Après des mois de silence radio, Baston revient nous balancer ses ondes Post-Kraut sans que personne ne s’y attende. La Martyre nous plonge dans un univers nocturne délirant, qui pourrait être la BO d’un David Lynch dans lequel le personnage écumerait les boîtes de nuit en pleine errance psychotique. Ce disque se révèle aussi pleinement maîtrisé et reprend avec brio le flambeau allumé par leur premier opus, Primates.
Il aura fallu attendre près de 3 ans pour avoir des nouvelles de Baston. Le groupe rennais aime faire dans la discrétion. Seulement deux concerts donnés depuis Primates et presque aucune comm’ sur le projet. Là où nous avons de la chance, c’est que les versions studio sont bien suffisamment galvanisantes pour nous en mettre plein les sens, même à domicile. C’est excessivement vrai aussi avec ce nouveau disque. Parler ici de prouesse serait peu dire, quand on sait que La Martyre a été composé en plein confinement, par Google Drives interposés, et enregistré dans le garage du claviériste Simon Magadu. Pourtant, l’énergie est bien présente, les 8 morceaux du disque sont denses, et forment un album d’une très grande cohérence.
Baston proposent un Post-Rock qui surfe sur la Coldwave et baigne dans le Krautrock ; c’est dur et froid comme la pointe d’une lance qui transperce nos sens. Mais attention toutefois à ne pas s’y méprendre, Baston fait avant tout du Baston, et, croyez-nous, ça dandine sec sur les 33 minutes de La Martyre. Flash nous le fait sentir dès l’ouverture de l’album. Dansante et délurée, du Post-Rock assez solaire pris d’assaut par des accents de guitares complètement funky. Zodiac fera aussi son petit effet sur les épaules et les bassins, qui ne pourront s’empêcher de se balancer en cadence sur ce morceau vif et assuré. Des sons délicieux viennent nous y encercler, et un saxophone qui semble émaner des errances berlinoises de Bowie rend le titre enivrant à souhait. Le groupe parvient, au travers de tout cela, à conserver une verve Post-Rock intense et nébuleuse, aux frontières de la Coldwave.
En effet, Saphir nous emmène déjà dans des horizons brumeux et électriques. C’est un orage céleste qui pourtant gronde au fond de nous-mêmes, comme le coup de blues qui frappe en plein dans nos entrailles et nous laisse immobiles au milieu de la piste de danse. Très cinématographique, Baston nous dévoile alors son pouvoir d’envoûtement, celui-là même que l’on retrouvera sur Pacific, morceau étourdissant de plus de cinq minutes, dans lequel des motifs mélodiques hallucinogènes s’enchevêtrent les uns dans les autres jusqu’à former des arabesques en aurores boréales, le tout terminant son ascension dans les hautes couches de l’atmosphère. Pacha, grave et magistral, nous offre alors une danse macabre qui se révèle pourtant revitalisante, tant le corps et l’esprit se laissent prendre par les motifs répétitifs et le rythme enivrant.
Baston est porté par l’idée de faire une musique qui lui ressemble plutôt que de se calquer sur les artistes qui lui insufflent ses élans musicaux. Prenons le cas de Capri et son Krautrock électronique, esquissant des clair-obscurs synthétiques et denses le long d’un morceau instrumental une fois de plus très cinématographique et inébriant. D’autre part, Neptune déverse un Post-Kraut hallucinogène sous des bribes de voix qui semblent empruntées aux archives de l’INA, et dresse un manifeste d’une jeunesse qui s’emmerde profondément et n’attend que la libération du samedi soir. Ces samples mettent aussi en exergue, non pas un conflit de générations, mais plutôt l’incompréhension des parents face à cette génération qui danse et fait la fête pour s’enfuir de son quotidien morose.
Chamade vient clore le disque avec des effluves amples et brumeux d’un Post-Punk lunaire (entendez par-là : prendre le soleil en pleine nuit au travers les rayons de la lune). La fête se termine sur les chants ivres d’une fin de soirée, la musique du groupe s’échappant comme dans la bulle d’un songe.
Les membres de Baston continuent d’explorer les autoroutes sinueuses d’une musique hypnotique et algide. Piochant dans l’héritage du Post-Rock, de la Coldwave et du Krautrock, ils ne tombent à aucun moment dans l’exercice de style. Au contraire, ils viennent enrichir ces influences d’extravagances New-Wave et Électroniques, pour sans cesse affiner ce style qui est bel et bien le leur. Ravageur, dansant, hypnotisant, sombre, La Martyre est un album intense et profond, qui installe encore un peu plus Baston dans les merveilles d’Howlin’ Banana Records.