Bolivard : « le concept, je pense que c’est une sécurité »

Après deux EPs, Bolivard dévoilait au mois d’avril Bolivardisme, son tout premier album. Un album en « isme » où il explore l’humanité, sa propre psyché et tout un pan de la french touch pour un résultat explosif et unique. Au rendez-vous de toutes ses sorties, on a une nouvelle fois pris le temps de longuement échanger avec lui pour décortiquer les thématiques, la construction et la personne qui constituent Bolivardisme.

Bolivard

La Face B : Salut Simon, comment ça va ?

Bolivard : Comment ça va ? Je ne sais jamais quoi répondre à cette question parce que je n’ai jamais l’impression que ça va bien. Mal, ça peut arriver. Quand ça va, c’est neutre. Si je suis honnête, je dirais que ça suit son cours. Après, je crois que ça va. À la base, ça veut dire est-ce que tu vas bien à la selle ?

LFB : C’est ça.

Bolivard : Est-ce que tu es physiquement fluide ? Là, je peux répondre factuellement oui.

LFB : Ça n’était pas un peu compliqué d’enchaîner une sortie d’album avec un tour de concert directement ?

Bolivard : En fait, c’est un peu de ma faute. On a pris la décision de faire cette date il y a un an et j’avais un peu les yeux plus gros que le ventre. J’ai dit à mon manager, oui, oui, l’album sera largement prêt. Je l’ai dit pendant le concert, mais j’ai vécu une rupture et ça a un peu ralenti mon processus créatif. Du coup, j’ai un peu pris du retard et on s’est retrouvés avec la sortie de l’album vraiment juste avant le concert. Mais bon j’ai tenu mes engagements. Mes trois derniers mois ont été assez intenses. Je faisais soit de la musique, soit préparer les concerts, soit du graphisme, soit tourner des clips. Les trois derniers mois, j’étais vraiment en flux tendu et là je vais pouvoir souffler un petit peu.

LFB : Et du coup, aller aux Grosses Têtes pour la sortie de son album, c’est une consécration ou on est dans le non-sens ?

Bolivard : Je me suis un peu demandé ce que je foutais là. Et en même temps, j’ai regardé On n’est pas couché pendant très longtemps. J’ai écouté même un peu l’émission On va se gêner à l’époque d’Europe 1, quand Ruquier était sur Europe 1. Et il a quand même invité des artistes comme Sébastien Tellier, Philippe katerine plusieurs fois et tout. Et du coup, je me suis dit que c’était cool. Ruquier, c’est quand même un dénicheur de talents. Et s’il s’intéresse à ce que je fais, en vrai, c’est assez flatteur. Et ça a donné lieu à des discussions avec Arielle Dombasle, qui est vraiment très sympa et vraiment très perchée. J’adore.

LFB : On parlait de processus créatif et de musique. Est-ce que le fait que le monde soit devenu un croisement entre un épisode de Black Mirror et le Groland, c’est une bonne ou une mauvaise chose pour ta musique ?

Bolivard : En vrai, c’est vrai que ces derniers temps, il y a un petit côté un peu grotesque de tout ce qui se passe. Mais en fait, moi, j’ai toujours trouvé le monde assez absurde. Et c’est juste que j’ai l’impression que là, ça se voit beaucoup plus. C’est-à-dire que les vingt dernières années, vingt/trente dernières années, et sans doute avant ma naissance, les hommes politiques, les décideurs et tout avaient les cravates, avaient l’air sérieux et tout. Ils n’étaient pas encore trop désinhibés. Du coup ils faisaient un peu illusion de sérieux.

Mais ce que je dis par exemple dans le morceau Perfectionnisme de l’album, c’est que j’ai vraiment l’impression que l’un des secrets de la vie, c’est que tout le monde est en impro. Personne ne sait vraiment ce qu’il fait, tout le monde est un peu en galère et en fait les mecs en cravate et les présidents aussi dans leur tête ils sont en mode qu’est-ce que je fous ? C’est n’importe quoi. Et juste là, on le voit de plus en plus parce qu’on a des mecs instables à la tête des pays.

