Ça y est, il s’est écoulé 30 ans depuis la sortie de l’excellent Dookie, premier album (officiel) du plus gros groupe de Pop-Punk que la terre ait connu. 30 ans, c’est une (très) longue existence pour un groupe de Punk, aussi Pop soit-il. Alors que leurs comparses canadiens de Sum41 annoncent leurs séparation après 28 ans d’activité – ce qui est déjà pas mal – le trio californien a lui sorti son 14e album studio, intitulé SAVIORS.
On ne peut pas nier que ces dix dernières années ont vu Green Day ramer un peu pour continuer de galvaniser son public, et ont plutôt échoué à y attirer de nouvelles personnes. ¡Uno!, ¡Dos! et ¡Tré!, tous trois sortis en 2012, avaient pourtant eu le mérite d’essayer de sortir des sentiers battus, avec des sonorités, rythmes et inspirations plus vastes. Cependant, ils n’ont pas connu le succès escompté et sont plutôt oubliables, avec le recul. Il faut dire que succéder à American Idiot (2004) et 21st Century Breakdown (2009), leurs chefs-d’œuvre incontestés (et incontestables) n’était pas une mince affaire.
S’en sont suivis Revolution Radio (2016) et Father of All Motherfuckers (2020) qui ont poussé à croire plus d’un que le groupe été fini, le dernier en date frôlant même une attitude ‘boomer’ qui n’a sans doute pas aidé les nouvelles générations à s’intéresser à ce groupe un peu vieillissant, alors même que, doucement, les sonorités rock commençaient peu à peu à refaire surface un peu partout.
Vient alors SAVIORS. Certes moins audacieux que leurs deux plus gros succès, mais moins prise de tête aussi. On fait face à une sorte de retour aux sources, ou plus précisément un retour à ce qui a pu faire leur(s) succès, la recette donc. Une recette est ce qu’elle est, les musicologues auto-proclamés et autres critiques élitistes tendent à la renier et à la détester à priori, ce qu’on peut comprendre car parfois l’artiste lui-même semble se lasser de toujours faire la même popote, en oublie les épices, et alors le tout devient réellement insipide. Ce n’est pas tout de connaître la recette, encore faut-il savoir la réaliser, et la réaliser avec autant d’amour que les premières fois. Force est de constater qu’avec SAVIORS, Green Day y est au moins parvenu, et semble avoir remit la main sur ces quelques épices qui nous avaient tant manquées sur leurs deux derniers opus.
Bon, sortons de cette affreuse métaphore culinaire (une recette est une recette…) et entrons dans le vif du sujet. Aussi étonnant que cela puisse paraître, SAVIORS apparaît réellement frais dès la première écoute. Les textes d’abord, ont retrouvé cette ironie incisive et ombrageuse. Il y a à nouveau cette critique mordante des États-Unis d’Amérique, qui toutefois semble un peu plus détachée qu’à l’ère d’American Idiot. Il faut dire que continuer d’observer, vingt ans plus tard, les mêmes absurdités politiques et citoyennes d’une nation qui est la nôtre (la leur, entendons-nous bien) doit forcer ce détachement.
Quoi qu’il en soit, Billie Joe Armstrong n’a rien perdu de sa plume acerbe et nonchalante, il a juste prit un peu plus de recul. La déchéance du rêve américain (The American Dream Is Killing Me), l’idio(cra)tie (Look Ma, No Brains!), la tolérance (Bobby Sox), l’amour (au sens large) et l’adelphité (Goodnight Adeline, Suzie Chapstick, Father to a Son), la dépendance (avec la très personnelle et touchante Dilemma), l’absurdité de notre époque (Coma City, Strange Days Are Here to Stay, Living in the ‘20s) font encore partie des thèmes abordés par ce dernier.
Le dosage entre textes aux sujets un peu sombres et instrumentations purement électrisantes est toutefois toujours aussi bien maîtrisé, le groupe ne fait toujours pas dans le pathos et c’est tant mieux. Saviors est d’ailleurs galvanisante, pousse à l’action et permet l’espoir, dans la plus pure tradition Pop-Punk. Enfin, on peut ressentir une petite part de nostalgie, bien amenée, avec notamment 1981 qui fait partie des très bonnes surprises de ce nouveau disque.
