Avec son premier album, Bobbie nous invite à rechercher et célébrer le sacré dans l’ordinaire, au travers d’un voyage intime entre nostalgie et douceur. La Face B a eu le plaisir de discuter avec la singer-songwriter aux influences americana, qui sera en concert le 4 avril au Café de la Danse à Paris.
La Face B: Après un premier EP en 2019, et plusieurs singles, tu sors le 29 mars ton premier album The Sacred in the Ordinary. C’est quoi pour toi le sacré? Quelle a été la place du sacré dans ta vie?
Bobbie: C’est une bonne question! Quand j’évoque le sacré, je parle des moments d’innocence, de partage, de légèreté… souvent entourés de famille. Je me souviens de moments avec mes cousins, ma grand-mère, souvent l’été. Tu ne te poses pas de questions. Quand j’ai écrit le morceau, je suis partie de l’idée que je n’arrivais justement plus à ressentir en tant qu’adulte cette beauté dans les choses ordinaires. Le morceau m’a au départ été inspiré par un poème. Je faisais un atelier d’écriture avec Courtney Marie Andrews, et il fallait s’inspirer d’un medium. J’ai travaillé à partir d’un poème de Barbara Ras, intitulé You Can’t Have It All. Il y avait cette très belle phrase, qui dit « when adulthood fails you, you can still summon the memory of the black swan on the pond of your childhood, the rye bread with peanut butter and bananas your grandmother gave you while the rest of the family slept« . Aujourd’hui j’ai l’impression que je trouve le sacré dans mon quotidien quand je me sens vraiment connectée, ça arrive surtout quand je fais de la création, ou dans des moments de partage parfois.
La Face B: Des moments où tu te sens alignée en fait?
Bobbie: Oui, quand tu ne penses pas à l’avenir, quand tu es dans l’intention. Quand on parle de sacré il y a une connotation religieuse, je dirais même plutôt spirituelle pour moi. Le chant et l’écriture ont pour moi une dimension spirituelle. J’ai vécu ces moments-là dans l’écriture de l’album, cette impression de complétude. Et a contrario quand tu arrives dans la phase de devoir « te vendre », c’est là où tu te déconnectes de ce sacré. Je suis très souvent dans la projection, je me lève le matin et je me dis allez il faut faire ça, il faut aller chercher quelque chose…
La Face B: Oui je vois très bien. Ce n’est pas facile d’être vraiment dans le moment présent, dans l’intention et pas dans la réaction.
Bobbie: Et ça se joue souvent sur un petit moment anodin du quotidien. Le sacré se retrouve dans les petites choses, dans un rien, et si tu arrives à le voir c’est là où t’arrives à être bien et heureux, mais c’est pas simple. Dans l’enfance, on l’a, on ne se pose même pas la question. On n’est pas en train de se dire « il me reste tant d’années à vivre, et je dois réaliser ci ou ça ».
La Face B: Oui on n’a pas ces peurs existentielles, les inquiétudes et contraintes de la vie adulte.
La Face B: Est-ce que tu peux nous parler de ton parcours musical, des influences artistiques qui l’ont jalonné et t’ont nourrie au fil du temps?
Bobbie: Je ne connaissais pas ce type de musique [americana] quand j’étais jeune, c’est venu sur le tard, vers mes 20 ans. Je l’ai vraiment découvert quand je vivais en Australie pour mes études. Comme je l’avais raconté dans mon ADN, j’ai découvert chez un disquaire à Melbourne deux albums phares de Bob Dylan et Joni Mitchell, que j’ai écoutés en boucle quand j’étais là-bas. Et je suis tombée amoureuse, c’était une révélation pour moi. J’ai aussi écouté de la soul, j’ai eu ma phase rock… J’ai fait une obsession pendant des années sur les Kooks, un groupe de rock anglais. Avant ça j’écoutais pas mal de trucs commerciaux et de la musique française que ma mère écoutait à la radio.
La Face B: Oui on a tous été conditionnés musicalement par ce que nos parents écoutaient!
