Bodega à la Maroquinerie: un vent de fraîcheur et de jeunesse


6 Avril, un vent décoiffant guide nos pas jusqu’à la Maroquinerie. Nous sommes prêts à voir Bodega, venus nous présenter leur nouvel album, Broken Equipment sorti le 11 mars dernier. Pour quelques heures nous serons donc à New York, ville où se concentre les 12 titres de cet opus. Entourés de questions à teneurs philosophiques et politiques telles que la gentrification des médias ou encore l’existence même du groupe.

Peu de monde, les habitués parlent des concerts à venir et tout le monde spécule : les gens sont-ils allés voir Metronomy au Zénith ? Tandis que nous patientons sagement assis sur les marches de la salle, nous voyons débarquer une classe entière. Une trentaine d’adolescents, en section musique, venus exprès de Strasbourg pour voir le groupe le plus indy arty de New York. « La troupe des arts de la scène ». Entre incrédulité et amusement, le ton de la soirée est donné.


Première partie : Deep Tan


Crédits photos: Cédric Oberlin

Il est 20h lorsque Deep Tan fait son entrée. Guitare, basse, batterie. Trois femmes en provenance de Londres qui distillent un rock fiévreux, entre le punk et la pop. Jeans moulant ultra taille basse, eye-liner noir, lèvres dessinées et corsage apparent; des looks assumés pour des musiciennes talentueuses. Durant 30 minutes, Wafah, la guitariste s’adresse à nous dans un français impeccable, accompagnée de Lucy et Céleste. De l’ouverture avec Constant à Deep Fake, titre en français, Deep Tan séduit la foule, qui s’est bel et bien réunie ce soir à la Maroquinerie. Des chansons courtes, politisées, « mon corps n’est plus à moi / et d’où vient mon visage (…) they make me do these things / minds of creeps ». On retiendra notamment le jeu imparable de la bassiste qui gratte avec une aisance déconcertante. Un groupe à suivre de près…

Bodega

Bodega en concert à la Maroquinerie le 6 avril 2022.

Crédits photos: Cédric Oberlin


Enfin, lorsque Bodega prend la relève, le public est déjà conquis. Et pour cause ! Il est impatient de revoir le groupe qu’il n’a pas vu à Paris depuis 2019 au Point Éphémère. Nous les avions découverts au festival Check’in’party à Gueret la même année et nous avions été charmés.
Si on leur appose volontiers l’étiquette de post-punk, le quintet s’en affranchit ici. Il puise ses influences dans le hip-hop, l’indie-pop et le rock. Ainsi, ce second album née en 2020, lorsque le groupe se réunit avec des amis autour d’ouvrages philosophiques et crée un club de lecture. Il devient un lieu de rencontre, où de vifs débats prennent vie tard dans la nuit donnant à Bodega l’envie de s’unir autour d’idées communes.

Le groupe a subi de de nombreuses restructurations ces dernières années. En effet, il y a eu le remplacement du guitariste Madison Venlding-VanDam et de la bassiste Heather Elle, tous deux dans le projet The Wants mais aussi celui de la batteuse Montana Simone. Les fans les plus aguerris auraient pu appréhender quelque peu mais Bodega démontre instantanément sa puissance et son aisance scénique. Les musiciens ouvrent avec Slow Train (de Bob Dylan?), et instantanément nous savons que nous allons en prendre plein les yeux et les oreilles.

Tai Lee la batteuse aux cheveux roses fluo débarque une bouteille de vin à la main. Nikki Belfiglio au clavier et au chant porte des lunettes de soleil extravagantes et des collants troués. Dan Ryan, Ben Hozie et Adam See, semblent eux plus discrets, même s’il n’en est rien. Ils sont là, ils sont beaux. Très vite ils captent les adolescents parmi nous et en effet, comment les rater ? Comment rater leur jeunesse, leur corps vifs et souples, leur joie ? Très vite, le groupe les convie sur scène pour Doers et ils y restent. Suffisamment longtemps pour faire monter la température de la salle à mille degrés. Ici le mantra des Daft Punk « harder, better, faster, stronger » se transforme en « bitter, harder, fatter, stressed out » afin de critiquer l’essor des ouvrages de développement personnel et la productivité forcée.

Crédits photos: Cédric Oberlin

Dan Ryan, guitariste considéré comme l’arme secrète sur cet album, nous apostrophe tout le long du set. Ben Hozie, second guitariste transpire lui plus vite que son ombre et nous promet de beaux solos. Avec le premier, ils ne cessent de se rapprocher de la fosse, avec un sourire radieux. Adam See, bassiste, se fait plus discret mais il n’a néanmoins rien à prouver.

De NYC (disambiguation) repris en chœur par le public aux pogos sur Thrown, la foule s’empare de chaque titre dans une allégresse plus que bienvenue. Nikki Belfiglio et son collier de perles scintillant nous hypnotise, par sa présence et sa prestance. Car ce soir, c’est bien elle qui mène la barque. Statuette On The Console, morceau décliné sur l’album dans de nombreuses langues est bien entendu chanté en français ce soir. Il y est question de Dieu mais la question reste de savoir lequel… Bodega sait aussi nous atteindre avec Territorial (Call of the Female), un titre féministe où les femmes sont invitées à reprendre le pouvoir.

Ben Hozie nous parle ensuite de sa mère décédée, avant d’entonner After Jane, une ballade qui apporte un peu de calme dans cette Maroquinerie surchauffée. Conversation intime avec celle qui l’a porté et qui était cassée par la vie et les vices, il fait l’éloge de son âme et de tout ce qu’elle lui a insufflé. En bref, le côté punk.

Et quand vient finalement le moment de se séparer, Dan Ryan nous fait une déclaration d’amour : « Fucking time I love you guys » et on a envie de dire: « nous aussi ». Tai Lee remercie encore une fois les adolescents qu’elle ne risque pas d’oublier. Elle en fera d’ailleurs un post Instagram,  « last night was so fuckin special » dans lequel elle revient sur l’importance pour les jeunes femmes de s’emparer de la musique et de créer elles aussi des groupes: «I want a band on every street corner. Revolution girl style ». La relève est en marche et qu’il est bon d’être témoin de ses prémices. Un souffle de bienveillance, de fraicheur et de féminisme s’est emparé ce soir de la Maroquinerie.

Crédits photos: Cédric Oberlin

Après des applaudissements nourris et la foule qui s’époumone, Bodega revient sur scène pour encore trois chansons. Le groupe, qui fait toute sa tournée avec Deep Tan, les appelle sur scène et nous joue un morceau purement instrumental, où les percussions dominent. La bassiste, en confiance, se jette dans la foule et se laisse porter par le public, pour notre plus grand bonheur.

Le groupe conclut en beauté par une reprise de Sympathy for the Devil des Rollings Stones. « Pleased to meet you » avec le public qui fait les chœurs « whoo, whoo ». En définitive, voilà un instant sacré, une communion simple et réelle, de cet amour de la musique. 
Une fois de plus, Bodega nous livre un show sans faux pas, dans une énergie décuplée. Pendant 1h40 la fosse vibre et vit au son de leurs meilleurs titres. Le dernier album, Broken Equipment, est joué quasiment en intégralité. Le tout rehaussé des classiques tels que Jack in Titanic qui embrase la salle sur fond de slam et d’ados déchaînés.

On retiendra donc de ce concert leur énergie, qui ne faiblit jamais, leur talent et surtout leur joie, sincère, d’être avec nous ce soir-là.

En somme, un groupe à voir absolument en live.


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Crédits photos: Cédric Oberlin