Quand on est chroniqueur musical et qu’on part à la rencontre d’un artiste, il existe deux moments distincts : la promotion et les rencontres. C’est au cours des Nuits Secrètes, alors que la chaleur phénoménale de la veille a laissé place à la pluie et à une température automnale, que nous sommes partis à la rencontre de Blandine et Pierre, deux membres des géniaux Catastrophe. Bercés par le bruit de la pluie, retour sur un moment où la douceur et l’apaisement ont joué des coudes dans notre cœur. Une rencontre comme on en fait peu avec un groupe à nul autre pareil.
La Face B : Salut Catastrophe, comment ça va ?
Blandine : De manière humide, mais chaude.
Pierre : On est bien, on a bien dormi et on est heureux de faire de la musique.
LFB : On est aux nuits secrètes, vous jouez sur les Parcours Secrets, est-ce que c’est quelque chose qui vous attire de voir des gens qui viennent sans savoir qu’ils vont vous voir vous ?
B : Pour nous c’est super, c’est presque dans l’ADN de Catastrophe. Dès le départ, on s’est dit que ce qu’on souhaitait faire le plus c’était de jouer dans des lieux pas forcément appropriés pour la musique, où la musique n’était pas forcément attendue et de surprendre les gens. Et là en fait tout le principe des Parcours Secrets est basé sur la surprise. On surprend les gens avec le lieu, on surprend les gens avec le groupe, et on surprend les gens avec la proposition musicale qu’on fait. Donc nous, c’est exactement ce qu’on cherche quand on fait de la musique.
P : Nous ce qu’on cherche à faire, c’est vivre des moments spéciaux avec des gens qu’on ne connaît pas. C’est ça que permet la configuration du concert, on regroupe des personnes dans une pièce et il se passe quelque chose. Et c’est ça qui nous intéresse et qui nous excite, c’est de vivre des moments intenses et rares avec des gens, du coup là c’est fait pour ça, donc c’est agréable.
LFB : C’est le deuxième aujourd’hui, la première s’est bien passée ?
B : Il faisait chaud. Nous en arrivant la veille, il faisait 42°C donc on se disait tiens ça va être étonnant de faire un concert en pleine canicule, aujourd’hui on se dit ça va être étonnant de faire un concert sous la pluie. Ça s’est bien passé, c’était un public assez familial, assez mélangé, et ça marche bien et ça nous intéresse vachement de jouer devant des publics qui non seulement ne savent pas tout à fait à quoi s’attendre sur scène mais ne savent pas tout à fait à quoi s’attendre dans le public même, qui ne se reconnaissent pas forcément entre eux, qui se découvrent. Y’avait des enfants…
P : On aime bien l’idée de prendre les concerts comme des prétextes pour rencontrer des gens et pour brasser des milieux sociologiques qui ne se rencontreraient pas forcément ailleurs. En tout cas, ça nous plaît, l’idée d’avoir un public qui est hétérogène au niveau sociologique, d’avoir des gens qui viennent d’endroits différents.
B : Là ça a assez bien marché pour ça. Après au compteur, un parasol arraché, j’ai failli m’éborgner et il y a eu des petits accidents qui vont avec le lieu.
P : Des abeilles aussi un peu intempestives.
LFB : Je vais parler un peu de votre musique. Pour moi j’ai l’impression que Catastrophe c’est plus une entité qui n’est pas forcément que de la musique. Je sais que vous voulez qu’on vous considère comme un groupe mais pourquoi ce terme-là ? Pour moi Catastrophe c’est vous mais c’est aussi les gens qui vivent votre musique et vos projets.
B : En fait idéalement on dirait juste Catastrophe. C’est juste qu’on dit groupe plutôt que collectif parce que dans l’idée que les gens ont en tête d’un collectif, il y a l’idée d’un fonctionnement horizontal ou personne ne prend vraiment les décisions, tout le monde est à égalité et nous, dans notre fonctionnement, chacun est responsable d’une spécialité précise et les décisions sont prises par des chefs de pôle. Donc on a fonctionnement plus vertical et on avait l’impression qu’il y avait un malentendu.
Mais après, bien sûr on fait des choses variées, transdisciplinaires où des gens viennent et repartent. Même si on est six, on invite des personnes qui transitent par Catastrophe et on espère rester ouverts.
P : Après c’est très difficile de trouver le bon terme pour désigner ce qu’on essaie de faire et je trouve que c’est plutôt un bon signe parce que c’est toujours bien de faire des choses qui ne ressemblent qu’à nous, et du coup il faudrait presque créer un mot pour désigner ce qu’on fait.
