Casa Country Club : « Maintenant, il y a des niches qui éclosent et disparaissent plus vites que des artistes »

À l’occasion de la sortie de leur première mixtape, nous avons rencontré les esprits derrière le studio Casa Country Club. Au cours de cette discussion, nous avons pu approfondir la création du studio, cet espace ouvert où les artistes peuvent travailler ensemble et leur vision du paysage musical actuel, et la situation actuelle du rap français.

La Face B : Hello les gars, félicitation pour votre projet ! Petite question d’histoire pour commencer : comment est né Casa Country Club ?

Arturo : Casa Country Club est avant tout un mouvement impliquant plusieurs personnes. Moi, Arthuro, j’en suis à l’origine, dans le sens où j’ai déjà eu plusieurs studio à Paris, dont un à Montrouge. C’était des formats très basiques : des 35 € – 40 € de l’heure, les mecs viennent, et posent un peu comme un studio « usine ». Je voulais un peu sortir de ce carcan parce que je trouvais qu’il y avait un manque de connexion et de rencontre, ce manque d’interaction sociale que je juge très important.

Donc nous avons vendu le studio qui était sur Montrouge et avons pris une maison sur Châtillon dans laquelle nous avons aménagé deux studios d’enregistrement afin de retrouver ce coté séminaire mais annuel. Notre envie est de pouvoir proposer ce format aux artistes, afin qu’ils se sentent comme à la maison. C’est pour ça qu’on a gardé ce côté maison et on a tout refait à l’intérieur. Il y a également nos locaux donc c’est un format très familial et convivial, ce qui plaît aux artistes avec lesquels on bosse.

On a eu la chance de pouvoir être en partenariat avec 33 Recordz et leurs équipes, ainsi que 8ruki, qu’on remercie énormément, car ils nous ont ouverts à toute cette nouvelle génération d’artistes qui sont voués à être les rappeurs de demain. On kiffe ce côté avant-gardiste et cette nouvelle proposition. Moi, je viens d’un autre paysage du rap, de l’époque de Dinor, Cinco, Haristone qui est mon pote… C’est vrai que la rencontre avec 8ruki et son équipe nous a ouvert à tout un nouveau panel d’artistes avec lesquels on a kiffé bosser ! Au final, la DA de la maison s’est créée autour de ça, de cette nouvelle génération qui arrive.

LFB : Et on retrouve cette idée dans la tracklist du projet, où on retrouve beaucoup d’artistes émergents ou en développement, mais également des noms américains tel que Valee qui colle parfaitement à la mixtape. Pouvez-vous nous parler du processus de construction de cette tracklist en tenant compte de ces considérations ? Est-ce une fusion d’artistes que vous appréciez, ou avez-vous d’abord mis en place la tracklist avant de contacter les artistes ?

Arturo : C’est clairement la première idée. Nous avons collaboré tout au long de l’année avec les artistes qu’on retrouve dans le projet, à part Valee. Mais la connexion avec lui s’est faite grâce à Brodinski, qui est passé plusieurs fois bosser ici et qu’on apprécie beaucoup. Un gros S/o à lui, c’est un grand monsieur de la musique, qu’on ne nomme pas assez en France. C’est un de nos plus gros représentants. Il faut remettre à César ce qui est à César et grâce à lui, on a pu démarcher Valee qui était très chaud de se pencher sur le projet.
Sinon ce ne sont que des artistes où la rencontre elle-même s’est faite avant la rencontre artistique. Des gens qui sont passé ici, que ça soit pour un single, un ou plusieurs projets… Ce sont forcément des gens qui sont passé par ici et qu’on a kiffé.

LFB : Cette aspect de séminaire, de faire ça dans une maison donne un côté très humain à ce projet, quelque chose qui peut se différencier de ce que vous faisiez avant et que vous recherchiez, je suppose ?

Arturo : On recherche clairement ça en majorité, oui ! Après, il faut que tout le monde vive. Ça reste un métier. Et on n’a pas de tarif affiché exactement pour ça, parce qu’on s’adapte au projet et à l’humain qu’il y a en face. On veut sortir de ce truc de timing et de budget à respecter. Ok, c’est le jeu aussi. Mais chaque artiste est différent, chaque artiste n’a pas les mêmes moyens. Que ça soit des leviers musicaux ou financiers, nous, on s’adapte par rapport à tous ces critères. Ça peut paraître bateau, mais tant que l’humain derrière est cool, et que sa musique nous parle, on va y aller. Mais vu qu’on ne fonctionne pas de manière tarifaire, et qu’on fonctionne avec le cercle des artistes, c’es- à-dire les +1, +2, +3… Le cercle s’agrandit. Et ça reste cohérent.