Je ne sais pas, quand tu vois Macron…. Macron, ça fait quand même plusieurs années que je me dis qu’il a l’air complètement timbré. Mais c’est juste que le vernis a mis du temps à se craquer.

LFB : Si tu regardes l’actualité, juste sur les trois derniers jours, Trump qui dit que les pays lui lèche le cul, Elisabeth Borne qui dit qu’il faut penser dès la maternelle à ce que tu veux faire dans la vie. Un morceau comme Bolivard News qui, il y a deux ans, on te disait que tu grossissais le trait. Là, on va te dire que tu es limite léger.

Bolivard : Oui, c’est vrai. Je peux limite mettre tel quel ce qui se passe maintenant dans la chanson et c’est déjà drôle. Mais encore une fois, Bolivard News, je décris spontanément ce qui me semble déjà être le cas. En tout cas, je vois le monde un peu comme ça, de base.

Bolivard

LFB : Et du coup vient Bolivardisme. Est-ce que, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots, le bolivardisme, c’est un peu le jusqu’auboutisme de Bolivard, du coup ?

Bolivard : En fait, l’album devait s’appeler Isme, et je me suis dit, en vrai, ce qui est intéressant, c’est que ce que je dis dans l’album, ça décrit un petit peu ma vision du monde. Du coup, c’est assez logique d’appeler ça Bolivardisme. Et en même temps, comme dans les deux précédents EPs, il y avait Bolivard dans le titre, je me suis dit que ça fonctionnait dans la continuité. J’aime bien. En fait, le principe de l’album, c’est d’avoir des contraintes aussi. Et donc, j’aime bien me mettre des contraintes artistiques en général. Et le fait d’avoir toujours le mot Bolivard dans les titres des sorties, ça me plaît bien aussi. Du coup, ça faisait sens.

LFB : Je parle de jusqu’auboutisme, parce que que ce soit le premier Dr Bolivard ou Monsieur Bolivard, on était vraiment sur des idées basées sur les personnages. Alors que là, il y a beaucoup plus de Simon que de Bolivard qui sort de l’album.

Bolivard : En fait, pour les deux précédents EPs, je n’assumais pas encore tout à fait de parler de moi. Par pudeur je pense. Du coup je prenais des chemins détournés en prenant des personnages, en faisant un truc un peu mis en scène avec les interludes parlés dans Docteur Bolivard.

Dans Psychopathe, ce sont trois personnages que j’interprète. Monsieur Bolivard c’est un autre personnage. En fait, aussi bien par lassitude des procédés détournés que d’envie de parler plus de moi et aussi d’être plus à l’aise avec la forme chanson musicale et tout, je me suis dit : allons-y, je vais essayer d’être plus authentique. Parce que je pense aussi que c’est ce que l’époque demande. Je pense que les gens veulent de la vérité, avec l’ère des réseaux sociaux.

Ce qui est en même temps une bonne et une mauvaise chose. La mauvaise chose c’est que ça rend les gens extrêmement narcissiques mais la bonne chose c’est que maintenant on voit à qui on a affaire plus facilement parce que les gens sont vraiment honnêtes sur ce qu’ils sont. Et donc effectivement le personnage du bolivardisme, c’est moi en fait. C’est un parti pris un petit peu.

LFB : C’est une plongée dans tes pensées plus que…

Bolivard : Ouais. Et une plongée dans des pensées où je camoufle un tout petit peu moins sous de l’ironie. Il y en a toujours. Et puis il y a toujours, par exemple, Racisme, je parle d’un autre mec. Mais oui, c’est plus direct en fait, c’est moins passer par de la satire ou par du storytelling.

