Bibi Club maintient le feu de garde

Tomber en amour. C’est comme ça qu’on dit à Québec. Et c’est clairement ce qui nous est arrivé avec la musique de Bibi Club. Des écoutes répétés et de nombreux concerts plus tard, le temps a filé comme une flèche qui reste bêtement plantée dans nos cœurs. Et ce n’est pas Feu de garde, le sublime second opus d’Adèle et Nicolas, qui risque de la faire tomber.

Si l’on devait définir la musique de Bibi Club, on pourrait facilement parler de drôle d’écho. Car comme l’onde qui évolue sur l’eau, ou les ombres qui sortent des flammes (deux éléments centraux des histoires de Feu de garde) la musique du duo est du genre à se transformer et à grandir, à transformer les souvenirs en quelque chose de plus grandiose, de plus vivant et de différent.

Comme l’onde, Adèle et Nicolas sont le point central qui fait apparaitre l’énergie métamorphe de leur musique, entraînant dans son sillage des gens, des idées, des pensées. Ils sont les guides que l’on suit dans leur aventure, entraînant dans leur nouvelle aventure famille, ami.es et auditeurs. Autour du feu qu’ils maintiennent envers et contre tout en vie, Bibi Club fait vivre une certaine idée de la communauté, bienveillante, humaine et pleine de doute mais confiante plus que jamais vivante.

L’écho, il est aussi dans le rapport évident qui existe entre le soleil et la mer et feu de garde. Un des parallèles évident se joue entre Bellini et ce qui va disparaitre. Dans leur construction, dans les brumes qu’ils dégagent et dans l’ajout d’une voix en sourdine, les deux morceaux se retrouvent et pourtant les deux se séparent dans leur durée, comme si Bibi Club avait su capturer en moins de 2 minutes toute l’énergie qu’il laissait auparavant s’échapper en 9.

De la même manière, La Terre s’ouvre soniquement de manière proche de leur précédents titres mais s’envole rapidement vers une énergie bien différente, contenue mais beaucoup plus ample, subliment alimentée par l’arrivée de chœurs enchanteurs dans lesquels on pourra retrouver Blumi, Helena Deland ou encore Safia Nolin … des chœurs évidents qu’on retrouvera à nouveau sur la magnifique, et un peu chaotique Samedi/le lit mais aussi à la fin de la superbe Rue de Repos qui termine l’album. Onde et écho, une fois encore.

Si le premier était un album du matin, une éclosion en douceur, le second est une fête de fin de journée, remplit à la fois d’une certaine langueur onirique et d’une énergie qui nous contamine et se diffuse. Ici, l’eau est accueillante mais aussi pleine de ressacs, le feu hypnotise autant qu’il peut brûler. Dans Feu de garde, si tout semble évident au premier abord, ce sont pourtant les détails et la minutie du travail musical qui font que chaque écoute s’avère nouvelle et vivifiante.

La grande qualité des pièces qui composent feu de garde vient d’un aspect important de la musique d’Adèle et Nicolas : capturer l’énergie et la vitalité de leur musique. On ne parle pas ici d’une chasse mais bien du fait de tenir entre ces mains la fragilité et l’intensité du moment et de les laisser s’exprimer d’une manière à la fois brute et très travaillée.

Ainsi, il est impossible de passer à côté de la puissance mélodique de Parc de Beauvoir, l’île aux bleuets ou encore Le feu, superbe premier single qui contenait en lui toutes les indications de ce qui nous attendrait dans cet album. Pour nous, il serait injuste de parler de minimalisme pour la musique de Bibi Club car, à chaque instant, sur chaque morceau, ils tirent au contraire le maximum et font exploser toute la grandeur d’une musique qui nous invite à bouger, à vivre et à se jeter à l’eau.

Car c’est de ça qu’il est question ici : se laisser porter, avancer coûte que coûte et s’évader… ensemble. Inspirés de leur existence et des souvenirs de scouts de la jeunesse d’Adèle, les morceaux de Bibi Club appellent à être ensemble, dans l’instant pour échapper un moment à la cacophonie d’un monde qui nous entoure et nous isole parfois trop dans nos angoisses.

Alternant parfaitement entre l’anglais et le français, la musique du duo joue subtilement sur deux tableaux. D’un côté, l’idéalisation d’un quotidien calme et tempéré, des histoires plus ancrées dans la terre et la langue de shakespeare ( you can wear a jacket or a shirt, Parc de Beauvoir ou la petite merveille remplie d’amour qu’est Nico). De l’autre, le chant en français qui amène avec lui son lot d’image, ses éléments et sa force ( Shloshlo, Les guides, l’île aux bleuets).

Loin de tout, mais plus que jamais ensemble, Bibi Club nous offre avec Feu de Garde un remède parfait à notre époque. Une bulle protectrice qu’on a envie de laisser grandir pour la partager avec le plus grand monde possible afin de se réunir ensemble et de maintenir vivant ce feu de garde qui nous réchauffe et nous apaise. Sans aucun doute l’un des grands album de l’année.

Crédit Photos : Cédric Oberlin