Choses Sauvages III, une épopée musicale, furieuse et intérieure

Choses Sauvages ne s’intéresse pas aux titres d’album et c’est sans doute tant mieux. Chaque projet des Québécois semble figer une époque, une énergie voire une réflexion sur le monde qui correspond à ce qu’est Choses Sauvages à un instant T. Et cette troisième épopée en est la preuve vivante entre furie musicale, quête de soi et regard sur une société humaine de plus en plus dystopique.

choses sauvages

Ce qu’on aime chez Choses Sauvages, c’est l’ambition folle qui porte le gang québécois. Avec eux, il n’est pas nécessaire d’occuper de manière ostentatoire le terrain musical, ce qui importe c’est que le geste compte, qu’il se nourrisse de l’extérieur (l’existence de chaque membre, les projets parallèles qui jaillissent ici ou là) pour forger une œuvre commune qui impacte autant qu’elle divertie, qui explore et qui réfléchisse tout en poussant plus loin ce qui a été fait auparavant.

Il est amusant de noter cet étrange paradoxe qui habite leur musique, entre un sens de la perfection toujours plus important et un choix musical (ce mélange entre le punk et la dance music) qui prêterait plus à un je m’en foutisme constant et une énergie qui cherche plus que tout à déborder. Un paradoxe intéressant et une concoction digne d’alchimistes qui trouve encore tout son sens dans Choses Sauvages III, un album qui use de structures pour laisser parler l’explosivité, qui s’amuse d’une poésie étrange et volontairement dansante pour traiter des sujets de plus en plus sérieux.

Structure, vous avez dit structure ?

Il y a à n’en pas douter un doux sentiment d’addiction qui nous envahit lors des premières écoutes de ce troisième album de Choses Sauvages. Sans qu’on sache vraiment pourquoi au départ, l’envie nous vient d’explorer encore et encore cet univers musical foisonnant, d’essayer de trouver ce qui rend ces neufs morceaux si attractifs et qui fait de chaque écoute un moment différent, qui nous entraine à découvrir encore et encore des morceaux tout à la fois remplis d’énergie (Fixe, Cours Toujours), hypnotiques (Deux Assassins, Incendies au Paradis) ou gorgés d’une douceur apaisante (Chaos Initial, Big Bang).

On cherche la petite chose qui fait que Choses Sauvages III sonne de manière si différente en fonction du lieu, de l’heure et de l’humeur. Et puis on réalise d’un coup l’évidence et la géniale simplicité qui se dévoile sous nos yeux et dans nos oreilles : derrière le chaos ambiant, tous les morceaux sont créés autour d’un édifice basse-batterie qui, de par sa stabilité et son évidence, permet de créer autour toute la folie et l’énergie nécessaire à la musique de Choses Sauvages.

Cette idée, qui portera tous les morceaux de l’album, permet aussi à Choses Sauvages de se rapprocher d’une énergie plus brute, plus live et d’instaurer aux neufs morceaux une énergie commune qui leur est propre, tout en s’amusant à jouer avec les nuances, les tempos et même avec l’interprétation de Félix Bélisle. Ainsi tout au long de ces trente-trois minutes, sa voix n’a jamais paru aussi élastique, parfois agressif, parfois charmeur, laissant même la place à des featurings vocaux lorsque cela s’avère nécessaire, que ce soit sur la chaotique level up à l’intérieur avec Comment Debord ou la subtile et tendre Chaos Initial avec Lysandre.

Ce duo rythmique nous happe donc et permet aux morceaux de se libérer complètement de l’idée du couplet-refrain, déjouant ici et là les attentes, appuyant le rythme où et quand il le faut.

Fixe est ainsi un uppercut initial qui nous secoue complètement, tandis qu’Incendie au paradis se transforme complètement dans son dernier tiers pour nous offrir un final instrumental tout à la fois âpre et hyper mélodique.

Cours toujours et En joue s’amuse des formats pop pour mieux les pervertir, faux départ se nourrit d’un groove absolument imparable et d’une ligne vocale sexy en diable pour nous faire remuer comme jamais tandis que Deux assassins se répète encore et encore pour nous entrainer ailleurs et que Big bang termine l’album de manière instrumentale dans une sorte de jam session qu’on aimerait ne jamais voir finir.

Vous l’aurez compris, musicalement Choses Sauvages III est un album beau en diable, qui joue d’une structure commune pour libérer le reste et s’autoriser toutes les folies. S’il n’y avait que ça, ce serait déjà beaucoup, mais Choses Sauvages offre aussi des thématiques à ses morceaux, entre noirceur, vision du monde et quête intérieure qui permet de se connecter aux autres.

Poésie intérieure et vision du monde

Si la poésie de Choses Sauvages se veut toujours aussi ouverte à interprétations et porte souvent à la réflexion, il est pourtant impossible de ne pas voir l’impact du monde et du temps qui passe sur les morceaux des Québécois.

Un monde qui prend feu de partout, qui voit la montée des extrêmes partout, des guerres et des génocides ainsi qu’une déshumanisation de plus en plus visible et portée par des réseaux et des algorithmes qui cherchent souvent à nous contrôler.

Toutes ces thématiques sont explorées dans Choses Sauvages III, souvent de manière subtile, avec un goût prononcé pour l’image et pour l’élude poétique qui rend les morceaux tout à la fois évidents et intrigants.

On sent une ligne de fuite qui se trace à travers certains morceaux, comme Fixe, Cours Toujours ou Faux Départ. Une volonté assez prononcée d’enclencher le mouvement, d’échapper aux problèmes qui nous acculent parfois et qu’on voudrait occulter de temps en temps. Écrite par des humains, pour des humains, la musique de Choses Sauvages n’en devient que plus universelle et évidente.

Ici et là, il est aussi question de soi et des autres, de nos relations aux autres qui se distendent avec le temps. Il est assez amusant de constater que ces thématiques sont explorées sur les deux morceaux partagés de l’album, à savoir Level up à l’intérieur et Chaos Initial.

Le monde passe aussi à la loupe de Choses Sauvages, avec Incendies au paradis et Deux assassins, qui auscultent nos défis éthiques et nos petites et grandes hypocrisies face à des réflexions technologiques et une culture de l’oubli qui nous poussent parfois dans nos retranchements.

Ultime clin d’œil de cet album ébouriffant, Big Bang en dit aussi énormément sans utiliser de mots. À travers son titre et son énergie, le morceau semble être une sorte de guide pour réinventer demain, un morceau foncièrement positif et lumineux qui vient conclure un album qui laisse exprimer une certaine noirceur pour mieux l’évacuer.

Vous l’aurez compris, cette troisième épopée de Choses Sauvages permet au groupe de grandir, d’utiliser des bases solides et l’énergie fabuleuse de leurs lives pour proposer un nouveau terrain de jeu, à la fois dans sa partie sonore et dans ses réflexions intimes. Sans aucun doute l’un des grands moments musicaux de l’année.

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