On a tous la nostalgie de notre enfance. Même si les souvenirs se font de plus en plus flous et qu’on invente souvent des choses pour raccrocher les wagons ensemble, l’enfance, au fur et à mesure que l’on vieillit, laisse passer ses couleurs pour ne garder que le meilleur, nous plongeant dans une douce mélancolie rêveuse. C’est à travers cette idée, transformer en musique les sentiments de sa jeunesse, que l’américano-portugais RAC revient avec son troisième album sobrement intitulé BOY.
Soyons honnête, quand on parle musique électronique et producteur, une petite cloche résonne dans un coin de notre tête comme pour nous prévenir de faire attention. De petites craintes nous envahissent, celle d’un album qui ne vivrait que comme une collection de singles, aussi disparates que sans âmes et fait essentiellement pour envahir le plus possible de playlists différentes sur les sites de streaming. Dit comme ça, cela semble un peu cynique mais c’est pourtant ainsi que l’industrie musicale fonctionne aujourd’hui. Si l’on vous raconte tout ça, c’est pour vous rassurer d’emblée : BOY de RAC n’est pas un album de ce genre. C’est un album qui respecte la musique et ceux qui l’écoutent, une œuvre avec une thématique centrale que ce soit dans le fond ou dans la forme et porté par une vraie progression musicale qui raconte une histoire, celle des souvenirs de l’enfance sur lesquels on se retourne pour les figer avant qu’ils ne se floutent définitivement. Ainsi la cover de BOY représente toute une symbolique entre l’idée enfantine de ce rose et de cette boule en forme de bonbon mais qui peut être vu comme une bulle qu’il faudra finir par faire éclater afin de grandir et de passer à l’âge adulte. Tout le propos de de l’album est résumé dans le travail de Andrés Reisinger, œuvre d’art à elle seule qui porte en elle ce côté à la fois nostalgique, doux et surréaliste que l’on peut porter sur une enfance qu’on fantasme autant que l’on s’en souvient.
Véritable artisan musical, André Allen Anjos a plongé dans ses souvenirs pour en tirer une sève, faites de textures, d’instruments et de vapeurs sentimentales qui forment ces dix-huit titres alternant entre le solaire et le mélancolique, portés par des guitares légères, des synthétiseurs vaporeux et des percussions cajolantes et discrètes. Les moments les plus personnels de l’album se trouvent sans aucun doute dans les « transitions » instrumentales, celles pour lesquelles il a choisi les noms, les implantant dans des souvenirs précis. L’album s’ouvrant en douceur sur Raparagia. Gomas rappellera à tous les amoureux des jeux 8-bits (c’est à dire les plus de trente ans comme l’auteur de ces lignes et le musicien dont il parle) ces moments intenses passer devant un bon vieux Mario Bros 3 ou la folie qui pouvait s’emparer de nous à passer des heures à fouiller les châteaux de Zelda. Tandis que Arcoiris, un peu plus sec, rappelle ces moments de l’adolescence ou tout semble décuplé, plus intense et plus mouvant, Dolores Park porté par un joli solo de guitare termine ces interludes de manière à la fois solaire et posée, comme un être définitivement en paix avec ce qu’il était et ce qu’il est devenu. Il y a un vrai travail dans ces moments courts qui agissent comme des transitions : enfance-adolescence-âge adulte forment le triptyque de BOY, un album à tiroir parfaitement rangé au niveau des ambiances.
Vrai musicien, mais aussi producteur, RAC a travaillé à distance avec les artistes présents sur cet album. Ainsi à travers les propositions qu’il leur a offert, il leur a indiqué les grandes lignes du projet, l’idée centrale de BOY, tout en leur laissant carte blanche quant à la teneur des paroles. Cette idée semble assez surprenante tant un vrai dialogue s’installe entre RAC et ses collaborateurs, ses obsessions et ses envies pour l’album trouvant ainsi un vrai terrain de réflexion pour les artistes, insufflant leur propre vécu dans les morceaux auxquels ils donnent vie. Ainsi si les morceaux se fondent dans un tout global, ils deviennent aussi personnels pour RAC que pour les artistes qui posent leur voix sur ses productions. Une vraie collaboration donc et, même si cela ne semble pas forcément intentionnel à la base, tous les artistes (à l’exception de Jamie Lidell et St.Lucia) sont plus jeunes que RAC, permettant ainsi d’exprimer des sentiments et des pulsions adolescentes encore fraiches, voir parfois très vivaces dans leur esprits.
Il y a bien sûr des morceaux qui nous marqueront plus que d’autres : on fond sur Stuck On You avec Phil Good, morceau de rupture amoureuse ou quand le monde autour de nous s’écroule et où l’on ne sait plus vraiment si on doit continuer ou tout arrêter. Carefree avec LeyeT portée par un piano mélancolique et tendre à souhait traite de la dépression, des mouvements d’humeurs et nous ramène à des souvenirs bien plus frais qu’on pourrait le croire tandis qu’on fond aussi pour la solaire Passion avec Louis The Child ou la douceur amoureuse de MIA avec Danny Dwyer, le besoin d’émancipation qui transpire d’Oakland avec Winnetka Bowling League et l’enthousiasme toujours aussi exacerbé de Jamie Lidell sur Change The Story.
Vous l’aurez compris, BOY de RAC est un album, un vrai, qui mérite d’être écouté de la première à la dernière note, qui navigue dans la brume des souvenirs et dans une douceur de coucher de soleil qui semble ne jamais finir. C’est un album qui bercera sans aucun doute une bonne partie de nos soirées cet été et probablement aussi celle de notre automne. Comme si au final en se rappelant à son enfance, RAC nous avait ramené à la notre, c’est la tête pleine de souvenirs aussi doux qu’amers qu’on écoute ce troisième album maitrisé, intelligent et prenant.