Le quatuor Carmen Sea sortait le 24 novembre dernier son deuxième EP, SORRY. Cinq titres créés à la suite d’un accident de voiture qui a failli leur être fatal. Cinq titres empreints de résilience. Une musique teintée de post-rock, de noise et de rock. Magnifique.
A la découverte de Carmen Sea
Été 2020, entre confinement et couvre-feu, il est difficile de ne pas faillir. D’imaginer encore des lendemains heureux. Mais tandis que la chaleur s’abat sur nos épaules, le Supersonic déménage temporairement et pour nous accueillir sereinement, prend ses quartiers sur la terrasse du Trabendo. Pendant deux mois, les concerts pleuvent, telle une bouffée d’air frais au sein d’un paysage morose ambiant. Le 5 septembre 2020, je découvre alors Carmen Sea, ce quatuor issu de la région parisienne. Si jeune et déjà si talentueux. Depuis, je les ai revu dès que j’ai pu, sans cesse émerveillée par la créativité et la force qui se dégage de leur musique. Leur premier EP, HISS, sorti en automne 2021 est là pour en témoigner.
SORRY, l’EP de la résilience
Fin novembre, un nouvel EP fracassait alors l’air parisien et apportait fraîcheur et ingéniosité : SORRY. Cinq lettres pour dire l’indicible, cinq lettres d’où faire jaillir l’espoir. Car le 21 mai 2022, tandis que les quatre musiciens rentrent tardivement d’un festival à Tours, le chauffeur s’endort. La voiture s’écrase dans un fossé, alors qu’elle est lancée sur l’autoroute à 130km/h. Il n’en restera rien. Heureusement, les passagers s’en sortent avec seulement quelques blessures superficielles. Alors, que faire de cette peur ? De cette chance d’avoir survécu ? De ces milliards d’émotions qui les ont sans doute traversé depuis et qui continueront à les guider ?
Carmen Sea en a fait un EP. Brûlant, courageux, impétueux. Cinq morceaux qui nous font vivre avec eux cet accident de voiture. Jusqu’à, peut-être, le dépasser.
SPEED, instantanément. Le violon, les phares dans les yeux fatigués, la route qui défile. On imagine l’euphorie qui habite encore les corps moites après un concert joué un peu plus tôt dans la soirée. Le désir de rentrer chez soi. Alors avaler les kilomètres. La batterie s’abat sur nous, affûtée, tandis que basse et guitare, se déploient, acérées. Le violon mène le navire. L’urgence est là. Imprégnée dans chacune de nos pores. Jusqu’à ce break, jusqu’au point de non-retour. Les cordes, stridentes, sonnent l’alarme. Tout est grave, rien ne va.
SPEED se ponctue, d’un coup sec, pour laisser place à SORRY, morceau étrange que j’ai délié maintes et maintes fois. OVNI sur cet EP de cinq titres, il laisse pour la première fois entendre une voix. Elle s’appelle TETHA, peut rappeler Sia et apporte un brin de pop au quatuor rock jusqu’ici instrumental. Et c’est ainsi que SORRY est devenu mon morceau préféré. Par sa délicatesse, sa justesse et ce refrain, qui reste en tête. Repeat, tandis que j’arpente les rues parisiennes embrumées. Repeat, quand je cherche à ne plus penser et juste chanter.
CRASH, sans surprise, annonce le terrible accident. Menés par le violon, nous voilà embarqués au sein de nappes stridentes et de riffs rassurants. En deux temps, le morceau se découpe. Vient l’entre-deux, l’instant de la collision. Quand les corps sont secoués, que les vies sont comptées. Le tempo au ralenti, avant qu’une pluie de noirceur s’abatte sur nous. Flirtant avec le post-metal, cherchant comment retranscrire la peur et finalement, l’espoir.
Puis EXIT se dévoile. Sur la vidéo qui l’accompagne on peut lire « exit is about having to act instantly to escape danger ». C’est un morceau tout en nuance, qui alterne plages rythmiques fortes et accalmies bienfaitrices. Entre la basse en avant et le violon perçant, on imagine aisément les musiciens fuir l’habitacle, vite, sans réfléchir, le cœur battant et les idées fouillis.
Finalement FEEL ALIVE, conclut cet EP. Plus de huit minutes de langueur, d’ardeur, puis de chaleur. Se sentir vivant, car en fin de compte, est-ce qu’il est question d’autre chose ? Sentir le soleil sur sa peau, les gouttes de pluie qui ricoche sur l’aile du nez, les odeurs de l’enfance, les câlins entre ami.e.s, les fous rires tard le soir dans une cuisine tamisée, l’adrénaline du live et des concerts, la création. Sous toutes ses formes, à n’importe quelle heure, pour contrer la vitesse et faire jaillir de la nuit noire un peu de lumière et d’espoir.
Carmen Sea façonne ainsi avec SORRY cinq titres aussi sombres et vertigineux qu’ardents et exaltants. Alors, paisiblement, perdre pied ou le prendre, face à cette musique troublée mais résolument vivante.