Dans le rap, tout va très vite. À coup de buzz, de coups d’éclats et de succès éphémères. Benjamin Epps ne joue pas dans cette cour-là. Un marathonien, un coureur de fond, le garçon évolue étape par étape, voulant marquer son temps, mais aussi le futur. On a eu le plaisir de croiser sa route lors de son passage aux Francofolies de La Rochelle. L’occasion d’en savoir plus sur notre nouveau rappeur préféré.
La Face B : La première question que je pose toujours aux gens, c’est comment ça va ?
Benjamin Epps : Très bonne question. Ça va bien, il fait chaud. Tout va bien, on est contents d’être à La Rochelle. On vient de Paris, c’est un peu loin, comme il y a la mer, on est contents. Franchement, on est contents.
LFB : Et du coup, qu’est-ce que tu ressens à l’idée de jouer aux Francofolies de La Rochelle ?
Benjamin Epps: Très très heureux et très honoré de faire partie de la programmation cette année. Je crois que j’aurais du le faire l’année dernière déjà, il y a eu quelques petits soucis. Et du coup finalement, ça se fait cette année. Pour moi, c’est aussi un peu le résultat de tout le travail qu’on a abattu en équipe durant toute l’année écoulée. C’est un sentiment de joie, de grande joie, de satisfaction. On est contents de jouer aux Francofolies.
LFB : Ta musique a trouvé très rapidement sa place dans le rap, et même en dehors. Et je me demandais si ce n’était pas quelque chose qui t’avait un peu surpris, que ça aille aussi vite, en fait.
Benjamin Epps : Surpris, oui, quand même. Je savais où je voulais aller, mais que les choses effectivement arrivent aussi vite… Parce que le premier projet, il est sorti fin 2020, début 2021. C’est un projet assez jeune. Donc déjà, avoir toutes ces sollicitations-là, pour moi c’est un honneur, c’est une aubaine. Et ouais, on est quand même assez surpris des nombreuses sollicitations qui arrivent à chaque fois. Donc… C’est assez surprenant, effectivement.
LFB : Et d’ailleurs, t’en parles un peu dans certains titres, comme Encore ou Marathon»… Je me demandais, dans la façon dont tu en parles, si tu avais l’impression d’être acteur de tout ça, ou si tu prenais quand même du recul et que tu regardais ça un peu d’un œil extérieur ?
Benjamin Epps: Ah mais, je crois que je suis totalement acteur de tout ça en fait. Il y a plein d’opportunités qui arrivent, et plein de choses que je n’arrive peut-être pas à réaliser sur le moment, heureusement que j’ai mes proches pour me dire : « Ca, c’est un gros coup, il faut y aller… Ca c’est intéressant, il faut le faire… Tel média a parlé de toi, c’est un accomplissement », parce que justement, je crois que j’ai beaucoup trop la tête dedans, je suis vraiment vraiment acteur de la chose, je n’arrive pas encore à me… à sortir de l’espèce de boîte dans laquelle je suis en ce moment. Mais voilà, on finit les festivals, et je pense qu’on va prendre un peu de recul, on va prendre trois, quatre mois, parce qu’on prépare l’Elysée Montmartre le 15 octobre, à Paris. Après cette date-là, je pense qu’on va prendre un peu de temps, et essayer de voir où est-ce qu’on en est dans tout ça, quoi.
LFB : Moi ce que je trouve intéressant dans ta musique, c’est que tu as beaucoup d’artistes qui en premier cherchent le buzz et le coup d’éclat, le truc instantané. Et j’ai l’impression que toi, et tu en parles aussi, tu es plus sur de la course de fond en fait. De monter vraiment un projet, un socle en fait, quelque chose qui est uniforme et qui est solide, et qui permet justement d’y aller étape par étape, et de chercher toujours plus loin en fait.
