Apaisé mais toujours un brin indomptable, Béesau revient avec Une Fleur et des Papillons, deux ans de vie, d’amour et de sons condensés dans un projet libre et sincère. Rencontre avec un artiste de La Rochelle qu’aucune étiquette ne semble pouvoir contenir. Interview avec des papillons dans le ventre.

La Face B : Il y a 5 ans tu disais que la salle de tes rêves c’était La Cigale, est-ce qu’aujourd’hui c’est un peu la même scène de tes rêves, ou ça à changé ? Tu y performes d’ailleurs ce soir dans le cadre du festival MaMA.
Béesau : J’avoue que j’avais dit ça, mais non, maintenant je préfère le Trianon, je trouve ça plus joli. Mais par contre j’aimerais bien faire une Cigale, car là c’est différent parce que c’est un festival, mais j’avoue que remplir une Cigale à ton nom, c’est quand même quelque chose.
La Face B : Tu y as fait quel concert que t’as kiffé ?
Béesau : Où j’ai joué ? Bah justement, on avait fait l’Or du commun (ndlr : ODC), où j’étais venu jouer avec eux, et surtout un gros souvenir que j’ai, c’était avec Zed Yun Pavarotti, je suis méga fan de lui, et c’est mon bête de pote en plus, et je suis le seul guest qui n’a jamais invité personne sur scène, je suis le seul guest, et on avait fait deux morceaux, c’était trop beau, c’était fou.
La Face B : Sur scène, tu joues seul avec ta trompette et tes machines ? Parce que t’es à la fois compositeur, beatmaker… comment ça se passe en live ?
Béesau : Non, on est quatre sur scène. J’essaie toujours d’y être avec le groupe, même si c’est galère à caler avec les tourneurs. Parfois, je joue solo, surtout en première partie — je bricole avec mes machines, c’est un autre délire.
À la base, j’ai toujours été beatmaker, depuis mes 14 ans. Et avant d’avoir un vrai nom d’artiste, je jouais beaucoup dans les clubs de jazz, je montais sur scène avec plein de groupes. Là, je retrouve un peu cette énergie-là. Sauf qu’aujourd’hui, c’est plus stressant… parce que maintenant, je monte sur scène sous mon propre nom.
La Face B : Tu es encore stressé un peu avant de monter sur scène ?
Béesau : ouais, tout le temps.
La Face B : Tu fais comment pour gérer ça ?
Béesau : Je ne sais pas (rires). Je fume des clopes avant, c’est pas ouf. après la trompette c’est un instrument que je pense que je ne comprendrai jamais, toute ma vie j’aurais toujours du mal à comprendre.
La Face B : Justement, est-ce que tu as encore quelque chose à apprendre dans la trompette ?
Béesau : Bien sûr, mais moi je suis zéro à côté des vrais trompettistes. Déjà, je suis pas un grand technicien — c’est un choix, c’était pas l’idée de base, et ce n’est pas ce qui me fait kiffer. La trompette, c’est un instrument hyper exigeant, tu sais jamais comment ca va sonner : tu t’arrêtes trois jours, t’as l’impression d’avoir tout perdu.
La Face B : Tu joues tous les jours ?
Béesau : Non, justement, c’est bien ça le problème.
La Face B : Tu redeviens novice à chaque fois ?
Béesau : Je redeviens novice un peu toutes les semaines (rires). Mais là, ça fait une semaine et demie que je bosse quand même tous les jours, parce qu’il y a le concert. Comme je bosse en studio en tant que beatmaker, je joue pas tout le temps de la trompette. Après 6 ou 8 heures de prod, le soir, t’as pas envie de te mettre du cuivre sur la gueule — c’est froid.
La Face B : Parce que toi tu as baigné depuis ton enfance dans la musique ?
