Il y a plusieurs semaines, peu de temps avant la sortie de leur deuxième album, on a rencontré Catastrophe. Au delà des sourires et des anecdotes, Blandine, Pierre, Arthur et Carol nous ont partagé les nombreuses esquisses qui ont permis de donner naissance à GONG!, album plein de rêve et de vie. Retour sur cet échange.
crédit photo : Antoine Henault
La Face B : Comment vous sentez-vous à une semaine de la sortie de GONG! ? (interview réalisée le 4 septembre, ndlr)
Pierre : Je crois que les sentiments qui dominent sont la hâte et le bonheur.
Blandine : Je ne dirais pas le bonheur mais la joie.
Pierre : La joie de sortir des choses, une joie inquiète c’est bien comme formule. On est assez heureux et satisfaits de l’objet qu’on va sortir, il y a une certaine sérénité.
Blandine : Vis-à-vis de l’objet oui et en même temps je pense que cette joie est due à l’idée que les gens vont pouvoir s’approprier quelque chose pour lequel on a donné deux ans. Il y a aussi un peu d’inquiétude puisque tous les concerts sont annulés. C’est une période très étrange pour sortir un disque, on sent que ça va être un défi.
Pierre : On est déterminés à défendre cet objet.
LFB : D’où vous est venue l’idée de créer une comédie musicale ?
Pierre : La comédie musicale c’était une idée qui nous trottait en tête depuis longtemps, un vieux rêve. Un projet qui reposait en nous car Blandine a pratiqué les comédies musicales étant jeune.
Blandine : C’est vrai que c’est un rêve d’adolescence, le goût de la comédie musicale est quelque chose de très pur, c’est pas quelque chose que l’on fait pour être à la mode ou pour plaire. Je pense que l’idée de faire une comédie musicale aujourd’hui est d’autant plus excitante et nécessaire puisque rien n’est propice à ça, les temps ne sont propices à la forme de la comédie musicale qui est quand même joyeuse. Il peut bien sûr y avoir des joies noires, sombres ou féroces mais il y a surtout quelque chose de joyeux, on se met à danser en parlant des choses, on se met à chanter… Et je crois que c’est d’autant plus nécessaire quand ce n’est pas adapté à l’époque.
Arthur : Le premier album, La nuit est encore jeune, c’était vraiment un album de studio, créé la nuit, avec beaucoup d’électronique et cet album on l’a mis sur scène, on l’a adapté. La comédie musicale c’était une direction plus scénique, une façon de penser la musique à travers la scène et savoir comment la parole circule, c’était vraiment un horizon qui nous permettait de faire coïncider nos nouvelles identités. Chacun a son moment, chacun peut intervenir et c’est quelque chose qu’il n’y avait peut être pas sur le premier album.
Pierre : Par exemple Pablo, le bassiste, a un vrai moment à lui dans la chanson Le grand vide, c’est un peu la chanson de l’ennui car il incarne l’ennui dans la comédie musicale. Chacun a trouvé sa place, c’est aussi l’effet du temps car ça fait longtemps qu’on travaille ensemble, on se connaît, chacun a son territoire, sa place dans le groupe.
LFB : Vous souhaitez toujours être en totale immersion avec votre public. Est-ce qu’il y a derrière le concept de comédie musicale, une volonté de créer une forme de dialogue entre lui et vous ?
Blandine : En faisant des concerts, on s’est rendu compte que ça nous intéressait pas de refaire toujours le même. On adore trouver des moyens d’avoir besoin des gens, leur demander des choses comme monter sur scène, d’être en question/réponse. Et à force de se poser ces questions-là, on a creusé de plus en plus la forme de la comédie musicale car on aime bien parler aux gens et quand on commence à vraiment parler avec eux, à vraiment prendre la parole comme un endroit où quelque chose peut se jouer, alors on commence déjà à rentrer dans le registre de la comédie musicale, il y a du sens.
