Il est de ces groupes que l’on se promet de suivre sur une période indéfinie. Et il se trouve que c’est justement le cas de Biche, quintet de jeunes artistes tout aussi passionnés que passionnants. Après avoir fait l’unanimité avec leur premier album, La Nuit des Perséides, Biche nous revient avec un nouveau single, Discipline, déraisonnablement addictif et indubitablement réussi. Un retour accompagné d’une première véritable tournée et dont le coup d’envoi a été lancé il y quelques jours devant une Maroquinerie comble. On en a donc profité pour aller à la rencontre d’Alexis Fugain afin d’échanger sur un futur envisagé comme décomplexé, plus léger et synonyme de renouveau.
crédit photo : Marine Toux
La Face B : Comment vas-tu aujourd’hui ?
Alexis : Je vais super bien ! Aujourd’hui particulièrement parce qu’on s’apprête à jouer à La Maroquinerie et c’est une salle que j’aime beaucoup, c’est même ma salle préférée à Paris. On a aussi une formule très spéciale ce soir, on joue avec un alto, un violon, un violoncelle et une flûte traversière. Il y aura également quelques surprises pendant le show et c’est très cool. J’avoue que pendant un petit mois avant cette date, j’étais bien stressé mais là ça va.
LFB : Votre date de ce soir ouvre une nouvelle tournée pour vous. Est-ce que tu l’appréhendes un peu ? Qu’attends-tu de cette tournée qui marque les prémices d’un nouveau chapitre pour Biche ?
A : Ça ne marque pas vraiment les prémices d’un nouveau chapitre car c’est vraiment la première vraie tournée depuis la sortie de l’album. Certes on a fait une petite tournée en Allemagne, je crois que c’était avant même, mais ça ne compte pas. Après, je pense qu’on est assez relax, non pas qu’on va bâcler les concerts après La Maroquinerie mais on commence par l’exercice le plus compliqué, le plus excitant aussi car on joue avec cette formule dont je t’ai parlé. Après un mois et demi de préparation pour La Maroquinerie, je pense que les dates qui vont suivre vont être d’une intensité nouvelle et ça va être très instinctif, très agréable donc je suis assez content. Je pense que Carol aussi.
Carol : Oui, très très hâte de partir en tournée !
LFB : Votre dernier morceau, Discipline, est un titre plus rythmé, plus brut et dynamique que ses prédécesseurs même si on retrouve toujours cette nonchalance particulière dans la voix. Le point culminant en fin de morceau a également retenu mon attention car il nous laisse un peu sur notre faim. Peut-on dire que ce morceau est représentatif d’un changement voire d’un tournant significatif dans l’évolution du projet ?
A : Je pense que oui et pour plusieurs raisons. La première étant que tout l’album précédent a été fait sur une période assez longue, que ce soit l’enregistrement, l’écriture des morceaux, l’arrangement etc. Discipline s’est fait en quatre jours, deux jours d’enregistrement, deux jours de mix et quelques journées avant de composition et d’arrangements mais rien que dans la méthode et le procédé d’écriture, c’était beaucoup plus instinctif. C’est justement ça le vrai point, on a fait un album très préparé, avec beaucoup de concepts. Il fallait que les morceaux soient liés, inter-dépendants et désormais, on va envisager la suite avec beaucoup plus de légèreté. Musicalement aussi, on a toujours eu des concerts avec beaucoup de dynamique, avec des moments très calmes car l’album en lui-même a des phases très calmes, mais aussi d’autres qui le sont moins où ça joue de façon beaucoup plus énervée. Discipline traduit bien l’envie de vouloir jouer un peu plus vite et un peu plus brut.
LFB : C’est aussi un morceau qui sonne moins introspectif, un peu plus décomplexé. Est-ce que c’est un titre pour lequel tu as totalement lâché prise dans le processus de création ?
A : Oui, pour une raison qui va paraître totalement stupide d’ailleurs. Tout a été fait pour un concert, ça a été fait dans l’urgence et donc ça s’est un peu monté comme ça. Cette urgence a fait que le rendu du morceau est moins décomplexé car je n’avais pas six mois devant moi.
LFB : En description de vidéo pour le morceau Discipline, c’est écrit « La Discipline, c’est ma mère. » Peux-tu être un peu plus explicite par rapport à ça ?
