Le groupe le plus bruyant de New-York est de retour avec un sixième album. Loin des trips Ambiant/Dream-Pop de Worship (2012), See Through You surf sur la vague plus mélodique de Pinned (2018) tout en assénant un coup de coude foudroyant dans la nuque de l’auditeur, comme aux débuts du groupe. Toujours ancré dans cette esthétique Shoegaze-Destroy qu’il tâche de faire sienne, Oliver Ackermann n’en finit plus de triturer les sons dans tous les sens, maltraiter les sens avec le son.
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Dévoilé le 4 Février, ce nouveau disque succède l’EP Hologram sorti l’an dernier. Le line-up autour de l’éternel Ackermann avait changé au même moment. Sur See Through You, nous retrouvons donc Sandra Fedowitz à la batterie et John Fedowitz à la basse, tous deux faisant partie du groupe bruitiste Ceremony East Coast. Enregistré en plein confinement, l’album suinte la frustration et l’aliénation provoquée par les enfermements successifs et imposés. Toujours abondamment noisy, convulsif, brut de décoffrage. Autant vous dire qu’une fois de plus, il faut s’attendre à un décrassage d’oreilles en règle. Comme à l’accoutumée, la guitare hurle, les sons englobent l’auditeur, le kick incessant ne laisse aucun répit. Certes plus discrète au niveau des chœurs que sa prédécesseure Lia Simone Braswell sur Pinned, Sandra Fedowitz ne déçoit pas quant à sa maîtrise des rythmes épileptiques et des tempos débridés qui sont devenus l’une des marques de fabrique d’APTBS.
A cet égard, See Through You est sans grand revirement dans l’esthétique sonore du projet. Mentionnons qu’il est globalement plus accrocheur que le reste de sa discographie. On trouvera toutefois de très bonnes surprises dans les 13 pistes de l’album. Déjà, il est indéniable que le travail d’écriture et de composition d’Ackermann avec ce nouveau line-up fait atteindre au groupe un niveau jusqu’alors jamais atteint (bien que la quasi-omniprésence de chœurs féminins sur Pinned ajoutait réellement quelque chose au son du trio, on pourra trouver dommage le fait qu’ils soient ici relégués au second plan, même derrière le mur de son).
Nice of You to Be There for Me, qui ouvre le disque, nous replonge pourtant de suite dans l’ambiance de Pinned. Construite autour d’un riff entêtant, hypnotique, entraînante, elle se perd dans les échos et la reverb. De la même manière, la lancinante I Disappear (When You’re Near) nous replonge aisément dans les anciens travaux de la formation new-yorkaise. So Low réussira également à ravir les fans de la première heure. La voix fantomatique d’Ackermann résonne comme un trip psychotique dans l’esprit de l’auditeur. Avec ses déferlements de guitare saturée à l’extrême et son gimmick bizarroïde, la batterie qui tabasse, le tout forme un mur de son infranchissable. Il en est de même dans Dragged in a Hole, rythme effréné, sans répit, assauts de larsens distordus. Tout ce qui nous plaît d’ores et déjà chez APTBS. Cela dit, le beat est Électronique, chose plus rare sur leurs précédents albums.
En Effet, ce coup-ci, le groupe franchit des barrières qu’il n’avait jamais tenté de franchir. C’était jusqu’à présent assez complexe de le classer dans un genre, et bien dorénavant c’est encore plus difficile. Autant, certaines pistes comme I’m Hurt, Ringing Bells ou encore la magistrale My Head Is Bleeding restent dans la veine originelle du groupe tout en se parant d’influences Industrielles plus marquées. Autant d’autres morceaux sortent réellement du cadre Post-Shoegaze installé par Ackermann au fil des albums. L’exemple le plus significatif est sans aucun doute Broken. De loin la chanson la plus Rock Indie jamais entendue sur un disque d’APTBS. Presque Pop dans ses mélodies, elle est véritablement entraînante, pratiquement solaire. Il y a aussi Hold on Tight et son air de refrain remarquable. Quelques inclinaisons Pop qui sont pleinement maîtrisées, assumées et, le plus important, ne dénotent en rien dans le cours de l’album.
Ce penchant mélodique accru donne de la fraîcheur au disque et permet au groupe de ne pas s’enfermer entre ses murs de son. On retrouve malgré tout l’essence de ce qu’est APTBS, ce ne sont pas des concessions, mais plutôt une évolution bienvenue dans la force mélodique du groupe.Let’s See Each Other est complètement new-yorkaise dans ces effluves de poésie noire Velvetienne. I Don’t Know How You Do It, planante et cinématographique, elle nous rappelle les meilleurs moments de The Raveonettes. Avant-dernière piste de l’album, elle apporte une sorte d’apaisement qui amène doucement à la résolution. Love Reachs Out est cette résolution. Elle clôt le disque sur un condensé New-Order/Joy Division qui conclut en beauté les thèmes récurrents de See Through You : la complexité des relations humaines, la rupture, l’aliénation provoquée par la solitude. Ces penchants 90’s plus assumés sont sincèrement un vrai régal.
Toujours en déflagrations mais peut-être moins oppressant que ses prédécesseurs, See Through You réalise le tour de force de ne jamais devenir lassant. Bien qu’on ressente parfois une perte de potentiel d’énergie sur certains passages, l’esthétique Lo-Fi qu’Oliver Ackermann s’évertue à garder sur ses disques n’est toujours pas dérangeante. De plus, ce dernier gomme encore un peu plus son étiquette d’émule de The Jesus And Mary Chains et semble s’être délivré de nombreuses frustrations.
De surcroît, il pousse toujours plus loin son travail sur les sons. Repoussant de fait les limites sonores du Power-Trio, il signe avec ses deux nouveaux comparses ce qui est certainement le disque le plus audacieux de sa carrière. Avec toujours ce Post-Punk frénétique noyé de reverbs Shoegaze, le trio s’est permis cette fois d’explorer d’autres possibilités, poussant leur son jusque dans l’Electro-Punk. Plus qu’aucun autre album d’APTBS, See Through You nous donne l’envie de danser comme si c’était la fin du monde.