Il y a presque une semaine, Bonnie Banane sortait son premier album, Sexy Planet, et c’est donc à cette occasion que nous sommes allés à la rencontre de l’artiste qui, à coup sûr, fera partie de ces noms dont on entendra encore parler d’ici quelques décennies.
crédit : Pierre-Ange Carlotti
La Face B : Sortir son premier album un vendredi 13, c’était signe de bon augure pour toi ?
Bonnie Banane : Ouais totalement, un signe de superstition aussi. Je n’ai vraiment pas peur du vendredi 13 mais par contre je t’avoue que j’ai compris que la veille que c’était l’anniversaire des attentats, je ne le savais pas avant. J’ai trouvé ça un peu glauque.
LFB : Sexy Planet vient au monde en cette période un peu trouble, ce qui te contraint à user de ta patience avant de faire vivre ce disque sur scène et de rencontrer ton public. Ce n’est pas trop difficile de devoir se soumettre à ce hiatus forcé ?
Bonnie Banane : Non, pas du tout, je suis plutôt contente et j’accepte mon sort. J’ai mis du suspense aussi car ça fait longtemps que je sors du son donc j’accepte la rançon de ce temps que j’ai pris. Il faut prendre son mal en patience et je la trouve intéressante cette période car ça permet de repenser des choses et de les faire différemment, ça me va.
LFB : Il aura justement fallu attendre un peu plus de sept ans pour un album de Bonnie Banane, sept années durant lesquelles tout a été crescendo pour toi. Que retiens-tu de cet entre-deux ? De cette période entre 2013, date de sortie de ton premier EP, et aujourd’hui ?
Bonnie Banane : Beaucoup de choses, les hauts et les bas. Je retiens que j’essaie toujours de revenir au mood du début aussi, au mood de la première chanson qui est sortie et où j’étais vraiment dans une pure joie, sans prise de tête. Quand tu n’existes pas, tu es dans une détente absolue et je pense que quelque part, il y a toujours ce truc-là, où il faut toujours se remettre à ce niveau et où tu es juste là pour le plaisir, donner et partager. C’est aussi ce que j’ai voulu faire avec cet album et c’est ce qui compte le plus pour moi.
LFB : On dit souvent de ta musique qu’elle est inclassable, un savant mélange de genres et d’influences. Est-ce qu’il se cache un désir d’authenticité à travers le fait de ne pas pouvoir être rangée dans des cases ?
Bonnie Banane : Oui, complètement. Il y a ces artistes que ça ne dérange pas d’être rangé dans des cases mais en ce qui me concerne et c’est le cas de mes amis artistes aussi, quand je suis dans le processus créatif, je ne me pose pas du tout ce genre de question car on est dans ce truc où on doit faire alors on fait. On ne se dit pas « je dois rentrer dans la case polka, faisons alors de la polka », on ne se pose pas cette question et vu que mes amis et moi avons écouté des choses très différentes, que l’on vient d’endroits différents, alors notre partage va donner quelque chose d’unique. Si tout se passe bien, chaque chose qui est créée est unique. On a l’impression que les cases sont utiles pour les gens qui en parlent comme les journalistes car ça vous permet de parler entre vous mais parmi les gens qui font, ça n’a pas d’importance.
LFB : Le RnB est un de ces genres musicaux sous-estimé en France. Comment, à ta façon, tentes-tu de lui attribuer davantage de légitimité ?
Bonnie Banane : Pour moi ce n’est pas une question de RnB mais plutôt de groove, ce qui nous fait onduler, chalouper. Culturellement, la France ce n’est pas un pays qui fait ça, elle n’est pas en rythme, pas à l’aise avec son corps, elle regarde les autres danser et a du mal à aller sur la piste de danse. L’archétype du français c’est ça et moi j’essaie d’amener un peu plus le sens du rythme. C’est donc plutôt une question de vibe que de légitimité.
LFB : Il y a une vraie énergie positive qui se dégage de cet album, un besoin de voir la lumière malgré l’obscurité. Cet optimisme est-il inné ? Ou est-ce qu’il est le résultat de plusieurs années d’apprentissage ?