Bolivard

LFB : C’est ce que j’allais dire. Même si c’est centré sur toi il y a quand même aussi des pensées que tu ne peux pas ramener à toi, des choses que j’ai envie de partager où tu retires justement le jeu.

Bolivard : Comme par exemple ?

LFB : Racisme et Moralisme ? Tu es plus sur de l’observation de la personne en fait.

Bolivard : Ouais, Racisme, c’est vrai que j’évoque un petit peu moins ce que je peux ressentir par moments. Mais ce qui est pour moi une erreur liée à des émotions négatives, c’est-à-dire que des moments où je déprime, je peux m’en prendre à l’humanité entière en rejetant la faute de mon mal-être sur les autres.

Du coup, il peut y avoir des moments de misanthropie. Je ne pense pas être quelqu’un de misanthrope. J’ai des moments de misanthropie, mais je n’en suis pas. Du coup, ça n’aurait pas été vrai de dire je suis raciste envers la race humaine parce que je ne le suis pas. Donc du coup j’ai préféré parler d’un personnage imaginaire qui est raciste envers la race humaine et lui c’est tout le temps en fait.

C’est à dire que lui, il est totalement tombé dans la misanthropie. Et du coup je décris ce qui aurait peut-être pu m’arriver si j’avais vrillé un jour et si je m’étais dit : bon c’est décidé je déteste l’humanité. J’explique un peu pourquoi. Effectivement on souffre des interactions avec les autres, on est dégouté par les mauvais travers de l’humanité et on ne voit rien de ce qui est positif.

LFB: C’est intéressant parce que même si t’as toujours cette idée de noir et blanc, j’ai l’impression que t’as de moins en moins… Il n’y a pas de jugement dans ce morceau-là. Tu aurais pu faire un morceau bête et méchant sur un mec raciste en disant : regardez-le, c’est un pauvre connard. Là, plutôt que de faire ça, t’expliques aussi… Parce que j’observe dans la vie de tous les jours, des fois, tu vois aussi ce qui pousse les gens à des comportements aussi extrêmes. Même dans les autres morceaux, c’est ce que tu cherches aussi à tracer comment on en arrive à certaines choses.

Bolivard: Dans l’album il y a des morceaux miroirs. Pessimisme/Optimisme ou Perfectionnisme/Je-m’en-foutisme. Pour moi, le morceau miroir de Racisme, c’est Voyeurisme. Le voyeurisme, c’est que je m’intéresse aux gens, je veux savoir ce qu’il y a dans leur tête. Racisme, c’est une totale fermeture aux autres. Mais par contre, c’est vrai qu’il y a le même truc d’essayer de comprendre ce qui rend les gens comme ça. J’ai fait un live-stream où je faisais écouter mon album en direct et il y a quelqu’un qui me demandait si j’étais engagé politiquement. J’ai dit non, mais par contre là où je pourrais m’engager c’est de dire : communiquez entre vous et essayez de comprendre même quelqu’un qui vous dégoûte.

Si vous êtes de gauche, essayez de parler avec un mec qui vote RN. Et essayez de comprendre, même si vous ne vous souscrivez pas à ce qu’il dit, essayez de comprendre comment il fonctionne mentalement. Parce que ce n’est pas en rejetant en bloc le gars qu’on va faire avancer le schmilblick. Et du coup, effectivement, le mec raciste envers la race humaine, quelque part, il me touche parce qu’il faut beaucoup de souffrance pour en arriver au point de se couper de l’humanité. Beaucoup de déceptions.

Aussi, je pense que quelqu’un qui est déçu par l’humanité, c’est quelqu’un qui en attendait quelque chose et qui a eu son cœur brisé. Alors que quelqu’un qui n’en attend rien de base, il s’en fout. Quelqu’un de pire, ce serait finalement quelqu’un qui est un psychopathe, c’est-à-dire quelqu’un qui n’a strictement aucun affect envers l’humanité.

LFB : Ce qu’était Monsieur Bolivard en fait.