B : C’est aussi pour ne pas faire trop peur aux gens. Dire « groupe » c’est aussi simplifier, que les gens ne se disent pas “ah c’est un truc trop bizarre on va rien comprendre si on vient”. Non non, ne vous inquiétez pas, c’est un groupe. Venez, et après vous verrez que c’est un groupe qui a un fonctionnement différent d’autres plus convenus.
Mais pour ça il faut déjà que les gens viennent pour qu’ils le voient et c’est vrai qu’au début on avait l’impression, quand on expliquait tout ce qu’on faisait, de risquer d’être un peu critiqués. Et nous ce qu’on envisage c’est de faire quelque chose de pop, d’évident, de direct, de familial, de tendre la main.
LFB : Ça se ressent dans votre dernière chanson Maintenant ou Jamais.
B : On n’a pas du tout envie de rester dans une niche cryptique, c’est pas du tout ça qui nous intéresse. On a envie de parler à des gens, d’une manière originale mais pas d’une manière qui ferme le dialogue.
LFB : Je trouve que votre musique est un peu une musique de Mantra. Est-ce que vous la considérez comme ça ?
P : Oui c’est vrai qu’il y a souvent ça. Même dans Maintenant ou Jamais où c’est une sorte de motif qui est répété. En fait on aime bien l’idée de répéter une phrase et qu’elle prenne un sens presque sacré. Par exemple, j’aime beaucoup L’amour et la Violence de Sébastien Tellier, ce genre de morceaux qui ont été des inspirations pour nous, qui nous donnaient l’idée d’une alternative à la chanson à texte ou à la chanson française dans laquelle nous on ne se reconnaît pas forcément. En fait, les références comme Sébastien Tellier ou AIR ou d’autres choses comme ça, ça n’appartient pas à la tradition de la chanson française et c’est souvent des phrases qui sont répétées, ça nous a beaucoup inspirés.
B : Et puis c’est un peu moins directement musical. C’est l’idée de faire de la spiritualité sans dieu, quelque chose de l’ordre du rituel. En fait l’idée de la répétition en boucle ça crée dans le cerveau comme une ouverture étrange. Le langage devient finalement une manière de mettre le corps dans un autre état. De se mettre tout entier dans un autre état et d’entendre les choses différemment, les mots différemment, le monde différemment. Et je pense que ça existe beaucoup dans nos concerts et dans la manière dont on envisage la musique, et pas que, c’est l’idée d’être spirituels mais sans avoir besoin de dieu. Spirituels sur l’ici et maintenant.
P : Et de proposer, dans les concerts, un moment sacré presque par surprise.
B : Oui, sans la solennité qui va parfois avec le sacré, où ça fait un peu peur, on se dit « ah mais on va être moins libres » si il faut être dans un grand respect du sacré. Alors que là au contraire on se dit soyons “irrespectueux”, soyons ridicules et fous et on peux regagner une autre forme de sacré par là, un sacré sauvage. Mêler le sauvage et le sacré.
LFB : Il y a aussi une idée d’action dans votre musique. Vous faites les choses sans forcément les intellectualiser.
P : Oui, on essaie de faire et d’analyser après.
B : Au début, on n’avait pas tout à fait compris ce mécanisme-là et on pensait avant de faire. Du coup, on faisait moins et on faisait surtout de manière un peu contorsionnée. Quand on pense toute une mélodie avant même de l’essayer au piano exemple, quand on l’intellectualise et qu’on se dit il faudrait que ce soit comme ça ou comme ça avant même de poser les accords, quand on le fait on se dit que ce n’est jamais à la hauteur, on est paralysé. Du coup on se dit faisons l’inverse, soyons empiriques.
P : C’est mieux d’être au devant de ce qu’on fait. Ça veut dire qu’on est presque débordé par ce qu’on est en train de faire. Par exemple, on travaille sur une comédie musicale en ce moment et on sent qu’elle avance presque malgré nous. C’est elle qui dicte ses propres règles et nous on est juste des accoucheurs de ce que l’objet est en train de devenir. C’est aussi travailler en groupe qui donne cette sensation-là d’être débordés, de pas maîtriser ce qu’on fait et d’être devancés presque par l’objet qu’on est en train de produire.
LFB : J’ai l’impression que vous avez conscience de votre propre fin. Est-ce que c’est quelque chose de libérateur ou qui est flippant parfois ?