Et c’est ce qu’on peut retrouver sur la tracklist. Ce sont des artistes qui ne se connaissent pas forcément, mais qui sont voués à savoir qui est qui. Ça reste un espèce de microcosme qui est super cohérent musicalement, et ça permet aussi de garder ce côté niche dans notre musique. Peu importe ce qui est voué à être et à devenir la niche de chacun, on reste dans cette musique. Je pense que la cohérence se fait là-dessus également. Il y en a qui seront plutôt sur de la trap, d’autre sur de la new jazz… C’est aussi des artistes qui cherchent à se renouveler, et à faire leur propre truc. C’est ça aussi notre ligne principale.

LFB : Quels sont vos critères de sélection pour choisir vos artistes ? C’est plutôt les artistes qui vous contactent pour bosser avec vous, ou le contraire ?

Bywam : C’est un peu des deux en vrai. Des fois, comme disait Arturo, ça se joue via les contacts et les connaissances, et d’autres fois, ce sont les artistes qui nous contactent directement. Parfois, ça peut être nous qui démarchons des artistes. Mais tout se fait à chaque fois rapidement.

Arturo : On peut prendre l’exemple de Jaymee, dont vous avez le protagoniste au niveau des prods à mes côtés (Bywam, ndlr), car il a travaillé presque l’ensemble des morceaux sortis ! Mais du coup, dès le premier Brand New Jazz, on lui a proposé direct. On kiffait son délire, et à ce moment-là, il avait 5 000 auditeurs. On lui a proposé de rejoindre la maison, et c’est grâce à ça que la connexion s’est faite.
Là, il revient aujourd’hui pour faire un séminaire, on essaye de le développer un maximum. Honnêtement, avec un profil comme lui, c’est pas du tout le côté financier qui nous importe, mais le coté humain. Et vive le développement, c’est aussi l’archétype même de la musique ! C’est le cycle de monter très haut pour redescendre très bas avec d’autres artistes.

LFB : Il y a aussi ce côté de rendre ce coup de main plus tard et inversement.

Arturo : Il peut y avoir ce côté là mais je trouve ça un peu dangereux de jouer avec ça. Au final, les gens ne doivent rien à personne. S’ils nous devaient quelque chose, on l’aurait déjà dit. Là où on se rejoint, c’est, par exemple, avec un Haristone, on fait de la co-production, donc c’est déjà acté avant. Par exemple, avec Jaymee, on l’aide et on kiffe bosser avec lui en tant qu’humain. C’est là où on retrouve ce paradoxe. Chacun possède des profils différents, c’est vraiment du cas par cas. Par contre, on est jamais fermé à bosser avec des plus grosses structures. Des autres maisons qui, elles, sont full budget. C’est un peu une espèce de balance en fait.

LFB : C’est surtout la musique et sa cohérence qui va prendre un peu cette décision finale.

Arturo : La cohérence joue un rôle très important ! Je peux donner un exemple, avec des artistes qui sont tout l’opposé des artistes casa. Je peux écouter, par exemple, du Lacrim en rentrant chez moi. Mais est ce que si je vais associer un Lacrim avec un Bywam, ça peut être très bien, mais est ce que c’est vraiment cohérent ? Je ne suis pas certain, donc ce n’est pas vraiment quelque chose qu’on va chercher. Par contre, on va développer et y laisser notre patte. C’est hyper important.

LFB : Comment vous travaillez à l’intérieur de Casa ? Comment est-ce que tout se goupille ?

Bywam : En général, tout se passe très naturellement. Soit on a déjà un contact direct avec les artistes, soit on va venir les démarcher, et ensuite faire une première session. Si le feeling passe bien humainement et musicalement, on va être amené à rebosser avec eux. Il y a toujours une sorte de continuité.

Arturo : Le fonctionnement ici, c’est soit les artistes nous démarchent, soit on les démarches. Il y a une première session test qui est effectué pour la rencontre et s’approprier un peu les lieux. Ils font leur musique, et si ça fonctionne, on va commencer à parler. C’est comme ça qu’on bosse : première rencontre puis on fait un morceau.
Il ne faut pas perdre ce truc-là. Si on voit que pendant cette première rencontre personne ne parle, ou que les gens n’ont pas envie de bosser, ou que le son n’est pas trop notre truc, on ne va pas forcer à faire tel ou tel truc. Par contre, avec la grosse majorité ça le fait !

On est pas non plus fermé aux gens de Paris. C’est aussi là où cette maison nous aide beaucoup. Il y a des profils qu’on aime beaucoup qui ne viennent pas de Paris et quand ils viennent sur la capitale, ils viennent nous voir. Il y a même plein d’artistes qui sont venus sans jamais faire de musique. Si on voit qu’il n’y a pas lieu de faire un morceau, on ne va pas forcer pour que ça se passe.

LFB : Vous qui baignez dans cette scène plus underground que mainstream, quel regard portez-vous sur la scène rap actuelle qui est faite d’une multitude de niches ?