Bolivard: Oui, c’est ça. Monsieur Bolivard, c’est plus effectivement les mecs où au contraire, ils sont très joyeux parce qu’ils n’ont aucun problème d’interaction humaine. Il n’y a aucun souci pour eux. Ils utilisent les gens très facilement. Je pense que la souffrance, elle est plutôt avec eux-mêmes aussi. En général, ce sont des narcissiques. Et quand ils ne sont pas aimés, là, ça les énerve. Ils n’ont pas l’air tristes.

Bolivard

LFB : Tu parlais justement de morceaux miroirs, et c’est intéressant parce que forcément quand tu regardes le tracking list, tu le vois. Mais la dernière fois qu’on s’était vu en 2023, pour M. Bolivard, tu me parlais déjà de cette idée de filer le dualisme. C’est un truc qui existait dans tes personnages, mais j’ai l’impression que là, tu l’as mis comme une espèce de nouvelle contrainte dans la création de l’album en fait.

Bolivard : En fait, le truc noir et blanc, c’était déjà là avant même de choisir le noir et blanc. C’est pour ça que j’ai choisi la symbolique noire et blanche, parce qu’effectivement, je faisais déjà des morceaux, c’était plus au niveau de la composition, mais des morceaux darks. Et aussi des morceaux hyper positifs avec des mélodies joyeuses et tout.

Et aussi, je me rappelle que j’avais un de mes frères qui m’avait dit « mais c’est marrant parce que tes morceaux hyper joyeux avec des flûtes et tout, ça ne te ressemble pas du tout parce que tu es quand même quelqu’un qui te prend pas mal la tête et qui peut avoir tendance à broyer un peu du noir, à voir des choses en noir. ». Et ils trouvaient ça étonnant, le fait qu’il y ait une dichotomie entre ma musique et moi.

Je me rappelle, c’était aussi dans Trax Magazine, il y avait une fille qui avait fait un article en disant « producteur bipolaire ». Ça l’avait intéressé aussi ce truc des musiques qui se clashent entre elles. Et aussi dans ma personnalité, il y a des moments où je me dis, je suis optimiste comme mec. Il y a des moments où je ne suis pas bien. Et donc je n’arrive toujours pas à trancher exactement sur comment je ressens les choses parce que je peux voir tout et son contraire, et en général de manière assez radicale. J’ai du mal à trouver un juste milieu. Du coup ça revient naturellement toujours, que je créé des personnages ou que je décide juste de faire des chansons où je parle de moi. Il y a toujours ce truc dans mon mode de pensée.

LFB : Je trouve que là la nouvelle évolution, c’est ces idées opposées et même ces morceaux, tu les fais quand même vivre dans un ensemble de production assez global où les morceaux arrivent à vivre correctement tous ensemble. Sur l’album il n’y a pas de cassure trop brutale non plus. Il y a un fond peut-être dans la production ou dans le mix qui fait que ça vit bien ensemble en fait.

Bolivard : Ouais, les deux EPs, je considère vraiment ça comme des laboratoires d’idées. Et en fait, quand je les ai réécoutés, j’ai vu un petit peu ce qui me gênait personnellement. L’un des trucs qui me gênait, c’était quand je partais trop dans des directions différentes, aussi bien la manière de chanter, aussi bien les procédés d’écriture que les genres musicaux que j’utilisais. Et là l’une des contraintes que je me suis mise, c’est de quand même recentrer un peu sur les influences Disco, French Touch, Electro. Recentrer pas mal aussi sur la guitare, l’utilisation de la guitare. Et aussi à un moment donné, Je me suis fait la liste des instruments qui revenaient naturellement, par exemple la basse 808, un certain son de caisse claire, une certaine manière de jouer les cocottes, les guitares et tout. Tout ça pour qu’à l’écoute ça soit assez fluide. C’est un travail de DA que j’ai fait à un moment donné pour recentrer le son de l’album.