Bobbie: Oui carrément, ma mère était à fond sur la musique française. Mon père lui m’a laissé beaucoup de vinyles de blues, jazz, rock, que j’ai découverts plus sur le tard. Je les découvre encore aujourd’hui.
La Face B: Et à cette époque en Australie tu chantais déjà?
Bobbie: Ouais, j’avais eu un groupe de rock au lycée. J’écrivais mes textes et mélodies. J’avais aussi commencé à apprendre un peu la guitare avec mon ami guitariste Nico, avec qui j’ai ensuite formé un duo. J’ai commencé à écrire mes morceaux folks en Australie avec lui, à distance car il était en France. C’est aussi à cette époque-là que j’ai rencontré mon producteur actuel, Sebastien Gohier. On s’était rencontrés sur un podcast juste avant que je parte. Le duo a duré plusieurs années, j’ai écrit beaucoup de morceaux, mais je n’avais pas une grande connaissance musicale. Je ne pense d’ailleurs toujours pas que ce soit le cas.
La Face B: On n’a jamais fini de l’enrichir.
Bobbie: C’était assez instinctif, et comme j’écoutais de la pop aussi, ce que je faisais était plutôt folk-pop. J’ai découvert la country beaucoup plus tard, vers 27 ans. J’étais allée jouer sur une péniche à Londres avec d’autres artistes, et il y avait le mec du groupe Madness, Suggs, qui m’a fait écouter son morceau préféré, Coats Of Many Colors de Dolly Parton. Et là, deuxième révélation pour moi. J’ai déroulé le fil de tous les artistes – Johnny Cash, Emmylou Harris, Glenn Cambell que j’adore… J’écoute aussi de la soul. Mon style actuel est donc inspiré de tout ça, sans trop y réfléchir consciemment. Ce sont des genres qui se mélangent facilement. Le musicien americana Marcus King par exemple met beaucoup de soul et de blues dans sa musique.
La Face B: Oui on retrouve ces influences chez pas mal d’artistes.
Bobbie: Chris Stapleton et Amos Lee aussi, ils ont des voix très soul. Parfois ça se joue juste à la voix, sans le vouloir. Je trouve ça cool d’amener cette touche, ça se ressent un peu dans mon album je pense.
La Face B: Et quand est-ce que tu t’es mise à vraiment pratiquer la guitare, qui est ton instrument central?
Bobbie: J’avais commencé à 16 ans, mais je ne le prenais pas trop au sérieux, l’instrument était juste pour écrire. C’est devenu central quand j’ai commencé Bobbie il y a 4 ans, car il fallait que ça tienne sur scène seule. J’ai appris en autodidacte, en m’améliorant avec la pratique. La guitare est un bon instrument pour m’accompagner, et l’étape d’après est d’arriver à lui donne l’âme que la voix a. C’est un challenge.
La Face B: Tu ne penses pas avoir atteint ce stade?
Bobbie: Non pas vraiment. Il y a une forme de justesse, c’est interprété, mais il n’y a pas encore assez de subtilité, c’est un peu brut, ca pourrait être encore beaucoup plus subtil. Genre jouer comme Marcus King j’aimerais bien! C’est pas compliqué en soi, mais il y a plus de nuances. J’adore aussi la façon de jouer de Joni Mitchell, elle a toujours des accordages chelous, et j’adore le fait qu’elle joue vraiment à sa façon, c’est pas un truc qu’elle a appris et reproduit, elle l’a juste senti. J’essaye aussi d’avoir cette approche. D’ailleurs parfois en studio, Glenn [Arzel], qui est un excellent guitariste, n’arrivait pas forcement à jouer certains morceaux de la même manière, peut-être parce que je les jouais un peu bizarrement, avec une vibe qui me parle.
La Face B: A quel moment tu es arrivée a faire de la musique à temps plein? Je sais que pendant assez longtemps tu as eu un travail en parallèle.
