Ben Mazué : « Je pense que je parle de moi pour que les gens se trouvent eux »

On a eu la chance de discuter avec Ben Mazué lors d’un entretien téléphonique entre deux tracas du quotidien. L’occasion de parler de son nouvel album Paradis, des derniers chamboulements de sa vie et de son retour de La Réunion.

Crédit photo : Romain Philippon

La Face B : Salut Ben ! J’ai eu l’occasion d’écouter ton nouvel album : Paradis, il est vraiment excellent et hyper touchant. C’est sans doute l’un de ceux que j’ai préféré d’ailleurs.

Ben Mazué : Ah, ça me fait super plaisir. Je dois dire que moi aussi en fait.

LFB : Forcément après l’écoute de cet album, on se sent un peu obligé de te demander « Comment vas-tu ? »

Ben Mazué : Comment je vais ? Et bien écoute je vais bien, je crois. Je suis content d’avoir fait cet album parce qu’il me ressemble et plus on avance dans sa vie d’artiste, plus on s’approche d’une forme de sincérité mais aussi de singularité. J’ai l’impression qu’avec cet album, je me suis plus approché encore de ma sincérité et de ma singularité donc c’est ça qui me fait plaisir. Je suis aussi content de parler d’un sujet comme la rupture amoureuse qui est toujours un sujet un peu délicat car il est souvent abordé dans un angle triste. Mais je n’ai pas l’impression que ma manière d’en parler soit très triste, peut être que je me trompe mais j’essaye de le voir d’une manière assez enjouée. J’essaye pas en fait, je le vois comme ça. J’ai la sensation d’avoir vécu une grande et belle histoire d’amour. J’ai cette chance là déjà.

LFB : Tu reviens d’une parenthèse réunionnaise, comment ça s’est passé ?

Ben Mazué : C’était magnifique. Partir comme ça et tout plaquer, c’est à vivre dans une vie. Rendre les clés de ton appart, vendre ta voiture, vendre tous tes meubles et n’avoir plus que quatre valises et billets d’avion, c’est une sensation de liberté qui est rare et qui l’est d’autant plus quand tu es parent. Tu t’engages dans des responsabilités qui sont un peu, disons… immobilisantes, donc le fait de te sentir mobile c’est vraiment une liberté très rare. J’ai beaucoup apprécié ça, j’ai vécu ça avec beaucoup de bonheur.

LFB : Dans Quand je Marche, le premier titre que tu as dévoilé, on ressent l’envie d’échapper au rush du quotidien et à toutes nos obligations. Finalement c’est un peu ce que tu recherchais avec ce départ ?

Ben Mazué : Oui, probablement. Le fait de se retrouver aussi, soi-même et avec les enfants. C’était aussi l’envie de vivre un rêve, parce que c’était un rêve pour moi d’aller vivre là-bas. J’ai des objectifs de rêve, j’essaye de les atteindre et j’ai vraiment la sensation d’avoir vécu celui-ci. J’ai eu l’impression de cocher une case. Une belle, grande et somptueuse case.

LFB : Pourquoi avoir dévoilé ce titre en premier extrait de Paradis ?

Ben Mazué : Parce que la marche mais aussi la course à pied, La Réunion, tout ce qui était autour de ce titre en fait, c’est un peu ce qui englobe tout l’album. J’ai vraiment écrit l’album comme ça, en marchant. Pour moi, c’est un titre très symbolique. Je l’ai écrit en marchant, en fredonnant des mélodies. C’est d’abord parti de la voix et pas de la guitare ou du piano, c’est pour ça que j’ai voulu sortir Quand Je Marche en premier. Et puis aussi parce que j’ai fait tous les clips à La Réunion et que ça faisait sens de sortir en premier un film sur la marche sachant que tous les clips ont été tourné là-bas avec Romain Philippon, qui a tourné tous les clips que tu verras.

LFB : Tu avais déjà des idées avant de partir ou l’album a été composé entièrement là-bas ?