A : Alors ça, c’est typiquement une question que je vais laisser à Carol ! (rires)
C : Oh non, c’est dégueulasse ! (rires)
A : C’est presque une private joke. C’est-à dire que dans le contexte dans lequel on travaille depuis des années maintenant, c’est un lieu qui appartient à la propriété dans laquelle j’habite avec ma mère et ma mère c’est un vrai personnage, c’est quelqu’un avec un tempérament exceptionnel, des valeurs très fortes et qui m’a éduqué d’une certaine manière. Et je suis très fier de l’éducation que j’ai reçu. Ce n’est pas vraiment un hommage mais c’est un peu la figure de proue de ce morceau et en même temps une façon de faire sourire tous les garçons car tout le monde sait qu’il faut se tenir à carreau. La discipline, c’est vraiment ma mère.
LFB : Par pure curiosité, qui est le plus discipliné dans le groupe ?
A : À part moi ?
LFB : Oui.
A : Je pense que c’est Carol.
C : Il dit ça parce que je suis là sinon… (rires)
A : Non, honnêtement je pense que c’est Carol car si on doit se référer au retard, il l’a été une fois en sept ans pour cause de décès, ce qui est pour moi primordial. Après vient Thomas et puis pour la suite, ça reste flou. (rires)
LFB : Pour votre dernier single, vous avez essayé de retranscrire une idée de répétition plutôt importante, selon laquelle il faudrait « répéter sans cesse pour parfaire son geste ». Tout cela laisse supposer un certain perfectionnisme chez toi…
A : Non, pas du tout… (rires)
LFB : Je me trompe peut-être ?
A : Non, je le suis.
LFB : Vois-tu ça plutôt comme un défaut ou une qualité alors ?
A : Maintenant, je vois ça comme une qualité mais j’essaie juste de faire attention surtout quand t’es jusqu’au-boutiste comme ça et qu’il y a d’autres personnes incluent dans le procédé, tout le monde ne l’est pas, tout le monde ne comprend pas ce genre de chose. C’est également ce qui m’a rappelé qu’être perfectionniste c’est bien mais que parfois il faut savoir lâcher le truc et sortir. J’ai plus envie d’être perfectionniste dans ma quête de sens que je vais donner aux morceaux, aux textes, certains éléments de l’arrangement etc. Maintenant, j’ai juste envie que la première bribe de morceau soit plus instinctive, moins contrôlée et moins psycho car ça fait mal d’être perfectionniste parfois.
LFB : J’ai un peu fouillé l’internet, et dans une interview tu as dit « Si on travaille bien, on peut savourer pleinement la pause qui s’ensuit ». Après la réussite de ce premier album, l’as-tu pleinement savouré cette pause ?
C : Une heure ou deux ! (rires)
A : Non, je n’ai pas vraiment ressenti la pause par rapport à cet album car on a voulu s’approprier les morceaux assez rapidement dans le but de faire des lives. Avec Biche, on a toujours une deadline d’un concert important, de quelque chose à sortir donc effectivement, tu as une semaine de pause puis tu t’y remets et c’est nécessaire de s’y remettre je pense. Après je ne vais pas te mentir mais quand l’album a été fini, juste avant sa sortie, mais vraiment quand on s’est dit « ok, cet album est terminé ! », ça a été excellent, une vraie détente, au moins pendant quelques semaines.
C : Et la vraie pause, on l’a prise avant l’album donc après on avait plutôt envie de recommencer à bosser assez vite ! (rires)
A : C’est ça !
LFB : La Nuit Des Perséides est un disque qui pousse à la contemplation, au repos et beaucoup d’autres. As-tu déjà une idée de l’aspect que tu souhaiterais donner à son successeur ? Peut-être quelque chose de totalement opposé dans l’idée ? Un album qui pousse à la vivacité par exemple ?
A : Je ne sais pas, il est encore un peu tôt pour savoir de quoi les textes traiteront. Je n’ai pas envie d’écrire de la même façon, de dire les mêmes choses, je n’ai ni envie, si deuxième album il y a et il y aura probablement, de me me dire qu’il faut que tout l’album soit contemplatif. Car finalement, le premier album c’est ça, c’est très imagé mais là je n’ai juste pas envie de me poser la question. Je ne sais même pas quand il y aura un deuxième album, on a envie de faire pas mal de choses donc je ne prévois rien pour l’instant.
LFB : Tu clames parfois la nécessité de ne pas être trop subversif et de ne rien précipiter. Comment fais-tu pour appliquer cette règle au quotidien, notamment en tant qu’artiste ? Dans l’industrie musicale, les demandes sont souvent nombreuses et précipitées, j’en déduis que ça peut être difficile de se tenir à ces propos.
