Sabrina Mae Teitelbaum, mieux connue sous le pseudonyme Blondshell, revient en ce mois de mai 2025 avec son deuxième long format, appelé If You Asked For a Picture. Un album très personnel où la chanteuse se livre sur ses troubles et questionnements, tout en mettant en lumière des thématiques importantes pour nos générations et celles à venir.

Deux ans après son album éponyme Blondshell qui a propulsé l’artiste américaine de 28 ans sur le devant de la scène, nous retrouvons sur ce deuxième essai presque la même formule, pour notre plus grand plaisir.
Opérant un joli fil conducteur entre ses deux œuvres, nous reprenons là où Blondshell nous a laissés il y a 2 ans. If You Asked for a Picture démarre avec le titre Thumbtack et sa jolie ligne de guitare folk, claire et apaisante. La batterie démarrera un peu plus tard dans le morceau, et donnera un rythme plus soutenu, avec une voix à la fois traînante et assumée. Un démarrage doux dans la composition, mais déjà dense dans ses paroles. Nous rentrons alors dans le cœur du message – très personnel – que Blondshell nous transmettra tout au long des 12 morceaux.
Dompter ses parts d’ombre
Les schémas répétitifs, particulièrement dans les relations amoureuses, nous en avons tous été victimes ou témoins. Blondshell nous livre ici ses difficultés à gérer sa soif de contrôle et ses troubles obsessionnels compulsifs qui viennent impacter chaque facette de sa vie. Tout d’abord dans Thumbtack, où rester avec quelqu’un qui n’est pas fait pour soi est plus facile que de faire face à d’autres problèmes plus importants. La relation avec l’autre est ici moins destructrice que la relation avec soi-même : “From what’s worse so I will let you / Keep a ball chain on my leg / Keep fucking with my head / Cuz it’s not as bad as what I do to myself”. Est-il plus facile de rester dans des schémas destructeurs que de lâcher prise et de perdre le contrôle ?
Ce thème sera récurrent tout au long de l’album, notamment dans le titre Toy : “ What’s the point / Of all the talking / Just say that you don’t think you have control”. La chanson dépeint l’importance de lâcher prise lorsqu’on le peut, et que cela demande aussi du temps et de l’apprentissage pour savoir le faire. Comme à son habitude, Blondshell pose ses mots sur une délicieuse mélodie pop bondissante, contrastant parfaitement avec la profondeur des paroles.
Toy évoque également, presque dissimulé au milieu du reste, un autre thème majeur de l’album, par ces deux lignes : “I won’t lose my body if I get a belly / I’ll just roll around and feel it like a boy”. Blondshell évoque ainsi la manière dont la pop-culture et les médias ont forgé nos pensées et notre rapport au corps, particulièrement pour les femmes.
Blondshell tente de guérir ses blessures d’enfance
Enfants des années 90, vous avez probablement grandi dans le même univers que Sabrina. Entouré de tabloïds remplis de mannequins au physique mince et de publicités vantant les mérites de pilules magiques pour se débarrasser d’un petit ventre considéré superflu. La pression mise sur le corps des femmes par le patriarcat est décrite dans plusieurs chansons de l’album. Toy, comme mentionné ci-dessus, mais également dans un titre émouvant appelé What’s Fair.
Une guitare presque étouffée, mutée et distordue accompagne les paroles poignantes de What’s Fair. La voix de Blondshell se fait également plus agressive et pressante sur ce morceau. La chanteuse met en lumière à quel point la misogynie peut impacter les femmes, mais également toutes les relations mère-fille sur plusieurs générations : “You always had a reason to comment on my body” mentionne la chanteuse en parlant de sa mère. Au fur et à mesure que l’on grandit, particulièrement entre 20 et 30 ans, nos traumatismes d’enfance se dévoilent. On commence à quitter le nid familial, à vivre seul ou en tout cas sans nos parents, et l’on commence à voir ce que notre éducation et le lien avec ceux qui nous ont élevé nous ont forgé.
Blondshell, dans son titre 23’s A Baby, parle de cet impact sur nos existences. Pour la chanteuse, guérir de ses blessures d’enfant, apprendre à se connaître soi-même est important avant de donner la vie et d’accueillir un enfant (qui lui-même devra vivre avec ses troubles…). Blondshell nous donne une jolie leçon de vie et de quoi y réfléchir, toujours sur un air très candide et un son pop-rock accrocheur.