Benjamin Epps : Oui, c’est totalement ça. Je suis dans cette dynamique-là. Je pense que les plus grands artistes de notre temps, c’est des gens qui ont percé après… Quand je dis artiste, ça peut être dans le cinéma, dans la peinture… Je ne sais pas, un gars comme Basquiat par exemple, c’est un gars qui a percé après sa mort, quoi. Littéralement,. Je pense que l’art, toutes les formes d’art, ne sont pas forcément faites pour être apprécies sur le moment. Mais comme on a conscience de ça, on se dit qu’il faut bien travailler son art, pour qu’au final, qu’on soit là ou qu’on ne soit pas là, les gens comprennent la démarche. Que les gens voient exactement où est-ce qu’on voulait les emmener. Et c’est dans cette démarche-là que je suis, tu vois. Quand je rentre en studio, littéralement, je ne me dis pas : « J’ai envie de faire un morceau pour l’hiver, ou pour l’été ». Je me dis que j’ai envie de faire un morceau que les gens peuvent écouter aujourd’hui, mais qu’ils peuvent aussi écouter dans dix ans, et qui aura potentiellement le même effet.
LFB : Et du coup si je te dis que pour moi, le mot qui représente le plus Benjamin Epps, c’est l’authenticité, est-ce que c’est quelque chose qui te convient ?
Benjamin Epps : Venant de quelqu’un d’autre, moi je le prends… en tout cas, je le prends comme un compliment, et je t’en remercie pour ça. En tout cas, c’est la démarche, c’est aussi un peu l’objectif, quoi. C’est d’essayer de regarder ce qui se fait ailleurs, se laisser influencer, parce que ça fait partie du jeu, mais être dans une démarche où on veut essayer. On veut essayer quelque chose, ou des formules qui n’ont pas encore été explorées. Et que le mot qui me définisse soit l’authenticité, moi, ça me va très bien. Merci.
LFB : Et est-ce que malgré le côté egotrip qui est présent dans ta musique et la fantasmagorie qui va autour… est-ce que tu pourrais toi écrire sur des choses que tu n’as pas vécues ?
Benjamin Epps: Oui, ça dépend de ma perspective. Est-ce que je le conte en tant que témoin, c’est-à-dire le jeune garçon qui est à sa fenêtre et qui regarde les choses se passer, ou est-ce que… je conte les histoires qui sont le fruit de mon imagination ? Ça dépend. Je pense vraiment que peu importe ce qu’on dit, si on le dit bien et si on reste fidèle à une certaine rigueur lyricale, parce que c’est aussi ce que j’essaie de faire, j’essaie de dire les bons mots, articuler pour que les gens comprennent… Je pense qu’effectivement, si on reste fidèle à cette démarche-là, oui, on peut conter des choses qu’on n’a pas forcément vécues, et je pense que plein de gens peuvent s’identifier.
LFB : Ce qui est intéressant quand tu parles de rigueur, et que moi je trouve beau aussi dans la façon dont tu écris, c’est que c’est cru, mais c’est jamais vulgaire en fait. Tu traverses jamais cette ligne du trop en fait, tu vois ? Même si tu vas dire des choses un peu brutes, je trouve qu’il y a jamais le truc où on se dit : ouais non, là c’est trop, en fait.
Benjamin Epps : Ben je te remercie, parce que… On vit quand même dans une ère où les polémiques s’enchaînent, tu vois. Et effectivement, en tant qu’artiste, on veille à ne pas s’autocensurer, mais aussi à ne pas être dans les heurts. C’est-à-dire à ne pas forcément chercher à heurter les autres, parce que ce n’est pas le but. Mais des fois… Je veux dire, c’est ça la beauté de la langue française ,c’est que la langue est hyper riche, et on est libres. Il faut dire qu’on vit en France aussi, on est dans un pays libre, on peut appeler un chien un chien, un chat un chat, donc j’en profite souvent pour essayer de m’exprimer comme je ne m’exprime pas toujours dans la vraie vie, quoi.