Bywam : On pense que les artistes avec qui on bosse, c’est l’avenir, on mise nos cartes sur eux. Le fait de bosser avec tous ces artistes aux styles différents ça nous permet de s’épanouir musicalement.

Arturo : Je pense que les auditeurs ont aussi envie de ça. On a cette chance en tant qu’auditeurs de pouvoir piocher un peu partout pour prendre ce qui nous intéresse. Avec le streaming, c’est voué à continuer comme ça. Avant, si tu avais un budget de 120 €, tu achetais 12 albums et tu les starifiais maintenant tu as tout à portée de mains. Ce qui veut dire que l’auditeur d’un artiste ça peut être l’auditeur d’une dizaine d’artistes aussi et ça facilité le côté niche.

Il y a aussi plus d’engagements dans les niches, le public soutiens plus l’artiste que ça soit sur les réseaux où en achetant du merch,… Puis c’est générationnel aussi, les plus jeunes, ils ont sûrement envie de s’approprier leur style de musique et de le faire vivre sans écouter la musique de leur grand frère. Ça permet aux artistes de moins penser la musique pour le public, mais d’arriver avec une proposition qui sera aimée par certains.

Severus & seigneurOG

LFB : En parallèle, on a pu voir aussi une tendance à devenir le plus « original », ce qui donne une sorte de paradoxe où l’on se réjouit de voir pleins de sous-genres voir le jour et d’un autre côté, il y en a qui en abusent.

Arturo : C’est vrai que ce n’est pas parce que tu es différent que tu es forcément bon. Il y a une limite à la course à l’originalité. On sait que les gars avec qui on bosse ne sont pas les premiers à faire ce qu’ils font et qu’ils s’inspirent d’autres gars et ça, c’est une démarche qui existe depuis toujours.
Je pense que, de toute façon, l’auditeur est assez aiguisé que pour comprendre qui est qui.

Après, il faut aussi laisser vivre les artistes, c’est l’histoire de tous les mouvements. Les mecs qui recopient à un moment, ils vont finir par trouver leurs sauces et, pour moi, ça, s’est plutôt positif.

LFB : Il y en a aussi qui surfent sur des vagues sans forcément en avoir les codes. C’est pour ça, que quand on regarde ceux qui ont réussi, il n’y a que ceux qui comprenaient et avaient foi en ce qu’ils faisaient qui ont réussi (Hamza, Laylow,…) mais ils ont dû être patients.

Arturo : Pour moi, au-dessus de ça, y a les Etats-Unis. Puis aussi, pour en avoir discuté avec les artistes, on se demande si à force de vouloir tous être originaux, ils ne se perdaient pas.

Tu me parles d’Hamza, il a été avant-gardiste dans sa proposition, mais il vient aussi d’une autre époque où quand il signait en maison de disques, il y avait des cases à cocher à chaque sortie, ce qui n’est plus trop le cas à l’heure actuelle où l’on demande des projets très affirmés dans une seule couleur musicale, celle du moment. Paradoxalement, je ne suis pas sûr qu’un mec qui force sur la durée avec une seule couleur arrive à se démarquer, on va plus leur demander de savoir s’adapter, ce qui est aussi lié au mode de consommation. Maintenant, il y a des niches qui éclosent et disparaissent plus vite que des artistes. C’est aux artistes de savoir si leur patte est liée à un mouvement ou si elle est liée à eux-mêmes. Je ne pense pas que la musique de niche permet de se développer sur le temps si les artistes ne se renouvellent pas eux-mêmes.

LFB : à part cette volonté de mettre en avant des artistes que vous aimez, quels sont les objectifs derrière le projet ?

Arturo : On trouvait ça dommage de ne pas mettre en images ce qu’on faisait ici. Honnêtement, c’est un mouv business comme un mouv image. On veut se payer une vitrine, on est une équipe jeune. J’ai eu des expériences dans la musique, mais l’équipe Casa Country Club elle est là que depuis septembre. Ce premier volume, il va servir à montrer qu’on est là et que les gens peuvent venir bosser avec nous, peu importe leur profil ou leurs envies.
En résumé, c’est une carte de visite de notre DA, ce qu’on peut offrir et des gens avec qui ont à l’habitude de bosser.

LFB : Quels vont être vos projets à long terme ?

Arturo : Qui dit volume 1, dit volume 2…On ne sait pas encore au niveau timing quand il sortira, mais on bosse sur d’autres choses pour fêter le premier opus et boucler la boucle avant d’enchaîner sur d’autres projets. On aimerait mettre du visuel sur ce que l’on fait aussi, donc on pense à ouvrir une chaîne YouTube. Et en parallèle, il y a toujours le développement d’artistes.

LFB : Si ce n’est de la réussite dans tous ses beaux projets, que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Arturo : La santé et de savoir être patients (rires).

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