Ben Mazué : Ouais, tout. Le premier texte de l’album que j’ai écrit, c’est Pas Très Original qui est donc juste un poème. Ensuite, c’était Divin Exil et puis j’ai déroulé. Ça a été écrit, pensé mais surtout vécu là-bas. J’ai terminé à Paris après être rentré mais globalement tout a été pondu là-bas.

LFB : D’ailleurs, tu as dévoilé dernièrement Pas très original qui n’apparait pas sur l’album, que représente ce texte et pourquoi avoir fait cet aparté ?

Ben Mazué : En fait, j’ai l’impression qu’un album aujourd’hui ce n’est plus seulement un disque. C’est aussi toute une somme de contenus – je sais pas comment le dire autrement, ce mot n’est pas très beau – qui sont autour de l’album donc des vidéos, des poèmes, des passages ou témoignages. Donc en fait ce titre, pour moi ce n’était pas une chanson. Je voulais juste le sortir en vidéo au départ, je voulais qu’il vienne accompagner l’album et qu’il fasse parti de l’aventure album mais pas du tracklisting. Mais en fait, on ne peut pas vraiment faire comme ça de nos jours. Quand tu sors un titre sur YouTube, les autres plateformes te demandent de l’avoir aussi donc c’est pour ça qu’il est sorti en audio. Mais c’est pas enregistré en studio, je l’ai vraiment enregistré là-bas, assis sur cette terrasse à La Réunion.

LFB : Tes titres sont la plupart du temps inspirés de ta vie, Paradis serait donc plutôt l’album de la séparation et de la parentalité, est-ce que cet album a été un exutoire pour toi ?  

Ben Mazué : Bien sûr. Je peux pas savoir réellement à quel point ça m’a aidé parce qu’en fait j’ai toujours bossé comme ça. J’ai toujours écrit sur mes souffrances et si j’écrivais pas là-dessus, j’imagine que j’aurais des difficultés à les digérer. Maintenant, je sais pas si c’est l’essentiel. Là, ce qui était essentiel c’était de chanter des thèmes et émotions qui sont partageables. C’est vrai que l’émotion qui vient accompagner une rupture, c’est une émotion qui est partageable puisqu’on est quand même nombreux à avoir vécu ça. Du coup, je considère ça comme partageable mais je vis également des choses qui ne sont qu’à moi et sont singulières, que je ne diffuse pas car ça n’aurait pas de sens de partager ces émotions là.

LFB : C’est finalement un album très intime où on peut dire que tu te mets à nu, c’est un exercice difficile pour toi ou ça te vient naturellement ?

Ben Mazué : En fait, j’ai vraiment l’impression d’écrire des chansons à destination des autres. Je pense que je parle de moi pour que les gens se trouvent eux. J’ai pas la sensation de faire ça dans le but de me mettre à nu. J’ai l’impression de faire ça dans le but que les autres puissent se retrouver avec leurs propres émotions. J’ai vraiment à cœur que les gens se disent « Ah tiens moi aussi, ah d’accord moi aussi j’ai reçu ça comme charge cardiaque et ça me fait du bien de ne pas me sentir tout seul dans cette émotion là ». C’est un peu le projet. Le projet n’est pas d’être impudique seulement. Mais parfois je me retiens parce que oui, c’est trop impudique et dans ce cas-là ça n’est pas utile je pense.

Crédit photo : Romain Philippon

LFB : Si tu devais décrire cet album en un sentiment, lequel ce serait ?

Ben Mazué : Je dirais une belle histoire, une grande histoire, un triomphe, une victoire ! Ça fait plusieurs mots mais c’est ça. C’est surtout de considérer qu’une histoire qui se termine n’est pas une histoire ratée. On peut regarder derrière soi en se disant que c’était super en fait et que si c’était à refaire, on le referait. Je pense que parfois il y a un peu cette idée permanente de dire qu’une histoire d’amour réussie doit durer pour toujours et je ne suis pas sûr de ça. Je me dis qu’en fait, il y a des histoires d’amour qui s’arrêtent et c’est pas pour autant qu’elles n’étaient pas belles ou pas à vivre. Par ailleurs, à contrario, il y a des histoires pourries qui se prolongent.