Bonnie Banane : C’est le résultat de plusieurs années d’apprentissage. Je ne suis vraiment pas quelqu’un d’optimiste de base et je me suis rendue compte que j’avais beaucoup de respect pour les gens qui le sont, ceux qui ne se plaignent jamais et qui ont toujours une solution dans leur sac. J’aimerais être ces gens-là, j’essaie de les imiter. Energétiquement parlant, c’est beaucoup plus vertueux de soutenir, de donner de la force, de s’ouvrir, d’aller de l’avant que l’inverse. Je préfère les impulsions aux égouts.
LFB : Tu dis avoir toujours fait attention pour ne pas devenir folle. C’est quelque chose qui t’effraie, la folie ?
Bonnie Banane : Non, ça m’effraie pas. Je n’ai pas peur, c’est quelque chose d’assez confortable, vers lequel je suis aimantée. Les gens fous, je les vois comme des prophètes. Je n’ai vraiment pas peur, j’essaie juste de ne pas finir en hôpital psychiatrique. Mon but dans la vie, c’est de ne pas y aller donc j’essaie vraiment de faire attention à ne pas être considérée comme folle par la société. La folie c’est relatif, on n’a pas tous les mêmes références car il y a des gens normaux que je peux considérer comme fous et vice-versa. Je ne suis pas folle, je suis très saine, je n’ai pas d’addiction, celle de la cigarette je l’ai beaucoup moins qu’avant, je ne prends pas de médicament etc. Les gens qui sont schizophrènes, paranoïaques aigus, c’est parce qu’ils ont vécu des injustices dans leur vie, il y a des raisons pour en arriver ici.
LFB : Sexy Planet est le nom de ton premier album, un nom audacieux car certains peuvent voir une forme de vulgarisation à travers le terme sexy. D’ailleurs, qu’est-ce que c’est être sexy pour toi ?
Bonnie Banane : C’est la réflexion que je me suis faite juste avant Béguin. Je me suis dit qu’il fallait que je sois claire pour inciter les gens à aller dans le sens dans lequel je veux qu’ils aillent, dans lequel je veux que le monde aille. Or, on navigue constamment entre des gens racistes, homophobes, fascistes, transphobes, des gens fermés d’esprit que ce soit la famille, les gens dans la rue, à la télévision, les politiques etc. On est là à essayer de se dépatouiller du truc, à se déconstruire, essayer d’ouvrir un chemin pour aller vers la paix et pourtant, on rame car il y en a encore qui n’ont pas compris. Le point commun entre tous les gens de la planète, c’est que tout le monde veut être sexy même Marine Le Pen ou Trump veulent l’être, au fond, dans leur cœur. Mais si seulement ils pouvaient se rendre compte que ce n’est pas sexy d’être raciste, ça l’est vraiment pas. Si je vois un mec beau gosse, qui a tout pour plaire et qu’en l’entendant parler je me rends compte qu’il est raciste, il me dégoûte immédiatement. Et c’est la même chose pour un mec qui n’est pas à l’aise avec mes amis gays ou trans, je débande direct. Je voulais que ce soit clair dans mon album et c’est pour ça que j’ai fait Béguin, qui est un peu la deuxième première pierre de ce disque. Quand je dis : Tu m’excites quand tu me respectes / Tu me détends quand t’es tolérant, c’est vraiment un truc que je ressens et que j’ai en commun avec beaucoup de mes amis. Sexy Planet c’est un monde idéal où tout le monde est sexy, tolérant envers son prochain.
LFB : La sortie de ton single Limites t’a en quelque sorte inscrite dans un courant féministe puisqu’il traite du consentement. Tu es assez frontale et menaçante dans ce morceau. Selon toi, est-ce que ce sont des qualités nécessaires pour une femme de notre époque ?
Bonnie Banane : En tout cas, j’aime ça, c’est de mon goût et ça me rassure lorsque je vois une femme articulée et virulente. Ça me fait du bien, ça m’apaise la violence chez certaines femmes, enfin ça dépend lesquelles car j’essaie de ne pas tout confondre et de tomber dans les pièges. Par exemple, Marguerite Stern je l’aime pas du tout et ce n’est pas parce que tu es virulente et féministe que je vais t’aimer. J’aime bien quand les femmes prennent toute la place, quand il y a en majorité des femmes dans une pièce. J’ai beaucoup traîné avec des gars et aujourd’hui j’ai la flemme d’être avec eux, quand ils sont en majorité dans une pièce c’est cool ok, mais à un moment donné j’ai envie de partir car je me tourne les pouces. Après je ne sais pas si ce sont des qualités nécessaires, chacun fait comme il peut et il veut mais pour s’en sortir quand t’es une femme et que tu veux éviter certaines situations malaisantes ou rabaissantes, t’es obligée de mettre les points sur les i pour ne pas te faire berner et léser. J’ai toujours vu la culpabilité des hommes et leurs faiblesses, j’ai toujours été empathique avec ça. C’est nous qui tenons le monde et ils sont jaloux, on décide mais on fait croire que non pour qu’ils ne pleurent pas.