LFB: Du coup, si je te dis que moi, quand j’ai écouté l’album, j’ai eu l’impression d’être face à Deadpool qui aurait écouté beaucoup trop de funk et de musique électronique, c’est exactement ça au final ?

Bolivard: Parce que Deadpool, c’est le côté méta ou le côté…

LFB: Le côté méta et le côté de sortir du cadre de l’album en t’adressant à l’auditeur aussi pour l’impliquer d’une manière différente.

Bolivard: Oui, alors ça c’est vrai que j’aime bien. L’un des trucs que je voulais faire aussi, c’est d’essayer de surprendre l’auditeur aussi bien au niveau musical qu’au niveau des concepts d’écriture. Et au sein d’une chanson, je cherche des moyens de comment je peux faire un pas de côté, un truc qui claque. Dans Perfectionnisme, je mets de la flûte ici et elle apparaît. J’aime bien ta formulation « sortir du cadre de l’album », faire un peu un album en relief

Mais ça je pense que c’est parce je pense que la musique ça a été un de mes plus gros anti-anxiété, anti-dépresseur et tout. Et je pense parce que c’est de la stimulation en fait. Et du coup je cherche toujours plus de stimulation, comment je peux stimuler l’auditeur mélodiquement, conceptuellement, etc. Donc le sortir du cadre comme ça c’est effectivement pour le secouer, pour qu’il ressente quelque chose.

LFB: Et justement dans le processus de création des morceaux, est-ce que les morceaux ont été créés à partir du titre ? Parce que j’ai eu l’impression que la musique est souvent là pour souligner le propos et aller sur quelque chose d’hyper extrême et qui représente le titre du morceau à chaque fois.

Bolivard : Ça dépend des morceaux mais clairement ouais. Il y a des morceaux où je suis parti du titre, j’ai composé la musique et je voulais que la musique sonne comme le titre. Et en parallèle, c’est un atelier assez différent, je cherchais un angle un bon angle avec ce titre là. Donc des fois j’avais une musique cool au niveau par rapport au titre mais pas d’angle suffisamment bien pour les paroles. Donc en fait, les morceaux qu’il y a sur l’album, c’est vraiment ceux où j’ai trouvé un truc pertinent au niveau des paroles et un peu surprenant, un peu inspiré.

Et aussi où je trouvais que la musique inspirait bien le titre pour que, aussi bien dans le fond que sur la forme, ce soit au max. Clairement, Perfectionnisme, je l’ai composée en me disant, il faut que ça sonne en même temps, hyper précis, hyper obsessionnel. Et en même temps, on sent qu’il y a un peu de l’angoisse derrière. Il y a des cassures au niveau du rythme. Romantisme aussi. J’ai écouté beaucoup Khruangbin ces dernières années. Pour moi, c’est de la musique hyper sexy. Du coup, je me suis dit que j’allais essayer de faire un truc comme ça.

LFB : Même Racisme, il y a un truc un peu agressif.

Bolivard : Ouais. Cataclysme, il y a un truc angoissant. Optimisme, c’est un travail musical et conceptuel.

LFB : Et il y a aussi de l’art du contre-pied. Un morceau comme Romantisme ou comme Pessimisme malgré le fait que musicalement il ressemble au titre, le texte part aussi sur quelque chose de complètement différent parfois.

Bolivard : Ouais bah en fait il y a des trucs qui se sont fait naturellement. Romantisme, j’ai fait vraiment de la musique qui sonne romantique. Et les paroles, je me rappelle, j’en ai parlé à ma copine de l’époque, je lui disais que j’ai essayé d’écrire un truc, mais que j’avais du mal à écrire un truc romantique. Elle m’a dit de commencer par ça. Il faudrait que ce soit la première phrase. Je ne suis pas romantique, je n’arrive pas à écrire des chansons d’amour. Et après, ça a coulé tout seul. Et en fait, la superposition des deux, je me suis dit que ça marchait bien. Et Pessimiste, j’ai d’abord fait la musique, en essayant de faire la musique la plus triste possible. Et je me suis dit : je ne vais pas mettre un truc triste par-dessus, ce serait trop évident, je vais plutôt dire des trucs méga optimistes. Et en réécoutant, je me suis dit que ça rendait les paroles encore plus tristes. Et donc, je me suis dit, parfait.