B : Les deux sont intriqués mais on essaie de rendre ça libérateur. C’est vrai que la fin et la mort sont hyper présentes dans ce qu’on fait, c’est évident tout le temps, chaque concert, chaque jour qu’on commence. Je pense qu’on est obsédé par ça, tous dans le groupe et c’est vrai qu’on préfère ne pas éviter d’en parler et rendre ça énergisant.
P : On essaie de fêter aussi le fait que tout soit provisoire et on essaie d’en faire quelque chose de festif. L’idéal serait de pouvoir pleurer et danser en même temps.
B : On a vu un reportage récemment sur le 13 Novembre au Bataclan et une personne disait qu’elle s’était cachée sous un cadavre quand les assaillants arrivaient et disait “à ce moment je disais que la fin allait arriver et je veux trouver une pensée forte, belle, qui va me rester”. Et c’est drôle parce qu’à ce moment-là, il ne s’est pas dit bon ben j’éteins mon cerveau, il s’est dit il faut que j’arrive à trouver quelque chose. On n’a pas toujours conscience d’une manière aiguë que les choses finissent et qu’on va mourir et les moments où ça se déclenche sont des moments où tout paraît important, où il faut tout garder en mémoire, où il faut déclencher toutes les pensées, où il faut être présent à tout ce qu’on vit. Et c’est ça qu’on essaie de déclencher, un état de présence hyper intense, parce que ça va finir.
P : C’est activer ce rapport aux choses qui apparaît quand on prend conscience que les choses vont finir, on est capable de les regarder réellement, de les observer, de les chérir d’une certaine manière.
B : Ça va avec l’amour. C’est un peu rendre vulnérable tout, en nous, le monde, l’herbe, la pluie…
LFB : En fin de compte, tout est dit dans votre nom. Catastrophe c’est un nom qui paraît hyper violent mais finalement c’est le recommencement permanent qu’il y a derrière qui vous guide.
B : C’est juste.
P : Oui. Le fait que les choses finissent, ça signifie que ça meurt et que ça nait en même temps et que dès que quelque chose meurt, il y a autre chose qui recommence.
LFB : Je fais finir avec des questions plus légères. On a un ami en commun qui s’appelle Alphonse (coucou Alphonse, on t’aime) qui m’a gentiment guidé vers le Karl Popper’s Show et j’ai décidé de vous poser des questions en rapport avec cette émission. Comment vous vous débrouillez avec la vie en ce moment ? (rires)
P : En ce moment ça va.
B : Avec beaucoup de muscles. Moi c’est de la débrouille musculaire. Je trouve qu’on est dans une période très physique. Les muscles, il faut les chérir, ainsi que les ostéopathes (rires).
P : On porte beaucoup de synthétiseurs et on est vraiment dans une course, dans un effort et ça nous apporte beaucoup de joie d’être dans l’effort. On se débrouille avec nos muscles. (rires)
LFB : À quel niveau de bonheur vous vous situez aujourd’hui ?
B : Moi je lâcherais un 81%. C’est chaud hein.
P : Moi je dirais 75.
LFB : Est-ce que vous ne pensez pas que 13h c’est beaucoup trop tôt pour une interview ?
P : Non c’est bien. On est sous une tente avec de la pluie dehors, j’aime bien cette interview je lui donne 9/10.
B : Non c’est pas mal on est apaisé, on est centré. On n’est pas dans le stress. Je partirais aussi sur un 9/10.
LFB : Le costume de couleur, c’est pour casser l’idée que le costume c’est un truc de mec de droite ?
B : Grave ! (rires)
P : Le costume est-ce que c’est vraiment un truc de mec de droite ?
B : Non je pense que c’est ni un truc de mec ni un truc de droite. Néanmoins c’est une chose un peu triste qui arrive avec des circonstances très officielles, que ce soit travail, mariage, enterrement, toujours très très institué. Et c’est pas mal avec le costume de couleur, de se dire “et si on se mettait un costume dans des moments moins organisés de la vie”, rendre sauvage le costume.
P : Après, le costume pour moi c’est un truc indémodable. J’aime beaucoup le concept de costume, il y a une forme d’élégance… Je regardais un film qui se passait dans les années 1950 dans Paris, où tout le monde était en costume et je trouve ça suprêmement élégant.
B : Et puis c’est unisexe, ça convient à peu près à toutes les morphologies.
P : Ça nous convient bien.
B : On recommande le port du costume.