Béesau : J’ai commencé la musique à 7 ans, au conservatoire — ma mère m’y avait inscrit. J’étais en classe à horaires aménagés, entouré de premiers de la classe, alors que moi, pas du tout. Du coup, je me sentais un peu le cancre du lot. J’ai fini par me faire virer à 14 ans, et c’est là que j’ai vraiment découvert que je voulais faire de la musique. J’ai arrêté la trompette, acheté une MPC, un ordi, une basse… et j’ai découvert le rap, vers 2007-2008.
La Face B : J’étais à La Rochelle, et je me demandais, est-ce que c’est La Rochelle là ou le clip court métrage de “pas encore” a été tournée ?
Béesau : Non, on était au Canada, je suis parti tourner à 5h de Montréal, mais vraiment c’est trop marrant que tu dises ça, parce que le Réal, c’est un Rémy Belleville, il est Québécois, et il a tout écrit en pensant à l’île de Ré.
La Face B : Je me suis baladé dans, j’imagine que tu connais, dans des marécages proche de la Rochelle.
Béesau : Ouais, ouais, bien sûr, bah si, les marées, c’est vrai que ça fait penser à ça. C’est ouf, ça ressemble de ouf, c’est trop marrant, et lui, il écrivait tout en pensant à ça, en se disant, il voulait aller tourner là, et je lui dis, mais mec, en fait, tu veux tourner en juillet, un truc un peu white trash, où il y a pas, il se passe pas grand chose, mais c’est le pire des endroits, aller en été quoi, ça va être blindé, tu vas être full touriste, et on a fait ça au Québec.
La Face B : Tu mélanges plein de styles — jazz, électro, un peu de two-step, voire des sonorités pop. Comment tu composes concrètement ? Tout passe par l’ordi ?
Béesau : Avant, j’écrivais les partitions, on les jouait, puis je réarrangeais sur l’ordi. Maintenant, je bosse directement en mode producteur : je lance mon clavier, je cherche des idées, et je me laisse porter. Pour ce projet, j’ai voulu éviter les références — pas de “fais comme ce morceau”. J’avais juste une direction claire : mélanger l’organique et l’électronique, trouver les bons sons, les bonnes textures. Et après, je deviens fou sur les mélodies. Si j’ai pas le truc, je peux passer une semaine sur huit mesures.
La Face B : Comment tu fais, ça ne te prend pas la tête ?
Béesau : Non, je kiffe. J’ai tellement l’habitude que je sais reconnaître quand c’est le bon truc. Quand ça arrive, c’est figé, je doute pas, je cherche pas mieux — je sais que c’est ça.
La Face B : Et la connexion avec le réal du clip, Rémy Belleville, elle s’est faite comment ?
Béesau : Au départ, tout s’est fait à distance. Le projet était fini depuis novembre, et on voulait un clip qui repositionne le tout, mais sans budget. On a contacté plusieurs réals, et quand j’ai vu le profil de Rémy, j’ai directement trouvé ça trop chaud. Il était à Montréal, on a échangé en visio, et deux jours plus tard, il m’envoie un script de 28 pages, super précis, avec des personnages écrits, des histoires derrière — même si on ne les voit pas toutes à l’écran. Ça m’a beaucoup parlé, je voulais absolument bosser avec lui.
La Face B : Dans le dernier morceau, il y a ce switch électro, très lumineux. Moi, j’ai tout de suite imaginé des buildings, des lumières, une ville pleine de gens qui sourient — un Paris idéal, presque. Et dans le clip, c’est l’inverse : c’est calme, naturel, apaisant. Tu voulais transmettre quelque chose de particulier ?
Béesau : Oui, complètement. Le morceau s’appelle Pas Encore pour une vraie raison. À la base, c’est une histoire d’amour entre deux amis de longue date. On se découvre amoureux sans trop se l’avouer. Elle s’installe à Paris, on vit un truc fort, puis elle me dit qu’elle veut arrêter — que je suis trop intense. Et là, je me prends la claque. Je marche dans Paris en larmes, mais avec un truc beau au fond : je me rends compte que je l’aime vraiment, même si je ne fais plus partie de l’équation. C’est triste, mais doux à la fois — un sourire un peu mélancolique. C’est ça que j’ai voulu mettre dans le morceau. Et pour le clip, j’ai raconté toute cette histoire à Rémy ; je voulais qu’il en fasse sa version à lui, à partir de ce que je lui avais confié.