LFB : Ouais, d’être le plus libre possible…
Benjamin Epps: Exactement. Exactement.
LFB : On parlait des paroles, il y a aussi la prod, dont tu t’occupes. On te qualifie souvent de sorte d’espèce de rap nostalgique, egotrip, tout ça. Moi, ce que je trouve intéressant, c’est que tu contrebalances ça avec une vraie modernité dans les thèmes et dans les histoires que tu racontes. Je trouve que ça va limite un peu à l’opposé de la nostalgie qu’on essaie de te coller.
Benjamin Epps: Exactement. Exactement, en tout cas, moi je suis dans cette démarche-là. C’est-à-dire qu ‘on n vit en 2022, et il y a des sujets propres à notre époque. Je prends juste des outils, des matériaux qui ont déjà été utilisés à une certaine époque, je les remets au goût du jour, mais avec un… Comment dire ? C’est comme si on ressortait une belle BMW qui a été faite en 86 ou en 90, et on l’adapte au design d’aujourd’hui. C’est-à-dire, ça reste toujours une belle BMW, mais ce n’est pas une BMW à l’ancienne, quoi. C’est là où j’essaie d’en venir. C’est une nouvelle BMW, avec éventuellement de nouvelles caractéristiques.
Il y a quelque chose qui contrebalance le fait que je sois catégorisé d’ancien, à l’ancienne… C’est quelque chose que je rejette aussi. Je suis jeune, je suis né dans les années 90… La musique elle est faite aujourd’hui, je parle de mon époque.
LFB : Même la production. Tu ne cherches pas à avoir un grain à l’ancienne ou quoi que ce soit, c’est très moderne.
Benjamin Epps: Ah non non non, pas du tout. Exactement. Exactement. Et ce n’est pas fait avec les machines à l’ancienne quoi. C’est-à-dire qu’il n’y a pas une volonté manifeste de ressortir quelque chose qui a déjà à existé, quoi. C’est juste la continuité de quelque chose, en fait.
LFB : Tu fais du Benjamin Epps.
Et justement, ce qui va en plus à l’encontre de ça, c’est que,et je trouve ça hyper intéressant, c’est que tu as travaillé, t’as fait des feats avec des rappeurs, tu as fait des feats avec Youssoupha, avec Seth Gueko aussi, mais tu es aussi allé chercher des featurings avec des gens auxquels on ne s’attendrait pas forcément, genre Enchantée Julia, Selah Sue, même le feat avec Vladimir Cauchemar, que je trouve incroyable… Et du coup, je me demandais comment tu choisissais ces feats-là, et est-ce que ça avait une certaine influence sur ta façon d’écrire ou sur ce que tu racontes ?
Benjamin Epps: Alors… Le choix se fait à la musique la plupart du temps. Parce que je n’ai pas une grande affinité avec les acteurs de l’industrie hip-hop. Donc ça se fait vraiment à la musique. Enchantée Julia, par exemple, son premier projet, j’ai adoré, et quand elle m’a proposé de faire le morceau Longo Mai, qui est le titre éponyme de son projet, j’ai tout de suite accepté.
Pour moi, déjà je considère ça comme un challenge : essayer d’aller sur des terrains sur lesquels on ne m’attend pas forcément. Et parce que j’aime la musique. Donc oui, il y a une double dimension, il y a une dimension « Benjamin Epps qui aime la musique », et il y a aussi le compétiteur, celui qui aime les défis, celui qui aime les nouveaux challenges. Donc oui, je choisis beaucoup à la musique. Est-ce que j’aime le projet ou pas ? Et je ne calcule pas forcément, l’univers, est-ce que ça irait avec moi ou pas. D’ailleurs, récemment, on a fait un morceau avec Pedro Winter et Santigold, et DJ Mehdi, qui pour le coup est très très différent de ce que j’ai pu faire jusque là. J’ai vraiment pris du plaisir à faire tout ça.
