Il est connu pour être l’un des membres du groupe le plus shazamé au monde. Benjamin Cotto, c’est toute la partie instrumentale de Lilly Wood and The Prick, celle qui vous fait danser tous les étés. 2021 sera décidément une année plus que prolifique pour Benjamin qui après un album avec Lilly Wood sort maintenant son tout premier EP en solitaire. Bleu, c’est un plongeon dans l’esprit et l’imaginaire de l’artiste, se dévoilant comme jamais auparavant. Chantant pour la première fois, c’est avec surprise que l’on découvre un ton grave de crooner et un chanté parlé à la Gainsbourg. Terriblement hors du temps. Les années 60-70 peuplent son imaginaire et sont celles qui donneront naissance à ce délice nostalgique. Nous avons pu le rencontrer chez lui, dans son plus pur univers afin de discuter nostalgie musicale, amours désillusionnés, et scène française.
LFB : Salut Benjamin ! Comment vas-tu ?
Benjamin : Très bien et toi ?
LFB : Tu as sorti la semaine dernière ton tout premier EP en solitaire : Bleu. Comment te sens tu ?
Benjamin : Je me sens plutôt serein, satisfait, car ce fut assez long à partir du moment où j’ai voulu l’écrire, la composition puis la sortie. Mais surtout j’ai hâte de voir la suite et ce qui va se passer !
LFB : Combien de temps environ ?
Benjamin : J’ai commencé à l’écrire il y a plus de deux ans… Cela faisait longtemps que j’avais envie de m’exprimer de façon globale, à l’écriture et au chant. Mais le courage et l’envie sont arrivés à peu près au même moment. Je me suis vraiment lancé dans l’écriture il y a deux ans. C’est aussi parce que j’ai été occupé sur d’autres projets ! Nous avions le nouvel album de Lilly Wood and the Prick par exemple.
LFB : Peux-tu nous décrire un peu le processus de création pour cet EP ?
Benjamin : Assez simple ! Je commence toujours à partir de la musique, d’une mélodie ou d’une suite d’accords au clavier. Mais je sentais qu’à chaque fois cela venait d’une chose dont j’avais envie de parler. La couleur naturelle de la mélodie était déjà issue d’une émotion. A partir de là je commençais à écrire les paroles et une mélodie voix. Une fois fini, j’allais présenter mes chansons à Jack, l’ingé son avec qui je travaille. Je me posais dans son salon, au piano, pour lui demander si ça lui parlait. Puis on a commencé à travailler dans sa petite cave.
LFB : Première fois que tu composes en solitaire, première fois que tu chantes, on sent que tu avais besoin de sortir de ta zone de confort…
Benjamin : C’est marrant cette expression en solitaire, normalement on dit en solo. (rires) ça me fait tilter parce que c’est une des premières paroles de mon EP « Noyé seul, solitaire ». On est rarement seul quand l’on fait de la musique, mais j’ai dû être le moteur, prendre les initiatives. Sinon, je ne sais pas si c’est ma nature de me mettre en danger, de sortir de ma zone de confort. C’est peut-être une envie de trouver une autre forme de confort ! Une envie de créer un autre univers, plus personnel encore. Celui de Lilly Wood est bien sûr tout à fait le mien, mais il est partagé. J’avais envie de mettre en avant d’autres choses que je n’exploitais pas chez Lilly Wood.
LFB : Comment décrirais-tu Bleu en trois mots ?
Benjamin : Une sensation, un goût, un état d’esprit.
LFB : Avec Bleu, on te découvre des sonorités et des facettes totalement inédites. Un crooner au ton grave de Gainsbourg, réinventant une pop française des années 60-70. Quelles sont tes inspirations personnelles sur ces morceaux ?