La Face B : Quand tu composes, c’est d’abord une question d’émotion, ou juste le plaisir de faire de la musique ?
Béesau : Les deux. Mais quand je bosse sur mes morceaux à moi, j’ai besoin qu’il y ait du sens. Je peux pas juste faire un truc “cool”. Si ça ne raconte rien, ça ne m’intéresse pas. Je me suis toujours vu comme un musicien plus que comme un “artiste”. Aujourd’hui, tout le monde veut être artiste, mais pour moi, un vrai artiste, c’est quelqu’un qui a un univers. Donc sur ce projet, j’ai voulu raconter mon histoire.
La Face B : Ton histoire personnelle, du coup ?
Béesau : Ouais. L’album retrace deux ans de ma vie. Je raconte ce que j’ai vécu, sans chercher à faire passer un message politique ou autre — juste ma réalité.
La Face B : Et musicalement, tu te situes où ? Jazz, électro, rap ?
Béesau : Franchement, nulle part. J’ai jamais eu de vraie “famille” musicale. Dans le jazz, j’étais trop hybride ; dans le rap, je reste un mec à la trompette, pas un beatmaker pur ; dans l’électro, je ne connais personne. Donc j’essaie juste de créer mon propre truc. En vrai, ma “famille”, c’est les musiciens avec qui je joue — ceux de Disiz, de Jewel, des univers très différents, mais humains avant tout.
La Face B : C’est marrant, parce que ta musique reste accessible, même pour un auditeur de rap. Tu pensais à ça en composant ?
Béesau : Oui, c’était un peu le plan. Quand j’étais chez Blue Note, j’avais un projet plus long, mais Universal voulait un EP. J’ai refusé de couper, donc j’ai refait autre chose : Placement Libre, puis une mixtape plus légère, plus solaire, pour accrocher les gens. Ensuite, avec Coco Charnelle 1 & 2, j’ai voulu amener le public vers quelque chose de plus profond, plus dense. La première partie est facile à écouter, la deuxième est plus sombre, plus “moi”. L’idée, c’était d’amener les gens doucement vers un univers plus exigeant.
La Face B : Et la longueur des morceaux, c’est important pour toi ?
Béesau : Oui. Universal voulait du 3’20 pour le format, mais parfois, t’as besoin de temps pour raconter. Je m’inspire beaucoup de la musique de film et du classique, où ça évolue, ça change de tempo, de thème. Sur certains morceaux, tu reviens jamais au même motif — t’as l’impression d’en écouter quatre en un. C’est juste une question de ressenti et de liberté.

La Face B : Parle-nous du nouveau projet, Une Fleur et des Papillons.
Béesau : C’est un album de 40 minutes, six morceaux de sept minutes. Le titre vient d’une vraie fleur, et des “papillons”, pour le côté amour, émotion. Ça raconte une histoire d’amour, mais surtout un cycle — celui que je répétais sans m’en rendre compte. À 30 ans, j’ai compris que je revivais toujours les mêmes schémas. Alors j’ai décidé de briser le cercle : j’ai fait une thérapie, arrêté de boire, pris du recul. Et j’ai découvert que je pouvais aussi créer dans la joie, pas seulement dans la nostalgie ou la douleur. Chaque morceau représente une étape de ces deux années.
L’histoire n’est pas parfaite, mais elle finit bien — pour l’instant (rires). Le dernier titre, Chrysalide, symbolise ce passage, le moment où tu deviens autre chose.
La Face B : C’est beau, très poétique.
Béesau : Ouais, c’est un peu le but. (sourire)
La Face B : Et du coup, une date de concert ?
Béesau : Ouais ! Le 16 janvier 2026, à la Gaîté Lyrique.