire une autre avec les meilleurs ingé son du monde. D’être dans l’extrême.

Robin : Tout ce que tu peux faire possède une valeur. Je crois qu’aujourd’hui la musique se stérilise beaucoup. Il faut savoir se balader là-dedans. Pour nous c’est génial de pouvoir faire des morceaux hyper clean et à la fin de l’album un morceau juste guitare chant.

Anissa : Et peu importe la prod finale. J’ai envie de dire que si une chanson, qu’elle soit un tube ou quelque chose de plus intime, peut être jouée à la fin juste en guitare voix, c’est une bonne chanson. Que ta chanson soit la plus produite, la plus arrangée possible, si tu peux la reprendre en guitare voix et qu’elle passe, elle devient la meilleure chanson du monde. Espérons que tous les tubes seront des guitares-voix magnétiques. 

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