LFB : Depuis tes débuts, tu t’es toujours beaucoup entourée d’artistes masculins. Envisages-tu de travailler avec des femmes à l’avenir ?
Bonnie Banane : Bien sûr, dans un idéal j’aimerais bien. Aujourd’hui en terme d’énergie, je me sens plus à l’aise avec les femmes, j’ai envie de faire du son comme des femmes. Julia Lanoë (Sexy Sushi) me disait un jour que les femmes ne produisent pas comme les hommes et elle a raison. Je ne vais pas me forcer à faire du son avec des femmes si je n’aime pas ce qu’elles font mais il y en a que j’admire comme ma pote Sabrina Bellaouel, Christelle Oyiri aussi, il y en a beaucoup.
LFB : Ton disque est une ode à la planète, laquelle tu personnifies un peu en la considérant telle une femme sexy, gentille et généreuse. Si tu pouvais avoir une discussion avec, que lui dirais-tu ?
Bonnie Banane : Merci, tu es très belle et je suis désolée.
LFB : Tu crois que des excuses suffiraient ?
Bonnie Banane : Non, vraiment pas mais je ne peux pas lui faire de promesses non plus car ça ne dépend pas que de moi donc je m’arrêterais là.
LFB : Ton morceau Flash évoque le souvenir, une notion accentuée par une teinte musicale nostalgique. Penses-tu que souvenirs et nostalgie vont de pair ?
Bonnie Banane : Oui. La mélancolie ou la nostalgie sont des maladies et les gens qui en sont atteints, comme moi par exemple, ce sont des gens qui sont toujours à regarder derrière eux, rattachés au passé. Si tu es vraiment focus sur le futur, tu ne peux pas être nostalgique ou mélancolique. Les gens qui avancent tout le temps à vitesse grand v, ne peuvent pas l’être et c’est une qualité. Ne pas être nostalgique, c’est partir avec un avantage dans cette course.
LFB : Et l’être, c’est être freiné.
Bonnie Banane : Exactement. Moi je n’aime que les gens qui sont sensibles, ceux qui ne le sont pas ne m’intéressent pas car je suis un peu gênée avec eux. Je suis à l’aise avec les gens qui ont cette nostalgie et cette mélancolie car c’est la preuve qu’ils sont sensibles.
LFB : La pochette de ton disque renvoie à une forme d’éclectisme, un imaginaire, le tien en l’occurrence. Si tu devais me citer trois éléments essentiels au bon fonctionnement de ce dernier, quels seraient-ils ?
Bonnie Banane : C’est très compliqué comme question. Je dirais le sommeil, la contemplation et les champignons hallucinogènes. Les champignons c’est incroyable, la dernière fois que j’en ai pris, j’ai vu des reptiles géants dans la roche et quand je fermais les yeux, je voyais des anémones. Ça aide et ça donne des clés, des révélations qui m’inspirent pour des années. C’est trop bien, naturel et un super outil qu’on nous donne. Je te conseille car après ça, tu comprends que tout n’est qu’une mise en scène, que la vie est une mise en scène et que tu as un rôle à jouer.
LFB : As-tu des coups de cœur récents à partager avec nous ?
Bonnie Banane : Musicalement, je vais dire mes potes de quinzequinze, un groupe de Paris qui est trop fort, trop stylé. En film, il y a beaucoup de choses, j’ai eu une claque pendant le premier confinement, c’est un documentaire sur des femmes trans et queer qui s’appelle Born in Flames de Lizzie Borden, trop bien. Il y a eu aussi Harold et Maude que j’ai beaucoup aimé et une série Netflix qui s’appelle The Midnight Gospel, une série animée pour adultes sur la méditation.
© Crédit photo (couverture d’article) : Pierre-Ange Carlotti