Continuons dans l’introspection et les bagages émotionnels avec un des plus beaux morceaux de l’album, Event Of a Fire. Très personnelle et délivrant de nombreuses références à son adolescence, la musicienne place alors un sentiment d’épuisement global ici : après tant de questionnements et de blessures à guérir, est-ce possible d’être en burn-out de la vie ? Sur une guitare très calme dans les premières secondes et une intensité montant crescendo, la voix de Blondshell se veut envoûtante et claire, faisant preuve de tout son talent vocal sur ce titre.
L’amour doit-il être douloureux ?
Le troisième pilier de cet album réside dans la complexité et l’ambiguïté des relations amoureuses. Commençons par le tube de cet album, T&A, qui dépeint de manière très narrative une histoire d’amour simple mais imparfaite. La voix de Sabrina oscille entre profondeur et clarté dans ce morceau, accompagnant à la perfection la ligne de guitare saturée. On ressent la peine de l’artiste sur le refrain incisif : “Why don’t the good ones love me / Watching him go right in front of me”.
La chanson qui suit directement T&A se nomme Arms. Blondshell s’est inspirée pour ce titre des lignes de basse de groupes comme Queens Of the Stone Age. Bien que ces musicalités sont habituellement utilisées et produites par des hommes, elle déclare que s’être appuyée sur ces artistes l’a aidée à prendre le pouvoir sur sa création, faisant un pas de plus contre la misogynie de l’industrie. La chanson en elle-même décrit la volonté pour elle de ne pas se conforter dans un rôle de mère et d’éviter le syndrôme du sauveteur au sein d’une relation amoureuse : “Oh well you’re not gonna save him // I don’t wanna be your mom / But you’re not strong enough”.
La dualité des relations amoureuses est au cœur des préoccupations de l’album. Est-ce qu’une relation doit être difficile, conflictuelle et passionnelle pour compter ? C’est la question que Blondshell se pose au creu Two Times, cinquième chanson de If You Asked For a Picture. Ce titre, influencé par The Cranberries en particulier dans les harmonies vocales, est d’une douceur presque candide et innocente. Elle est en réalité une chanson d’amour très nuancée. Les films nous mentent-ils lorsqu’ils nous font rêver à des relations passionnelles mais destructrices ? Et si une histoire d’amour pouvait juste être belle, simple et sereine ? Est-ce qu’on s’en lasse ? Est-ce que cela compte ?
Teitelbaum change les rôles dans son titre Change, à l’ambiance plus inquiétante de part les guitares tout en distorsion et sa voix caverneuse sur le refrain. A la recherche de la validation de l’autre, on finit par se perdre dans ses désirs. On devient alors le méchant de l’histoire, celui qui abandonne, celui qui déçoit.
Beaucoup de titres fonctionnent en duo sur cet album, c’est le cas de He Wants Me et Man. Le premier est sûrement le plus positif de l’album, évoquant une relation sereine et apaisée (“I’ll stick with you / Cuz I like sleeping well”). Le second, le rapport décalé (voire malsain) entre une adolescente de 17 ans et un homme plus âgé (“But he was 28 and off of the handle / I was a kid wanting to cancel”). Ici, Blondshell nous rappelle une nouvelle fois l’importance de la construction de l’enfance à l’adolescence, et comment cela impacte notre vie une fois adulte. La voix de Teitelbaum reste un vrai bijou à savourer sur ces deux titres.
Blondshell cherche sa place dans un monde fait de contrastes
L’album se clôture sur le titre Model Rocks et c’est une parfaite conclusion à un album haut en émotions. C’est également un des morceaux les plus intimes de l’album, où Blondshell se confie sur ses combats intérieurs et ses questionnements les plus personnels. Elle évoque notamment la complexité de la bisexualité : “When I’m with a man I’m only gay / When I’m with a girl I’ve been lying”. Un morceau très lyrique et imagé sur une mélodie très dreamy, où l’on se questionne sur notre positionnement face au monde. Envier ce que l’on a pas, rêver à la vie que l’on souhaite : un autre est-il en train de la vivre à notre place ?
Le titre se finit par une explosion d’échos, de chœurs harmonieux et de guitares larmoyantes. Voilà : Blondshell nous a émerveillés. A l’issue de If You Asked For a Picture, on se sent un peu mieux compris, un peu moins seuls, un peu plus humains.
Crédit photo : Daniel Topete