LFB : Oui, c’est plutôt ce qu’on ressent en écoutant l’album, une note positive voire même d’espoir mais en tout cas pas de regret.

Ben Mazué : Ouais, c’est exactement ça. Tant mieux si ça transparaît bien (rires).

LFB : Il y a quelques duos sur cet album, comment se sont faites ces collaborations ?

Ben Mazué : En fait, pour Semaine A, Semaine B, je cherchais une comédienne puisque c’est un texte qui est dit et lu. C’est une lettre que chacun écrit à l’autre. Pas pour qu’elle soit lue, une espèce de lettre secrète qu’on fait jamais lire. Je voulais que ce soit une comédienne qui la lise. Parmi les comédiennes, j’avais vu une interprétation d’Anaïde Rozam sur Instagram que je trouvais hyper douée. Je lui ai demandé et elle m’a dit oui. Après Jérémy Frérot je le connais depuis longtemps, depuis qu’il s’est lancé dans la musique. On a souvent écrit ensemble. Le morceau qu’on chante ensemble sur mon album, c’est en fait un morceau que l’on a écrit ensemble pour son album. Il est présent sur son album, il y chante seul et j’avais envie qu’on le chante ensemble sur le mien mais arrangé par moi cette fois-ci. J’aime bien les morceaux transversaux qui viennent traverser certains albums et qu’on entend par-là et qu’on réentend ailleurs. Je trouve ça cool. Et enfin Poupie, c’est une diva, j’ai croisé sa musique en me disant « wow c’est incroyable, quelle puissance, quelle voix, quelle présence ». J’avais besoin d’une fille qui soit un peu capable de traverser les styles modernes. Je lui ai demandé et pareil elle m’a dit oui donc j’étais content qu’elle accepte.

LFB : C’est vrai que ça rend pas mal, elle a un registre complètement différent du tien. Ça m’a surprise d’ailleurs cette association mais c’était une bonne surprise.

Ben Mazué : Tant mieux ! C’est quoi les titres qui t’ont plu d’ailleurs ?

LFB : J’ai beaucoup aimé Semaine A, Semaine B pour la sensibilité du texte. Divin Exil pour l’idée que ça représente et Quarantaine pour les paroles, genre « J’ai trop tordu ce que je suis pour être celui que je voudrais« , c’est assez puissant.

Ben Mazué : Ok, super. Je note parce que tu sais, peu de gens l’ont écouté donc j’ai pas eu encore beaucoup de retours (rires).

LFB : Il y a pas mal de cuivres dans cet album, que l’on retrouvait moins dans les précédents, côté musicalité tu penses avoir pris une nouvelle direction ?

Ben Mazué : Depuis trois albums, je travaille avec Guillaume Poncelet qui est trompettiste de formation. C’est aussi un génie virtuose du piano, du clavier. C’est lui qui arrange les chansons de Gaël Faye aussi. En fait, j’avais vraiment envie qu’il joue beaucoup de cuivres parce que je le trouve exceptionnellement fort dans ce registre. Je trouvais qu’on n’avait pas assez tiré sur cette corde là sur les albums précédents avec lui. Mais quand même sur les albums précédents, il y en a un petit peu. Tu sais, il y a 25 ans sur l’album 33 ans où il y en a pas mal. Sur La Femme Idéale peut être un peu moins.

LFB : J’avais l’impression d’en entendre moins en tout cas.

Ben Mazué : Oui, tu as raison. Il y en a un tout petit peu sur une chanson qui s’appelle Dans Le Mille où il y a une ligne de cuivres sur le refrain mais c’est vrai qu’il y en a moins. On a plus utilisé le piano, que l’on a beaucoup utilisé pour Paradis aussi. Lui tu sais, il joue du piano avec la sourdine donc c’est un piano très identifiable, très particulier que je trouve magnifique. En fait, on a déplacé son piano et on l’a mis dans mon studio pour qu’il vienne jouer toutes ces parties absolument spectaculairement belles. Si tu savais la gueule de mes morceaux avant qu’il arrive (rires). C’est vraiment incroyable ce qu’il fait.