A : Je ne sais pas vraiment comment répondre à cette question car je dois orienter ma réponse de façon habile. Je n’ai pas envie de passer pour un vieux con mais c’est juste que moi, ça me saoule.
C : C’était l’introduction, on passe au développement maintenant. (rires)
A : Je ne me retrouve pas dans cette voie de consommation, je n’ai pas envie d’avoir de comptes à rendre à qui que ce soit, de faire des compromis car je pense comme ça. Je n’ai pas la sensation d’appartenir vraiment à ce genre de cas de groupe dans lequel il faut travailler l’image en même tant que ça ou ça, ce n’est pas bossé de la même façon, c’est beaucoup plus artisanal. Je n’ai pas envie de bosser ainsi, je ne me sens presque plus concerné à vrai dire. Il a été question au début de savoir quelle orientation on donnait à Biche mais franchement pour le tout premier concert, on a été habillé par une marque, il y a très longtemps et je me souviendrais toujours quand on est sorti et qu’on s’est retrouvés, on s’est dit « T’étais bien toi ? » (rires)
LFB : C’était pas du tout vous en fait ?
A : Vraiment pas ! Je me place en me disant que je vais faire exactement ce que j’ai envie de faire quand j’ai envie de le faire, en prenant accord avec les garçons avec qui je joue et ceux avec lesquels on va composer et arranger. D’un point de vue économique c’est autre chose, c’est un autre secteur, on sait que ça prendra ou pas, peut-être que ça prendra dans longtemps mais aujourd’hui on le fait pour l’amour de faire ce que l’on a envie de faire et de faire la musique d’une certaine manière, de façon artisanale.
LFB : Est-ce que derrière la nonchalance omniprésente et l’air stoïque que tu dégages dans tes morceaux, se cache un tempérament tout autre que tu camoufles à travers la musique ?
C : Il se cache un petit cœur fragile. (rires)
A : Carol peut répondre.
C : Alexis est quelqu’un de beaucoup plus protéiforme que ce que l’on entend de lui, que cette voix nonchalante ou le rythme qu’il donne à la musique mais ça, c’est du privé après. (rires)
A : C’est à vous de le découvrir !
C : Peut-être dans le deuxième album !
A : Après, ça fait quand même partie d’un des aspects de ma personnalité.
LFB : Pour le premier album de Biche, tu as composé une bonne partie des morceaux alors que récemment tu as dit avoir opté pour une formule plus démocratique en laissant davantage de place aux autres membres dans le processus de création. Cette nouvelle méthode de composition est-elle synonyme d’une évolution dans ton rapport à la musique ?
A : Je n’ai pas vraiment tout composé tout seul sur le premier album. Il y a plusieurs morceaux qui ont été co-composés avec les garçons, notamment Alexis (Croisé) et tous les autres car il y a le morceau intitulé Mon Morceau Préféré, qui est vraiment une co-composition. Si la première bribe harmonique d’un morceau a été amenée par moi en l’occurrence, ça a souvent été un travail de groupe car avant d’enregistrer, on s’est retrouvés une semaine en studio et la composition a été faite en amont. Tout le côté arrangement a déjà suscité une méthode démocratique même si au final, le fin mot de l’histoire c’est effectivement moi qui le donnais. Il faut savoir qu’au début on se découvrait avec les garçons, on ne se connaissait pas et ça donnait quelque chose de plutôt informe, ça manquait d’une vraie ligne de départ, d’une trajectoire donc travailler ensemble n’était pas très concluant à ce moment-là. On a réessayé pour un morceau qu’on va d’ailleurs jouer ce soir, on a essayé de retravailler en enregistrant pas seulement avec moi derrière mon ordinateur mais en mettant en forme avec les garçons et ça s’est bien passé. Ce n’est pas vraiment une évolution de pensée, c’est juste que j’ai pu aller jusqu’au bout de l’idée que j’avais de l’album précédent et maintenant qu’on se connaît bien et qu’on sait ce que ça donne, j’aimerais bien essayer de retenter le tout un peu comme ce qu’on avait fait à la base.
LFB : Ce que j’apprécie chez Biche, outre l’aspect quelque peu cinématographique d’un point de vue musical, c’est le côté narratif qui découle des morceaux. Souhaites-tu garder cette idée de narration à l’avenir ? Et si oui, quelle approche aimerais-tu tenter ?