LFB : Tu as l’impression d’être face à un mec qui est au bord du gouffre et qui essaie de se convaincre qu’il ne faut pas sauter.

Bolivard: Pour moi, c’est vraiment un morceau de quelqu’un qui est dans le déni. Je l’interprète comme ça. Après chacun l’interprète comme il veut, mais pour moi, c’est un mec qui est dans le déni et à la fin, il croit vraiment à des trucs impossibles, genre les gens vont ressusciter.

LFB: Et justement, puisque l’album se termine avec Optimisme, qui est un titre probablement le titre le plus lumineux que tu aies fait.

Bolivard: Oui.

LFB : C’est le seul titre instrumental de l’album. Est-ce que c’est parce que tu n’avais rien d’optimiste à dire dessus ou est-ce que c’est parce que tu avais aussi la nécessité d’avoir une sorte de générique de fin ?

Bolivard : En fait, je n’arrive pas à verbaliser pourquoi, mais je suis quelqu’un d’optimiste. Déjà, pour faire de la musique et essayer de faire une carrière musicale, il faut vraiment y croire et donc être optimiste. Mais je ne saurais pas expliquer pourquoi parce que c’est plus un état physique de « j’ai envie de faire des trucs quand même ». Mais du coup, il n’y a aucune parole qui va dessus parce que c’est un ressenti. Pour le coup, j’ai fait la musique. Je me suis dit qu’il n’y avait rien à dire, ça fonctionnait tout seul. Je voulais absolument que l’album se termine comme ça. Pour que ça soit clair que moi je suis optimiste en fait. Et que malgré tout ce que j’ai dit avant, je suis quand même optimiste. Et effectivement un de mes frères qui m’a dit c’est cool ça fait un peu générique de fin apaisant et ça me va tout à fait.

LFB: Est-ce qu’il y a des ismes que tu n’as pas exploré que t’aimerais bien explorer ?

Bolivard: L’idée là, c’est de faire une version étendue de l’album. Soit avec des morceaux que j’ai gardés sous le coude, soit en faisant des featurings. Là je suis en train de contacter plein de gens pour leur proposer de travailler ensemble sur des ismes. Et aussi j’aimerais bien travailler avec des artistes visuels, des vidéastes et tout pour agrandir l’atelier, inviter les gens sur le terrain de jeu ismique. Le travail commence maintenant.

LFB: C’est marrant parce que j’ai l’impression que le fait d’aller sur quelque chose de très intime, de la façon dont tu parles, ça t’ouvres aussi à la collaboration et à être vraiment moins control freak aussi.

Bolivard: Ouais. Là je dirais que j’ai fait ce que je pouvais tout seul avec ce concept de morceau en isme et j’aimerais bien voir ce que d’autres gens peuvent apporter, la perspective qu’ils peuvent apporter. Et aussi pour moi c’est vraiment un album sur la création et le plaisir de créer. En fait voilà l’atelier collectif, ça m’intéresse de voir ce que ça peut donner en fait. Mais après ça se trouve, ce sera une cata parce que justement je suis trop control freak et les gens vont me faire des trucs et je vais dire non.

LFB : Parce que là, tu as Sarah Rebecca sur l’album et c’est vrai que tu n’as fait aucun featuring, aucune collaboration.

