Bons baisers du Québec # 3 : Un regard sur Jettatura, de Paupière

Chez La Face B, la musique se vit sans genre ni frontière. Malheureusement, le monde est différent de nous. On a donc décidé de casser tout ça pour mettre en avant des artistes québécois qu’on adore. Entre jeunes pousses et artistes confirmés, Bons baisers du Québec, c’est le rendez-vous voyage chez nos cousins du Canada. Aujourd’hui, c’est le trio Paupière qui nous jette un sort avec leur nouvel EP, Jettatura.

Deux ans après voir interloqué le public français avec leur pop synthétique psyché, les québécois de Paupière reviennent avec un EP teasé depuis juin, dans la continuité de À jamais privé de réponses. Jettatura a revêtu son plus beau manteau de micro Korg, boîtes à rythmes et autres accessoires dignes des plus grandes stars du kitsch des années 1980, dans la maîtrise et le flirt sensuel avec le mauvais goût. Paupière arrive à déclassifier les genres, manipuler les styles. En résulte un EP chiadé, à la fois cohérent, limpide et diversifié.

On retrouve notre trio fidèle à ses aspirations et son postulat artistique : tantôt dream pop, tantôt club façon Soft Cell. Si l’effervescence, la nervosité et l’envie de faire danser demeurent intactes, la construction et la cohérence ont été approfondies pour livrer un EP de cinq titres plus cadré. Le trio a réussi à améliorer l’harmonie dans la globalité de l’EP. Les thèmes abordés restent les mêmes, bien que plus approfondis. Si les mêmes soucis les habitent, on sent toutefois une maturité nouvelle qui permet d’aborder ces mêmes thèmes avec plus de distance, de réflexion et d’acceptation. L’énervement est toujours présent mais plus maîtrisé, réfléchi. 

Si la paupière évoque un oeil clos, un barrage de la vision, c’est l’analyse opérée par un oeil omniscient qui se révèle à nouveau, évoquant les dérives des réseaux sociaux et les critiques de la société actuelle. L’Autre est toujours présent dans les chansons dont les paroles sont plus des images que des phrases intelligibles. Une manière de se retrouver facilement dans chaque contexte. 

Ils signent en premier le titre Twisted Mind, dont la musicalité, l’agitation et la limpidité créent une équation parfaite. Le refrain est un bijou synthétique et poétique, à la fois énervé et sensuel, patient et impulsif. Un appel à la danse qui masque le sujet sérieux de l’asservissement aux réseaux sociaux et aux nouvelles technologies. 

Coquille de Noix est un titre beaucoup plus pop, une ballade rétro moins nerveuse que le reste de l’EP. Splash Zone nous livre une démonstration des instruments synthétiques avec lesquels s’amusent le groupe. Un voyage temporel dans les années 1980, frôlant avec les titres de Niagara les plus chéris par les noctambules. Howard Carter rappelle, si on avait oublié le potentiel du trio, que ces mélodies acidulées cachent en fait des textes alambiqués, remplis d’images et de messages cachés.

Humble Entente clôt cet EP par un titre débordant de métaphores, évoquant les relations amoureuses qui poussent à l’abandon de soi, à l’aveuglement. Une analyse brutale de l’attachement qui vire à l’enfermement, comme en témoigne le clip sorti il y a quelques jours, à l’esthétique totalement 90s, tel un film vieux d’horreur raté, glauque et mystique à souhaits. Un titre totalement planant, synthétique, à la fois rythmé et vaporeux. Un bel écho à l’intitulé de l’EP, Jettatura, titre d’une nouvelle fantastique de Théophile Gautier qui évoque, dans la tragédie napolitaine, un jeteur de sort.

Bref, un EP qui annonce un gain de maturité et un perfectionnement certain pour le domaine dans lequel ils excellent, et c’est peut-être là la seule petite frustration qu’on éprouve à l’écoute : une envie de parcourir un peu plus l’univers créatif du trio québécois et pas seulement une confirmation de leur premier album. Il faut avouer que cette pop sexuée, synthétique et mystique séduit et crée une envie insatiable d’en découvrir davantage, accroissant l’impatience de l’attente de l’album.