A : Je me suis posé la question. Si tu prends le cas de Discipline, ce n’est plus du tout quelque chose de narratif même si après il m’arrive d’écrire de cette manière. Globalement, je pense que j’ai tendance à voir le début d’un texte et sa fin, tout en voulant essayer d’écrire dans le but de cette fin. Je le vois moins en poésie par exemple, c’est moins naturel chez moi. Maintenant, j’ai envie de sortir de ma zone de confort, d’appréhender plein de genres de méthodes de travail différentes et il y aura sûrement un aspect narratif dans les textes car j’aurais du mal à faire sans. Aujourd’hui, j’ai plus envie de m’essayer à l’absurde même si ça a déjà été un peu le cas et d’aller plus loin dans le non sens, dans le but d’avoir une première lecture et ensuite une deuxième totalement différente. Je n’ai pas vraiment envie d’acter les textes que sur des histoires même si naturellement…
LFB : Ça reste votre signature.
A : Je crois bien.
LFB : Musicalement, vous avez tous des influences assez distinctes. Comment parvenez-vous à trouver un accord commun quand vous composez ensembles ?
A : Ça revient un peu à la même méthode de travail que l’on a en groupe. Si je vois dans les propositions qu’il y a des choses qui sortent un peu du champ, je vais leur dire que je ne vois pas exactement où ils veulent en venir. C’est vrai que sur la période du premier album, j’ai beaucoup écouté d’un genre musical en particulier et Alexis mentionnait le fait qu’il fallait vraiment au moment de la création des morceaux, pouvoir piocher dans des choses radicalement différentes et ne pas se fermer à tout. Si tout le monde se nourrit un peu des mêmes choses et qu’en même temps on essaie d’aller voir plus loin, de se proposer des choses, ça fait un mixage qui peut être assez enthousiasmant. C’est pour ça qu’à terme, les morceaux sont plutôt digestes, c’est pas du reggae-soul-rap en même temps (rires). Ils savent ce que j’aime et puis même, il n’est pas question que de moi mais de ce que l’on aime nous, à plusieurs. Globalement, on va quand même dans la direction de ce que l’on a tous envie de jouer au même moment dans un morceau.
LFB : Enfin, peux-tu partager avec nous quelques uns de tes coups de cœur récents ?
A : On va tous en donner un !
Alexis Croisé : Je me suis fait la réflexion il n’y a pas longtemps en plus, en me disant « Ça, c’est un vrai coup de cœur ! »
C : Je suis un peu un monomaniaque et mes crises de monomanie durent longtemps. J’ai beaucoup aimé le dernier album de Julien Gasc, L’appel De La Forêt, très beau, je le conseille.
A : Moi aussi, j’ai beaucoup aimé ce disque, comme un peu tout le monde ici.
Thomas : Oui, le disque est cool, il est coolax ! De toute façon, tous les disques de Gasc sont biens.
AC : J’ai un coup de cœur Instagram, c’est un artiste que j’aime beaucoup, c’est ma copine qui m’a fait découvrir ça. C’est un artiste qui s’appelle Jatinder Singh Durhailay et c’est super beau ce qu’il fait. Je regarde beaucoup ses dessins en ce moment, c’est un peu pop, religieux et indien à la fois, c’est très joli.
A : Gros coup de cœur récent, ça fait quelques mois que j’écoute en boucle dès que je peux, c’est un album de Kit Sebastian qui s’appelle Mantra Moderne. C’est de la grosse balle.
AC : Je trouve qu’il y a un truc d’Altin Gün.
A : Oui, ça chante en turc et c’est un duo, enfin ça joue en groupe mais c’est à la base un duo. Le gars est anglais et français et la chanteuse brésilienne et turque mais je ne suis pas sûr. En tout cas, c’est un mix de plein de choses et c’est jamais indigeste, c’est suffisamment enregistré à la maison pour que ce soit délicieux à écouter, rugueux et curieux. Je suis un gros fan, gros coup de cœur.
Thomas : Moi j’ai découvert un groupe qui s’appelle Loving, un peu au pif mais j’aime bien car il y a des jolies chansons
A : Et Brice ? À part Gil Scott-Heron, tu aimes qui ?
T : Phoenix ? (rires)
AC : Ça doit être Phoenix et leur dernier album. (rires)
LFB : Grand fan de Phoenix alors ?
A : Très très grand fan !
LFB : On va bien s’entendre !
A : Voilà, ça part en top réponse ! (rires)
Brice : Non, je vais dire Anderson .Paak, le titre Come Home que j’écoute quarante fois par jour, c’est un énorme coup de cœur !
crédit photo : Ella Hermë
© Crédit photo (couverture d’article) : Alphonse Terrier, à suivre ici et là.