Benjamin : Elles sont là. (rires) En vrai, c’est assez vaste. J’aime bien citer Pierre Vassiliu puisque les gens ne le savent pas forcément mais il a aussi écrit de très belles chansons, pas que des chansons blagues. Il y a aussi Alain Chamfort, Joe Dassin, Etienne Daho un petit peu, Gainsbourg, Boris Vian, Barbara, Marie Laforêt, Dalida, mais ce peut être aussi des compositeurs de musique classique comme Michel Legrand. Donc oui, cette époque-là m’inspire beaucoup.
LFB : Tu avais une frustration de ne pas pouvoir exprimer cette facette et cet univers rétro avec Lilly Wood ?
Benjamin : Oui, mais d’un côté ce n’est pas le sujet avec Lilly Wood ! On aime d’autres styles qu’on utilise pour le groupe comme la pop anglaise et américaine plus 70’s 80’s voir 90’s. Mais c’est sûr qu’avec Bleu on est vraiment dans un style très franco français, inspiré de cette grande période des arrangements. A cette époque, on n’avait pas peur de mettre des cordes, de l’orchestre, contrairement aux années 80 qui étaient plus minimalistes, plus cheaps. Pas dans le mauvais sens du terme, mais on a mis des boites à rythmes et des synthés, donc je trouve que les arrangements étaient beaucoup plus faibles. Pas mauvais ! Mais faibles dans le développement.
LFB : Dans cet EP, l’eau est un élément omniprésent. D’où te vient cette fascination ?
Benjamin : Je ne sais pas trop… J’aime la mer, j’aime voir l’eau, c’est agréable d’avoir cette vue sur la mer. Il y a forcément un lien avec l’enfance, voir même ce moment où l’on est dans le ventre de sa mère, cette sensation presque innée. Les bébés sont très à l’aise lorsqu’on les met dans l’eau. L’eau c’est la base de notre organisme. J’aime aussi le fait que l’eau puisse être très calme comme très agitée ! Le bleu de l’eau, c’est aussi le reflet du ciel dans l’eau. Je pense que toutes ces facettes ont inspiré bon nombre d’auteurs, de poètes, de cinéastes, de peintres… C’est un sujet inépuisable ! Enfin inépuisable, ça dépendra de nos sociétés…
LFB : Toutes les chansons parlent d’une certaine forme d’amours contrariés. Pour que cela soit beau faut-il que cela soit difficile ?
Benjamin : Non pas forcément ! Mais c’est vrai que l’on a plus besoin d’en parler quand ça ne va pas que lorsque tout va bien. Mais je ne parle pas que d’amour charnel ! Je parle aussi d’amour amical, de mes parents et grands-parents. Il y a cette double lecture, ce double sens. Et puis là on est seulement sur 5 titres, j’ai d’autres sujets à aborder ! Mais évidemment, l’amour fait partie intégrante de ma vie, et de celle de beaucoup de personnes, en tout cas j’espère ! C’est tellement important. L’amour nous permet de nous évader, c’est impalpable, il nous permet d’aller plus loin, d’être créatif ! Mais pas que dans la douleur ! Même dans des histoires ratées ou avortées on y a trouvé du plaisir, et on en trouve encore après.
LFB : Tu es un romantique désillusionné ?
Benjamin : Je l’ai été, je ne pense plus l’être… J’y crois toujours, heureusement ! Je crois peut-être un peu à un amour un peu enfantin, adolescent, c’est ce qu’il y a de plus beau. L’amour est un moteur, il nous pousse à faire des choses que l’on ne ferait jamais lorsque l’on a envie de plaire ou de se plaire.
LFB : Marilou m’interpelle beaucoup. Tu utilises par moments la première personne du singulier, parfois celle du pluriel. Tu t’adresses à Marie et Lou ou Marylou ?
Benjamin : Alors, on en vient aux chansons à double sens. (rires) Est-ce un enfant qui parle de ses parents ? De sa grand-mère ? Un homme qui parle d’une femme ? A deux femmes ? Chacun pourra interpréter comme il le souhaite. Maintenant pour être tout à fait honnête moi je parle de filles. Il y a tout de même un clin d’œil à ce moment où tu grandis et que tu t’éloignes un peu de tes grands-parents. L’enfant dans le clip a une grand-mère dont le surnom est Malou. Est-ce un hasard ou ça m’est venu parce que je connais cet enfant depuis sa naissance et que je suis très proche de lui, je ne sais pas. Mais il y a une double inspiration.