Bolivard : J’ai déjà essayé, mais je pense que ce n’est pas forcément méga facile de collaborer avec moi peut-être. Pour le coup, avec Sarah Rebecca, c’était super. En fait, je voulais une voix féminine et une voix un peu pure parce que pour Perfectionnisme, j’ai fait une liste de sons qui m’inspiraient le perfectionnisme. J’ai mis le son du verre de cristal, les violons et j’ai mis voix féminine, des chœurs féminins. Du coup, j’ai cherché une chanteuse et voilà. On a pensé à Sarah qui était super contente de collaborer sur le truc. J’étais super content qu’elle collabore avec moi.

LFB : On parlait des concepts et de ce concept-là. Est-ce que tu as l’impression que tu as forcément besoin d’avoir un concept pour créer quelque chose ?

Bolivard : Je pense que c’est une sécurité. Ça me donne peut-être un prétexte pour créer, parce que j’ai toujours un peu ce problème de légitimité en tant qu’artiste. J’ai le syndrome de l’imposteur et je me dis, pour justifier le fait que je fais quelque chose, j’aime bien dire, le concept c’est ça. Mais peut-être qu’à un moment donné, je ferais un album sans concept. Pour l’instant, je trouve ça plus stimulant. En fait, je pense que les autres albums qui ne sont pas concepts des gens, le concept, c’est eux. Pour l’instant, je ne suis pas prêt encore à dire : « le concept, c’est moi. Je suis suffisamment intéressant pour que ce soit juste ça« .

LFB : J’ai remarqué un truc. À part Romantisme, il n’y a pas un morceau qui dépasse les trois minutes sur l’album. Est-ce que c’est une recherche d’efficacité ou est-ce que c’est un calcul cynique pour les plateformes et l’écoute des gens ?

Bolivard : Ça se fait assez naturellement maintenant. En fait, j’écoute la musique qui se fait et tout. Et je ressens maintenant, quand les morceaux sont un peu longs. Je ne le ressentais pas avant… Alors, je ne le ressens pas pour des morceaux que j’écoute depuis des années qui durent quatre minutes. Je me dis oui, ce morceau, de toute façon, c’est ça. Mais les nouveaux morceaux qui sortent et qui font quatre minutes, j’ai tendance à me dire que c’est un peu long parce que je pense qu’un peu comme notre rapport aux films, aux podcasts, à la longueur des « contenus », notre rapport a changé. Notre temps d’attention a diminué. Moi, je le vois quand j’avais 17 ans. C’était une hérésie de mettre pause à un film, même un film de trois heures. Ça n’avait aucun sens de faire ça. Maintenant, un film de 1h30, je le regarde en cinq fois. Mon moi de 17 ans m’aurait craché à la gueule.

LFB : Ou tu le regardes avec ton téléphone dans la main.

Bolivard : C’est ça. Et puis ouais j’ai mon ordi, je regarde avec mon téléphone et je me dis bon je regarde la suite demain alors que c’est Mariés à tout prix le truc quoi. Ce n’est pas le truc le plus difficile à regarder en entier. Donc je me suis mis à la temporalité de l’époque.

LFB : Tu t’es adapté à l’époque. C’est intéressant ça parce que pour un artiste comme toi qui est encore entre le développement et qui est quand même déjà là depuis un moment, j’ai l’impression que l’époque demande beaucoup aussi en tant qu’artiste de se dévoiler, d’être hyper présent sur les réseaux, de communiquer à outrance. Et au fond, j’ai l’impression que pour des artistes comme toi, au final, ça peut aussi flinguer l’envie de faire de la musique.

Bolivard : Clairement. En fait, là aussi, l’idée pour Bolivardisme, c’était de me dire, OK, je vais jouer le jeu à fond. Comme j’ai un peu tendance à ne pas totalement vouloir suivre les règles, et en même temps j’aime bien la contrainte pour me cadrer, je me dis ok faisons un album où je parle de moi. Et en fait du coup ça donne un morceau comme Voyeurisme où je me débats quand même en me disant mais non j’en ai marre de parler de moi je vais parler de l’auditeur. Et pareil pour les reels. Je travaille sur des reels en ce moment pour un peu triper avec TikTok, pour voir un peu ce que je peux faire. Donc je me dis au lieu de vouloir refuser totalement de jouer le jeu de l’époque, je vais jouer avec, mais c’est plus un tango. C’est une danse où tu es un peu agressif avec ton partenaire. Mais c’est quand même joli. On essaie de voir quand même qu’il soit joli.