LFB : D’ailleurs, votre rapport à l’autre est omniprésent dans vos morceaux (Visages, Social Network…) Quelle a été l’influence de vos relations avec le monde extérieur sur cet album ?
Arthur : Blandine et Carol ont été interviewer des gens, il y a eu un projet sur Qu’est ce que le temps ?, car le temps c’était vraiment notre point de départ sur cet album. Ils ont donc fait une série d’interviews dont certains moments sont gravés dans le disque.
Pierre : Ca a servi de matériau pour être inspiré, pour ne pas rester dans notre vase clos créatif, on voulait trouer le disque, que ça respire, que ça résonne avec les bruits du réel, d’ambiance, d’internet, que ce soit un disque qui fourmille de tout ça.
Blandine : Il nous semblait que l’écueil que l’on éprouve parfois vis-à-vis de certaines comédies musicales, c’est que ce sont des espèces de mondes féeriques trop loin de ce que l’on vit donc ça nous touche plus. On peut trouver ça beau mais ça devient moins nécessaire, moins important. Notre parti initial était de faire quelque chose de fantaisiste mais les yeux grand ouverts, avec le réel, de parler de notre angoisse vis-à-vis du changement climatique, parler des notifications qui font qu’on est sans cesse déconcentrés, qu’on a du mal à tenir une conversation avec quelqu’un. Parler de tout ça mais en parler avec une forme plus inédite.
LFB : A l’écoute des morceaux de GONG!, on passe d’une énergie assez adolescente (Encore, Gromit…) pour finir avec une autre plus adulte (Solastalgie), il y a un vrai cheminement. Vous faites aussi passer l’idée qu’il faut accepter le temps qui s’écoule, qu’il n’y a pas de fatalité, ce qui englobe ce disque d’une forme de sagesse. C’était l’idée ?
Blandine : Totalement. Je pense qu’on essaie de décrire ce que l’on éprouve, c’est plus descriptif que prescriptif. Il n’y a pas l’idée de demander aux autres de s’imprégner de notre philosophie, pas du tout. On est parti de notre inquiétude et on a essayé d’aller vers un état plus apaisé.
Pierre : C’est un tout, c’est comme une sorte de voile qui s’ouvre au fil du disque, comme si la hauteur du plafond devenait de plus en plus grande. Au début il y a des morceaux très nerveux, très actuels puis après ça s’ouvre comme un télescope.
LFB : Dans votre morceau Le grand vide, vous faites intervenir une personne qui décrit son rapport à l’ennui. En tant qu’artiste, quel est votre rapport avec ce dernier ?
Pierre : C’est une très bonne question et je pense que l’on a tous des rapports différents. En ce qui me concerne, je ne dirais pas que l’ennui est un sentiment ou une émotion qui me traverse fréquemment, je ne pense pas que j’ai un rapport à l’ennui très imprégnant.
Blandine : Je pense qu’on est plusieurs dans ce groupe à avoir un rapport à l’ennui plutôt positif dans le sens où lorsqu’il y a du vide qui s’ouvre, on le voit plutôt comme une chance d’avoir un moment où on peut mieux regarder les choses, les écouter, comme écouter un disque avec une réelle attention, pas le faire parce qu’il faut faire un commentaire à quelqu’un. L’ennui c’est un temps où l’on ne sait pas ce que l’on va faire, un temps où il y a plusieurs possibilités, le temps s’ouvre et je crois que nous, en tout cas nous quatre, on le voit plutôt comme une chance de pouvoir être curieux envers les choses auxquelles on ne s’intéresserait pas sans ce temps qui s’ouvre. Quand on est adolescent, on ne le supporte pas et ça paraît difficile alors qu’à l’âge adulte, il est plus rare et il devient précieux. C’est un peu ce que veut dire ce morceau, c’est le grand vide et les moments où on a du vide, où on n’a pas de rendez-vous, de choses à rendre, où on a une ouverture du temps, c’est comme une chance de pouvoir regarder ce que l’on ne regarde pas en temps normal.