Bobbie: Oui, après mes études j’ai travaillé pendant 4 ou 5 ans, et après gros burn out. Quand ton corps et ton mental te lâchent, tu es quelque part plus prêt à recommencer autre chose, parce que tu te dis que tu n’as pas le choix. J’étais incapable de me dire que j’allais refaire un job similaire. Mon corps me disait allez, assume, ose. C’était pas simple, je ne sais même pas comment j’ai réussi quand j’y repense. J’étais au plus bas, sans vision, et je n’ai pas eu de soutien psychologique fort. J’avais l’impression de me lancer dans un truc inconnu, pas valorisé, ma famille se demandait ce que je faisais.
La Face B: Ils ne t’ont pas trop soutenue dans cette démarche?
Bobbie: Aujourd’hui ils l’acceptent, même s’ils ne considèrent pas vraiment ce que je fais comme un vrai travail, en tout cas je le ressens comme ça. La notion de travail est très importante pour les anciennes générations, la retraite etc. J’ai eu droit à quelques remarques assez violentes. C’était il y a environ 6 ans. Et après je me suis vraiment lancée dans mon projet. Pendant un temps même moi j’avais du mal à me presenter comme artiste. Un des titres de l’album que j’avais écrit après ces années-là, Jupiter, parle de ça. Ça raconte de façon romancée mon histoire, ma mère qui me dit tu es au bon endroit, tu n’auras pas mieux que ça, et une partie de moi voulait aller plus haut, faire ce qui m’appelait, d’ou le « Gravity won’t bring me down« . Je parle aussi du Ryman dedans, je vais loin dans le rêve! Cette chanson c’est un peu mon hymne de changement de vie. Il y a aussi le dernier titre de l’album, Back Home, que j’ai écrit beaucoup plus tôt quand j’étais en Australie, qui parle du fait de trouver l’endroit où tu te sens vraiment aligné, donc déjà 15 ans avant j’étais en non alignement! Je savais que je voulais faire ça, c’était en moi. Et je me souviens d’une soirée hyper hippie avec des artistes folk, j’avais ressenti un truc très puissant, qui m’avait amenée à écrire ce morceau. C’est aussi pour ça que j’ai voulu clôturer l’album avec.
La Face B: Oui, ça fait echo à ce qu’on disait avant sur ces moments d’alignement si difficiles à trouver, ces moments où on sent vraiment qu’on est where we belong.
Bobbie: Oui, ils sont très difficiles à capter, c’est une quête qui prend du temps, à 20 ans tu ne sais pas trop, et tu commences à comprendre en vieillissant.
La Face B: Et à force d’avoir des expériences où tu te dis ah ouais là ça va pas, qui t’obligent à te réorienter, tu commences à capter ce qui te fait vraiment vibrer.
Bobbie: Oui c’est tout un cheminement. Et puis avec le temps on change beaucoup, on se réaligne tout au long de la vie je pense, mais on met de moins en moins de temps à en prendre conscience, au lieu de passer des années dans un truc qui ne nous convient pas.
La Face B: Et en parlant de tes chansons, peux tu nous parler de ton processus créatif ? Comment tu abordes la composition ?
Bobbie: Parfois j’ai des phrases préécrites que je me suis notée, comme « I need you more than I want you« , je savais qu’elle allait être au coeur d’un morceau, et j’ai écrit la mélodie après. La guitare aide beaucoup à composer, ça te fait sortir des melodies qui te permettent de trouver des mots. Dans l’album, il y a un morceau qui s’appelle They don’t show it in movies, je chantais et ce mot est sorti, et je me suis dit ah bah ouais je vais écrire sur ce thème. Souvent la mélodie arrive d’abord autour d’un charabia, puis je recrée un texte. C’est très rare pour moi d’avoir un texte entier que je mets en musique, je sais pas faire de la poésie, c’est moins instinctif. C’est jamais très conscientisé pour moi. Il y a aussi des moments d’inspiration pure où ça vient en 5mn, le studio. c’est d’ailleurs pas mal pour ça.
La Face B: Est-ce que tu t’imposes tout de même une certaine discipline, du genre te caler un créneau tous les jours pour écrire?
Bobbie: Non je n’y arrive pas. Mais il y a des challenges comme ça, des artistes qui se disent allez je vais écrire un morceau par jour pendant 30 jours. La seule fois où je l’ai fait c’était pour l’atelier d’écriture, où j’ai écrit 4 morceaux de l’album.