Il faut noter aussi que l’énergie du groupe est toujours bien présente. On se surprend en effet à battre le rythme des doigts, bouger la tête voire même taper du pied sur certains titres. SAVIORS est d’un Pop-Punk des plus efficaces, c’est indéniable. One Eyed Bastard est un banger absolu qui s’écoute en boucle, inlassablement, au même titre que l’éponyme Saviors. La très solaire 1981 fait incroyablement plaisir à écouter. On retrouve de surcroît des accès Skate-Punk et Surf-Punk, timidement dissimulés derrière des titres invariablement écrits au format radio. L’efficacité des titres, de leur composition, de leurs arrangements et de leur écriture est clairement incontestable, voire formelle, et c’est sans doute ici que le bât blesse.
A vrai dire, on peut de fait déplorer un léger manque de prise de risque sur ce disque. Par moment, il en émane un fort sentiment de « déjà entendu », et ce dans certaines mélodies quelque peu recyclées ou dans certains moves qui deviennent un peu (trop) redondants. La production est très lissée et tout est vraiment, vraiment carré. Alors oui, évidemment que Green Day est depuis un moment déjà plus Pop que Punk, et ils ne s’en cachent pas, comme tend à le prouver la très chouette Corvette Summer. Il n’empêche que la grande majorité des titres de ce disque sont clairement taillés pour des lives exaltants et mémorables.
Cela dit, il serait stupide, après trente années de carrière et 14 albums d’espérer un quelconque vrai revirement (d’autant plus que leurs rares tentatives ont quand même finies dans le mur). On parle d’une grosse machine aux 75 millions d’albums vendus dans le monde, il faut savoir s’assurer de rester à flot parfois. Après tout, on a aimé Green Day avec cette recette, ces sonorités, ces rythmes et ces moves justement.
Avec SAVIORS, le saut est moins périlleux qu’avec American Idiot, c’est certain, et on peut le dire. Alors que le groupe été en perte de vitesse entre 1997 et 2000, avec Nimrod et le hasardeux Warning, le trio a su se montrer brillant dans l’écriture d’un opéra-punk mythique, et quelques prises de risque avec par exemple l’écriture de titres plus complexes, comme Jesus of Suburbia par exemple, ils semblent avoir renié toute envie de recommencer l’expérience, et c’est comme ça. Et en même temps, n’est-ce pas aussi son unicité qui fait un chef-d’œuvre ? Si le groupe avait tenté un fac-similé d’American Idiot, le tollé aurait sans doute été implacable.
Alors oui, c’est sans doute moins incroyable que ce qui a pu être fait par le passé, mais il n’empêche que c’est loin d’être mauvais, c’est même vraiment bon si on se permet un tant soit peu d’être honnête avec soi-même. Dans tous les cas, cela aura eu le mérite de nous donner une envie irrésistible de retourner fouiner dans leur discographie, et par là même, de nourrir sa mélancolie d’un Pop-Punk irradiant qui, disons-le, donne irrémédiablement envie de remonter sur sa planche et d’aller descendre des cannettes avec ses potes de lycée.
Que ça plaise ou non, Green Day montre ici un talent manifeste quant à l’efficacité probante de leur écriture. De la Pop-Pop-Punk peut-être, mais c’est de la bonne, ça envoie bien. Le retour à un mood plus nineties, les échos à Dookie ou Amnesiac donnent le smile et la pêche. De très bonnes surprises se trouvent sur ce disque, et on se surprendra à chantonner ses mélodies dès la première écoute terminée. Qui plus est, les thèmes restent connectés à la réalité, l’actualité, et sont importants, ce qui reste primordial pour un groupe de Punk. Seul l’avenir pourra nous confirmer si le pari est réussi pour eux, mais quoi qu’il en soit, ça fait du bien de les retrouver plus en forme. On lève notre verre aux rageux, et sur ce, on vous laisse avec le disque.