LFB : Justement, en parlant de visuel, est-ce que tu peux me parler de la pochette que j’ai trouvée très étrange. Pour le coup, c’est une espèce de fond noir. J’ai l’impression que c’est le dernier repas d’une personne au purgatoire.

Bolivard : C’est une photo que mon manager a prise sur un appareil photo jetable pendant le tournage du clip Romantisme. Et en fait, il l’avait accroché dans le bureau de Cookie Records. Quand j’y allais, je me disais : elle est marrante cette photo, j’ai l’air complètement ahuri. Et à un moment donné, on cherchait des photos, on a fait un premier photo shoot et tout. Et je me rappelle, j’ai posté cette photo sur Instagram et j’ai un de mes frères qui a dit : « ça fait une bonne pochette d’album ça ».

Je l’ai regardé et je me suis dit qu’en vrai, il y a plein de choses intéressantes. Il y a effectivement le fait que c’est en fond noir derrière et la table est blanche. On dirait un peu que je suis en face de l’auditeur et qu’on va passer un dîner ensemble et que je vais lui raconter un petit peu qui je suis. Et en même temps, il y a le côté ahuri, je ne sais pas ce que je fous là. Il y a la rose qui dénote. En fait, il y a plein de choses qui dénotent. Et on ne sait pas si c’est du lard ou du cochon. Je trouvais ça assez cohérent avec mes autres pochettes où à chaque fois il y a un truc où tu te demandes qu’est-ce qu’il se passe ?

Dans Dr. Bolivard mon expression, on ne sait pas si je suis content ou si je vais chialer. Monsieur Bolivard, il y en a un qui a peu et il y en a un qui a l’air très à l’aise derrière. Et là c’est : mais qu’est-ce qui se passe dans cette photo ? est-ce qu’il va bien ce mec ? Voilà, une photo incertaine.

LFB : Oui c’est ça, mais qui marque aussi, parce qu’il n’y a même pas de typographie, il n’y a rien du tout, c’est vraiment ce truc hyper brut.

Bolivard : Oui, et je trouve aussi que ça représente bien le portrait que je fais de moi-même dans l’album. C’est-à-dire je suis là, en même temps on ne voit pas mes mains, je suis un peu pas bien, mais en même temps je regarde, en même temps je suis un peu tendu, c’est un dîner un peu romantique, donc je trouvais qu’elle représentait bien l’album.

LFB : Si tu devais ranger Bolivardisme dans ta bibliothèque à côté d’un film, d’un livre et d’un bouquin, tu choisirais quoi ?

Bolivard : Ça peut être très présomptueux. Donc il faut que ce soit une œuvre proche en termes de propos.

Je pense dans les films, The Big Lebowski parce que je l’ai revu récemment. C’était mon film préféré quand j’étais au collège. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps. Et je me suis dit que ce film est incroyable, c’est génial de bout en bout. Je pense que les frères Cohen, c’est vraiment des mecs qui traversent la vie en se disant, mais qu’est-ce qu’ils foutent, les gens ? C’est une galerie de gens et chacun a son délire. Et chacun se rencontre et puis ça fait des interactions absurdes et tout. Je souscris à ce film.

Un livre ? Un livre un peu dark pour le coup. C’est comme ça. Extension du domaine de la lutte, Michel Houellebecq. Et un album, Mosaik de Siriusmo parce que je trouvais que cet album il avait une vibe aussi atelier créatif avec plein de choses. Et aussi, il y a des trucs joyeux et des trucs un peu plus dark. Ça mélange plein de choses.

Crédit Photos : Félix Hureau

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