LFB : Et justement, est-ce qu’il y a des featurings que tu ne refuserais pas ? Des gens qui viendraient te voir et tu dirais oui sans même savoir ce que…
Benjamin Epps : Oh oui oui oui, je crois, je crois qu’il y a plein d’artistes, la liste est sûrement longue. Je ne sais pas, je vais t’en citer deux comme ça qui me viennent à l’esprit… Là, par exemple, j’écoute beaucoup l’album de Juliette Armanet, par exemple. C’est une artiste que je suis, que je n’ai découvert, personnellement que très récemment. C’est dommage, alors que ça fait un moment qu’elle est là… mais c’est seulement maintenant que je découvre. Donc par exemple, une artiste comme Juliette Armanet, je kifferais collaborer avec. Euh… et qui d’autre… On est obligés de rester en France, ou ?
LFB : Non, non.
Benjamin Epps : Ben, je sais pas… Allez, je te dirais comme ça… allez, Kendrick Lamar. C’est mon grand fantasme du moment.
LFB : J’ai une question. Je ne te l’ai pas posée avant, mais moi je trouve que l’élément forcément marquant de ta musique, c’est ta voix. Et justement, moi je me demandais comment tu l’avais « acceptée », sans trop chercher à la modifier, ce que tu faisais avant. Et est-ce que t’as pas l’impression au final que c’est justement ce marqueur-là qui fait que les gens s’attachent aussi à ta musique ?
Benjamin Epps : Si. Moi, je le vis bien, d’avoir la voix que j’ai, surtout dans un milieu où, aujourd’hui… Comment dire ça ? Le milieu rap, j’entends, c’est très large. Tu as de tout, t’as de toutes les sensibilités. Et ça, ça fait qu’on n’a pas trop… On n’a pas trop de mal à venir comme on est, en quelque sorte. Et proposer sa musique aux autres. Si j’avais eu le même âge il y a 10 ans, à l’époque où Kaaris sortait, où Booba était en pleine pleine pleine, pleine forme, tous ces artistes-là… Eh ben je pense que j’aurais peut-être… Ah, je me serais peut-être posé des questions, quoi, dans un monde ultra viril comme ça, avoir une voix qui est finalement très à l’opposé des autres… Mais aujourd’hui, non, finalement, ça ne me gêne absolument pas. Je trouve qu’au contraire, ça fait qu’il y a quelque chose qui marque la différence, quoi. Et j’aime bien l’idée de faire quelque chose de différent.
LFB : C’est quoi les plans pour le futur pour Benjamin Epps ?
Benjamin Epps : À court terme, c’est de finir la tournée. On a plusieurs dates, enfin il nous en reste… un peu moins de cinq, je crois. Faire un bon Elysée Montmartre, parce qu’une bonne date parisienne, ça compte. Et puis après, retourner à la musique. Je suis en train de faire un projet, je suis en train de bosser sur mon album. L’idée, c’est de faire un un très très bon album. Jene vais pas me mettre la pression, pas faire l’album du siècle, mais faire un très bon album, dans la continuité de ce que j’ai déjà pu proposer. Et aussi essayer de nouvelles choses, quoi.
LFB : Et ma dernière question, t’en as un peu parlé avec Juliette Armanet, mais est-ce que t’as des coups de coeur récents à partager avec nous ?
Benjamin Epps : Très bonne question. Euh…
LFB : C’est souvent la plus compliquée.
Benjamin Epps: Ouais, exactement, exactement. Parce qu’on vit tellement plein de choses au quotidien. Ben déjà, le nouvel album de Kendrick Lamar, il tourne en boucle à la maison, « Mr. Morale & The Big Steppers ». En cinéma… Dernièrement, j’ai regardé La vie est belle. Ouais, c’est les deux trucs qui m’ont le plus marqué dans un temps court, on va dire les trois derniers mois, quoi.
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