LFB : Comment s’est déroulée la conception de cet album ?
Blandine : On a commencé par faire la comédie musicale. On était six dans une pièce et dans cette même pièce, on s’est demandé comment raconter les choses et faire de la musique à la fois. On part souvent des démos de Pierre, des démos qui sont parfois que des mélodies, parfois des démos plus abouties et on les met en jeu, chacun participe à un réarrangement du morceau, chacun donne des idées.
Pierre : Aux deux tiers de la création du disque, on fonctionnait qu’avec un dictaphone et c’est intéressant de le préciser je pense. On n’a pas du tout commencé à travailler la production du disque, on a d’abord essayé de tout composer, que tout se tienne juste avec un dictaphone afin qu’on puisse jouer l’album à quelqu’un in extenso.
Blandine : Par exemple, quand on compose on envoie des démos aux gens pour avoir des retours et nous on n’a pas fait ça. On a fait venir des gens dans des studios, on leur a joué le disque avant qu’il soit enregistré. C’est l’inverse de ce qui se fait aujourd’hui et ça ressemble peut-être plus à ce qui se faisait dans les années 70 ou même avant.
Pierre : Ca permet d’éviter un syndrome qui arrive souvent, ce syndrome où on court après la démo en se disant qu’elle était mieux, qu’elle avait une grâce. On a tout fait au dictaphone et après on a enregistré pour de vrai, en live, dans les conditions du live dans ce studio qui s’appelle Le manoir de Léon au milieu de la forêt. Et en une semaine ça a été très rapide car on avait beaucoup travaillé en amont, on a tout enregistré d’un coup avec l’aide de David Sztanke, réalisateur du disque, et Guillaume Jaoul, l’ingénieur du son. Après ça on a fait un peu de nettoyage et d’édit, c’est tout.
Arthur : Là je vais faire un bon en arrière mais il faut savoir que les chansons on les imaginait toujours accompagnées des autres chansons, on imaginait souvent la chronologie, comment elles se suivaient et ça c’est important car ce n’était pas juste plusieurs morceaux qui se baladaient comme ça. Lorsqu’il y avait une certaine émotion, on se demandait ce qui allait suivre après et très vite on a eu une arche chronologique voire narrative qui nous plaisait.
Carol : Je fais un bon encore plus en arrière car aux prémices de cet album, on avait une grande feuille blanche sur laquelle on avait collé des post-it de couleurs et certains post-it étaient des morceaux, d’autres des idées de lumières, de mises en scène, de lives. Les toutes premières idées de Pierre sont venues avec les idées de comment tout cela allait être joué en live et quelle pourrait être la narration.
Blandine : Je vais prendre un exemple concret mais avec Solastalgie, je crois qu’on a déterré une maquette parmi pleins d’autres qui existaient parce qu’on se disait que c’était comme trop léger et superficiel. On voulait que ça parle d’une inquiétude sourde qu’on a chacun en soi telle que celle de la fin du monde dont on nous rabâche les oreilles. La narration et la création musicale sont vraiment allées complètement de pair et c’est en ça qu’on dit qu’on a toujours fait un disque slash comédie musicale, car l’un ne va pas tout à fait sans l’autre.
LFB : Maintenant ou jamais a en quelque sorte été la porte ouverte à ces idées-là, non ?
Pierre : Oui, c’est vrai. Le thème du temps était déjà présent d’ailleurs.
Blandine : On a fait aussi beaucoup de morceaux dansants par rapport au disque précédent. Ce morceau quand il commence en concert, il y a un truc de joie physique qu’on a beaucoup éprouvé. Et après quand on s’est mis sur GONG! on avait envie de retrouver cette joie. Les morceaux Danse tes morts, Pt. 1 et 2 par exemple, on adore les jouer parce que physiquement c’est tout aussi jouissif.