LFB : Tout était lié.
Benjamin : Inconsciemment, oui !
LFB : Tu as commencé ta carrière en travaillant en tant que journaliste de mode, notamment avec Loic Prigent et Mademoiselle Agnès. Est-ce que cet univers a encore un impact sur ton travail artistique ?
Benjamin : Je pense que oui. A côté des aspects un peu puérils de ce milieu, il y a un vrai travail artistique qui existe encore. Il m’a permis de rencontrer beaucoup de gens, de milieux divers et variés, c’est un monde très pluriel la mode ! Que ce soit dans son orientation sexuelle, amoureuse, professionnelle… J’ai vraiment apprécié rencontrer des personnalités un peu différentes. C’est un milieu pas évident, mais qui m’a permis de gagner du temps sur pas mal de choses, d’avoir une culture plus large, et d’avoir un regard très, très précis sur ce que je veux. Esthétiquement parlant. La mode ce n’est qu’une question d’inspirations. Elle s’inspire du monde actuel, du passé, d’une peinture, de l’architecture, un mouvement politique. C’est quand même un art très complet. J’ai voulu garder cet aspect-là.
LFB : Tu avais déjà ce projet de faire de la musique à cette période-là ?
Benjamin : Je n’étais pas forcément bon musicien, et j’avais plutôt cette envie de faire du cinéma en tant que réalisateur. Envie qui ne m’a pas quitté et que je m’exerce à faire depuis un petit moment. Je me souviens tout de même avoir dit à Loïc que je souhaitais faire de la musique, et que j’en ferais. Il s’en est souvenu.
LFB : Pour Le Grand Bleu tu ne proposes pas seulement un clip mais aussi un incroyable court-métrage. Est-ce ta première expérience de réalisation artistique ?
Benjamin : C’est la première fois où je me suis dit que je pouvais être capable de le faire et que je me suis donné les moyens de le faire. J’ai pu m’entourer d’une équipe incroyable, et j’avais le sujet pour ! Je me sentais aussi apte à me mettre en scène et à diriger des comédiens et des comédiennes. Qui m’ont d’ailleurs appris beaucoup de choses et m’ont aussi beaucoup dirigé ! Ce n’est pas mon métier de base, mais ils ont totalement joué le jeu et accepté le fait que je sois débutant. Il y avait cette saveur particulière de démarrer, toute nouvelle pour moi, l’envie d’aller plus loin que de faire du clip. Je ne suis pas un obsessionnel qui a besoin de tout contrôler, mais il y a tout de même cette obligation à avoir un regard sur tout, même si on délègue par la suite. Contrairement à la musique, où il y a un moment où ta production t’échappe. J’essaye d’éviter ça sur mon projet solo en essayant de faire un maximum de choses. Parfois c’est trop, parfois c’est mal fait, mais au moins on s’en rend compte. Dans le cinéma il y a cette obligation de tout contrôler, du costume à la lumière, de la préparation à la direction. Et ça me plait beaucoup.
LFB : Que veux-tu dire quand tu dis que la musique t’échappe ?
Benjamin : C’est par rapport à l’industrie musicale, très différente de l’industrie du cinéma. Il y a bien sûr des obligations par rapport au producteur, aux comédiens, pour que tu fasses des entrées. Mais dans la musique il y a quand même un format à respecter. Quand tu fais de la pop tu dois respecter certains codes et on a tendance à t’y emmener. Il n’y a pas de règles pour le succès, mais il y a des codes pour pouvoir rentrer dans des cases. C’est encore assez sclérosé, c’est un vieux système qui a tout de même tendance à changer. Du moment où tu as fait ta musique, ça peut t’échapper. Je ne le souhaite pas et ça dépend des gens avec qui tu travailles. Mais le grand schéma musical qu’on a vu avec Lilly Wood pendant longtemps c’est qu’on t’empêche de faire certaines choses, que ce n’est pas « comme ça » qu’il faut faire. Qu’ils aient raison ou pas, c’est comme ça.