LFB : Je me demandais si les cuivres étaient là pour mettre en avant un côté un peu mélancolique de l’album ?

Ben Mazué : Pas particulièrement, je trouve que les cuivres sont des instruments très chauds. Surtout, je trouve ça très difficile à manier donc quand tu as la chance d’avoir quelqu’un qui est tout à fait capable de les manier avec beaucoup de grâce et de modernité, il ne faut pas s’en priver. Du coup, on a tout fait ensemble. On a fait avec nos armes, qui sont les cuivres et aussi des chœurs. D’habitude, je demandais à des choristes d’ailleurs mais là c’est moi qui ai fait les chœurs. Avant je les faisais sur des maquettes puis j’allais chercher des choristes pour qu’ils les chantent, cette fois-ci je les ai fais parce que j’aime bien en fait.

LFB : En ce qui concerne le live, tu comptes repartir sur un concert-récit comme pour La Femme Idéale ?

Ben Mazué : Ouais, ouais je compte faire un concert-récit. J’aime bien cette phrase, je vais te la prendre, d’accord ? Parce que c’est ça, c’est un grand récit. Moi en tant que public en fait, je trouve ça plus agréable d’entendre quelqu’un me raconter une histoire et d’y mettre des chansons dedans. C’est ce que j’aime dans la chanson française. Tu vois, je me suis un peu documenté et les concerts de Souchon, de Renaud, des années 80-90, ils sont énormément dans la parlote aussi. Ils peuvent passer un quart d’heure à parler d’un morceau, ils ont une espèce d’espièglerie, une malice, une intelligence et ils sont touchants. Il sont carrément au-delà de leurs morceaux et moi c’est ça qui me plait. J’ai toujours à  cœur de mettre un peu les gens dans des chaussons pour entendre les morceaux donc j’écris effectivement un récit qui va prendre la forme d’une… Ah, je peux pas te dire… J’ai envie de te le dire (rires). Mais en tout cas, ça prend la forme de quelque chose qui a beaucoup de sens par rapport à l’album.

LFB : Comment ça se profile d’ailleurs avec toute cette période de crise sanitaire ?

Ben Mazué : Là, on commence par des petites salles pour avoir une mini jauge. Mais je vais revenir à l’automne avec des grosses salles.

LFB : C’est quoi la suite, tu es déjà sur d’autres projets ?

Ben Mazué : Je fais la musique d’un film en ce moment. Et principalement je prépare le spectacle. Comme je te le disais, on est sur un spectacle qui est très écrit donc ça prend beaucoup de temps et de travail. Une fois que tout ça sera fait, il y aura la tournée qui ne permet pas de faire un tas d’autres trucs finalement parce que c’est assez prenant physiquement et émotionnellement, pour moi en tout cas. Et après, j’ai un projet qui arrivera l’automne prochain dont je ne peux pas encore parler mais qui est un super truc musical.

LFB : Et une dernière question, tu avais autrefois la casquette de médecin, avec cette période de Covid est-ce que tu t’es imaginé ce que serait ta vie actuellement si tu avais continué dans la médecine ?

Ben Mazué : Ouais, bien sûr. J’ai suivi ça de près comme un peu tout le monde. Je me suis mis à disposition de l’Etat si jamais l’Etat se mettait à réquisitionner tous les gens titulaires d’un diplôme. Maintenant moi je ne suis pas au chômage, j’ai beaucoup de travail donc me relancer dans le soin m’aurait demandé de renoncer à mon travail actuel. Donc ça veut dire mettre sur le carreau les gens qui travaillent avec et pour moi donc c’est difficilement réalisable. En revanche, je me suis signalé pour être réquisitionnable le cas échéant si la situation empirait.