La Face B: Ah oui hyper efficace!
Bobbie: Oui! Je ne fais jamais ça, devoir avoir une contrainte de temps pour écrire un morceau. Et là 2 jours après tu devais partager ton morceau avec les autres participants, et ça te permet d’être moins dans la recherche de perfection. Donc oui quand même 4 morceaux en sont ressortis, que j’ai retravailles derriere évidemment, mais c’était un bon exercice qui m’a montré que le processus créatif n’était pas que dépendant d’une inspiration soudaine, et que la contrainte peut beaucoup aider.
La Face B: Comme tu le disais, ton style musical a évolué au cours du temps. est-ce que tu penses t’être trouvée musicalement, ou que ce style va continuer d’évoluer?
Bobbie: Je pense que j’ai trouvé le style que j’aime, qu me correspond. Disons qu’il y a une maturité désormais dans ce que jai envie de proposer. J’ai tout de même un peu plus envie d’explorer le côté soul qui est arrive à moi vers la fin de la creation de l’album. J’ai aussi envie d’explorer d’autres instruments, peut-être dans le deuxième album mettre moins de pedal steel, aller plus vers des guitares électriques, explorer des sons différents, avoir plus de morceaux orgue – voix… Je veux voir ce que ça peut donner la voix avec d’autres types d’arrangements. Mais je n’ai pas vraiment commencé à y réfléchir clairement.
La Face B: Tu as toujours écrit en anglais?
Bobbie: Oui ça me vient naturellement, j’aime bien le côté direct et raw de l’anglais. Quand je chante en français ça me donne l’impression que j’essaye de retranscrire un poème, c’est moins moi.
La Face B: Comment s’est passée la production de l’album? De qui t’es-tu entourée?
Bobbie: Je connais Sébastien [Gohier] depuis longtemps, il a toujours été mon producteur. On est très en phase sur nos goûts musicaux et les arrangements qu’on veut donner, même s’il y a parfois des petits désaccords. Il apporte aussi un regard extérieur, et m’aide pour la construction des arrangements. Il m’a aidée à trouver des musiciens pour l’album. On a collaboré avec Marcello Giuliani et Philippe Entressangle pour la basse et la rythmique, ils viennent un peu plus du rock français; avec Michel Amsellem qui est pianiste et organiste, il est adorable en plus d’être extrêmement talentueux, il amène une âme dans le piano. Il sera là le 4 avril pour jouer avec moi. Ensuite à la pedal steel c’est Manu Bertrand, un des seuls très bons joueurs en France. J’en ai mis beaucoup dans l’album, c’est mon péché mignon! Le guitariste Glenn Arzel vient de la scène plus bluegrass, il connait très bien Manu. Pour les cuivres, on a un trompettiste de ouf, Michael Leonhart, qui a eu un Grammy Award, il a joué avec Steely Dan et d’autres. Pour les choeurs gospels, j’ai collaboré avec Emmanuel Vincent, un super artiste. Il a aidé à écrire et à chanter avec d’autres choristes.
La Face B: C’est une bonne équipe!
Bobbie: Oui c’est une équipe de luxe! Ils ne seront pas tous en live avec moi, ils sont très pris. Mais certains seront là, comme Manu et Michel.
La Face B: Et après cette date au Café de la danse, as tu d’autres projets live cette année?
Bobbie: J’aurais voulu faire une tournée mais je cherche toujours un tourneur, en France c’est compliqué. J’ai une date au Royaume-Uni pour un festival d’americana, Rambling Roots, et je ferai quelques festivals cet été. Mais c’est dur de chercher des dates par moi-même, avec tout ce que j’ai à faire par ailleurs. J’espère que la date au Café de la danse m’aidera à trouver des partenaires!
La Face B: On croise les doigts! Pour finir, as-tu des recommandations de morceaux ou d’artistes que tu écoutes en ce moment ?
Bobbie: J’écoute beaucoup le dernier album de Kacey Musgrave, qui vient de sortir, avec notamment un très beau titre, Deeper Well.
La Face B: Merci beaucoup Bobbie!