LFB : Est-ce que la pochette de GONG! est une réaction à la première ? Car la première est sombre, nocturne alors que celle-ci est lumineuse et vous apparaissez également dessus.
Blandine : Ce n’est pas une réaction consciente. On a éprouvé une vraie fatigue à paraître obscurs dans tous les sens du terme. Les gens qui nous découvraient, disaient tout le temps « vous êtes un collectif, c’est bizarre, c’est un peu underground… » et ça nous a fatigué car sur scène on avait l’impression de faire un truc dansant, pop qui fonctionnait et on se disait qu’il y avait un malentendu avec cette pochette. Mais en même temps ça allait totalement avec ce que l’on voulait à l’époque, elle conservait une forme de mystère, d’ambiguïté, le côté nocturne, la mélancolie, plein de choses qu’on aime toujours d’ailleurs. Mais quand on fait un projet de musique et qu’on nous dit en permanence qu’on aime pas ce que l’on fait, on a tout de suite envie d’être clair. Il y a eu une volonté de clarification avec cette pochette.
Pierre : Une volonté de tendre la main aux gens et de ne pas se garder, d’avoir une ambition vraiment pop.
LFB : Selon vous, créer une comédie musicale c’est créer un monde où tout est possible, où les préjugés n’existent pas. Cette bulle suspendue dans le temps et la magie qu’elle contient vous rassure-t-elle face à la réalité ?
Carol : Non, c’est plutôt le contraire car on essaie de la percer justement.
Blandine : Je pense qu’on ne crée par pour se rassurer. On crée pour affronter les inquiétudes que l’on peut avoir, regarder les choses en face dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, où il y a plein d’actualités anxiogènes et tous ces gens que l’on voit dans la rue avec un masque désormais. Il y a aussi beaucoup d’absurde, des choses qui sont drôles comme le fait de ne pas s’entendre lorsque l’on parle à travers un masque, qui est un exemple très concret. On a tellement peur de la situation qu’on ne s’autorise plus à en rire et nous ce que l’on essaie de faire sur scène, c’est de faire de la musique, de l’humour, faire des spectacles avec le monde tel qu’il est et comme il va.
Pierre : C’est une bulle avec des aérations, une petite climatisation en fait.
Blandine : Lorsqu’on parle d’un monde où tout est possible, sans préjugés c’est peut-être parce que l’on pense à un monde où il y a plus de choses possibles que ce que l’on s’autorise à faire et c’est peut-être ça que l’on veut se rappeler à nous-mêmes sur scène. Peut-être qu’on se réduit nous-mêmes nos horizons lorsque l’on vit et la scène peut nous permettre de comprendre qu’on est plus amples que ce que l’on croit, que l’on peut faire plus de choses que ce que l’on croit.
LFB : Si vous aviez un budget illimité, que ramèneriez-vous sur scène ?
Carol : On en parlait hier et l’idée serait de jouer dans un endroit où à la fin du concert, les quatre murs de l’endroit s’effondrent et on se retrouve alors en pleine nature avec les gens.
Arthur : Ce n’est plus d’actualité mais c’était de faire pleuvoir des méduses.
Blandine : Mon rêve serait de pouvoir prendre feu sans mourir, à la manière d’un cascadeur. J’adorerais être une torche humaine et connaître la sensation. Par rapport à la question d’avant, le feu est une belle métaphore car c’est à la fois inquiétant et spectaculaire. C’est beau, ça fascine et en même temps ça fait vraiment peur.
Pierre : J’ai toujours voulu faire un truc comme dans les défilés de mode, comme dans Roma de Fellini. Je ne sais pas si vous voyez cette scène où il y a un défilé de mode au Vatican avec une déambulation de personnages. Dans mon idée, on serait invisibles, on accompagnerait un défilé de mode surréaliste. C’est une vision que j’ai depuis longtemps et j’aimerais la réaliser un jour.
© Crédit photo (couverture d’article) : Alphonse Terrier