LFB : Tu souhaiterais poursuivre l’exploration de la réalisation?
Benjamin : Bien sûr, c’est prévu ! Tout dépendra du projet, si c’est pour faire du court-métrage clip, oui. Si c’est du long métrage, là il va falloir que je bosse un peu plus.
LFB : J’ai cru comprendre que cet EP n’est que le début… Peux-tu nous en dire plus ?
Benjamin : J’espère qu’il y a aura une suite bien sûr, une suite qui s’appellera un album en 2022. Une suite qui sera je l’espère des concerts. Mais comme je le dis régulièrement, je n’ai pas 20 ans, je ne suis pas pressé. Le but c’est de faire les choses étape par étape, de les faire bien et de prendre le recul nécessaire. Je n’envoie pas une fusée dans l’espace (rires) mais je veux tout faire avec plaisir et réflexion, sans regrets. La priorité c’est de partir m’isoler un peu, terminer d’écrire et d’enregistrer avec Jack d’ici le début de l’année.
LFB : Parce que là tu repars très bientôt dans une très grosse tournée avec Lilly Wood and The Prick.
Benjamin : Alors oui, je repars bientôt trois semaines avec Lilly Wood et on aura les festivals d’été. Mais le but est de profiter de ce creux-là en mars avril pour terminer tout ça.
LFB : Comment te sens tu à l’idée de repartir en tournée ?
Benjamin : On en a déjà fait beaucoup et je ne vais pas te mentir ce fut très compliqué de jumeler les deux : mon projet solo et Lilly Wood. Ça n’a rien à voir d’être sur la route, et j’avais oublié que c’était assez éreintant et qu’il faut beaucoup donné… (rires) C’est super, mais il y a un côté schizophrénique. Je pense que j’en suis capable, il faut seulement que je pense à me ménager.
LFB : As-tu eu des coups de cœurs musicaux dernièrement à nous faire découvrir?
Benjamin : J’ai écouté le dernier James Blake que je trouve toujours bien. Parfois c’est chiant à mourir mais ça reste toujours beau ! C’est moins récent, mais j’aime bien le dernier album de Raphaël. J’ai pu écouter le prochain album d’Alexia Gredy que je recommande fortement quand il sortira. Mais pour être honnête, c’est difficile pour moi d’apprécier les musiques actuelles car tous les arrangements sont basés sur de l’électronique urbaine. Et moi je peux pas. Même si l’artiste est bon, l’écriture est bonne, je suis allergique. (rires) Alors oui, j’ai tendance à m’enfermer à écouter des trucs plus américains, indie rap, indie rock. Mais j’aime bien les Parcels ! C’est bon, ça joue, ça chante. Les textes sont vraiment bons quand on creuse. Mais c’est vrai que je suis un peu difficile en ce moment. Je n’ai pas trop de copains sur la scène française, je me fiche qu’ils n’aiment pas ce que je fais mais je n’aime pas non plus ce qu’ils font. (rires)
LFB : Que peut-on te souhaiter par la suite ?
Benjamin : D’aimer ce que les autres font ! (rires) Non mais il y a des choses super, surtout chez les très jeunes. Je ne connais que deux titres de l’album de Juliette Armanet mais je sens que ça va être super. Clara Luciani aussi j’aime bien. Par contre Angèle je ne comprends pas sa musique. J’ai aussi très hâte d’écouter le dernier Orelsan, j’ai déjà entendu des choses très chouettes. Mais pour revenir à la question, on peut me souhaiter d’écrire de bonnes chansons, comme ça tout ce que je viens de dire on ne pourra pas me le reprocher. (rires)
LFB : Un grand merci Benjamin ! Hâte de voir la suite !
Benjamin : Moi aussi. (rires)