Une nouvelle pépite est sortie il y a peu sur Matador Records. Il s’agit du premier album du trio Horsegirl, nommé Versions Of Modern Performance. Originaires de Chicago, les membres du groupe ont réussi à tracer leur propre voie au travers d’influences presque toutes issues des années 90. Tentative plutôt réussie de choper en route ce qui fait la quintessence du Rock de cette période qu’elles aiment tant, afin de nous renvoyer tout ça avec une nonchalance et une verve ni simulée, ni surjouée.
Horsegirl, c’est Nora Cheng, Penelope Lowenstein et Gigi Reece. Trois filles à peine entrées dans la vingtaine, et qui pourtant semblent avoir passé l’adolescence entre les sorties de Confusion Is Sex de Sonic Youth et Gish des Smashing Pumpkins. Sans tomber dans l’exercice de style, elles proposent une musique électrique incisive à la sauce Sonic Youth, qui se vaporise parfois en nuées shoegaze. On ne cite pas Sonic Youth innocemment, elles se décrivent elles-mêmes comme les filles spirituelles de Kim Gordon. Mais surtout, on retrouve chez Horsegirl cette faculté commune à noyer leurs accès pop sous des dissonances et expérimentations NoWave, comme pour reprendre le flambeau au groupe qui a un jour cherché à détruire la musique Pop, la défigurant sous les assauts répétés de larsens, dissonances et autres rythmes désynchronisés.
Tout d’abord, il faut dire que Horsegirl a une force mélodique assez incroyable. Anti-glory nous le prouve d’entrée de jeu. Les mélodies de la guitare, des chœurs et du chant s’assemblent à merveille et créent ainsi une tornade d’émotions qui emporte tout sur son passage. L’aspect répétitif n’entrave en rien la beauté des notes, qui frappent où il faut. Si bien que Beautiful Song et sa sérénade presque enfantine répétée encore et encore arrive quand même à ne pas rendre fou l’auditeur. Au contraire, il en résulte un ensorcellement complet, accentué par un mur de guitare noyé de Fuzz à l’effet inébriant, formule magique que l’on retrouvera sur la plupart des morceaux de ce disque. Malgré cela, Horsegirl ne s’enferme pas dans une seule et même recette. Si bien que Dirtbag Transformation pose une mélodie imparable sur une instru qui frôle le Post-Grunge de groupes comme Valentiine.
De l’autre côté, ces accès Pop sont volontairement mis à mal par ce penchant Noise qui parfois même vient flirter avec l’Expérimental. On pense notamment à Option 8, musique la plus explosive du disque. Le trio s’y déchaîne, pose un mur de son dense, une énergie tendue sur un air écrasant. Quant à The Fall of Horsegirl, c’est une pièce magistrale, mystérieuse et sans réelle structure. L’espace est rempli de larsens éthérés et d’interventions bruitistes qui se perdent dans les hautes couches de l’atmosphère. Par la suite, Homage to Birdnoculars et sa guitare lancinante se montre enivrante à souhait. Les voix s’y entremêlent sur un drone cafardeux, avant qu’une nouvelle éruption mélodique exaltante ne vienne le contrecarrer. Live and Ski s’échappe dans un fracas sourd et dissonant, tempête venant déchirer le ciel de ce morceau, qui débutait pourtant comme le plus solaire du disque.
Par ailleurs, trois interludes divisent l’album. Elles sont essentiellement des divagations noisy énigmatiques, voire fantomatiques. On sent que ces interludes permettent au trio une liberté sonore absolue. Entre la guitare plaintive de Bog Bog, l’accalmie Ambiant de Electrolocation et le piano tout droit sorti d’un rêve vaporeux de The Guitar is Dead (notez la pointe d’humour), le groupe se permet des divagations hors-champs tout à fait plaisantes.
Pourtant, Versions of Modern Performance reste accessible et très grisant. Déjà, il faut souligner que le trio s’est amusé à disséminer sur le disque une forme d’humour, bien à elles certes, mais tout de même efficace, que ce soit dans certains textes abscons de prime-abord ou dans certains titres de chansons. Aussi, le disque est réellement bien équilibré, dans sa construction comme dans le ratio entre déflagrations stridentes et hymnes Pop imparables. A cet égard, World for Pots and Pans se révèle très efficace. Il en émane une candeur touchante, ainsi qu’une violence sous-jacente, qui rendent ce morceau aussi émouvant que galvanisant. Billy est quant à elle très entraînante, malgré son chant psalmodié. Elle s’emporte dans un déchirement sonore haletant, s’emballe, baroud d’honneur qui viendra signer la fin de l’album.
Dans l’ensemble, Horsegirl n’est pas là pour réinventer la roue, mais bel et bien pour nous coller en pleine gueule un revival abrasif de Rock Alternatif aux accents Noise et Expérimentaux. Empruntant autant à Sonic Youth qu’à My Bloody Valentine, elles nous offrent un revival pleinement maîtrisé. D’un autre côté, il semble étrange de parler de revival, alors qu’objectivement, ce disque aurait réellement pu sortir au début des années 90. Preuve en est que John Agnello (Sonic Youth, Dinosaur Jr. …) est aux manettes et que Lee Ranaldo joue sur Billy et Beautiful Song. C’est un vrai bond dans le temps, qui ose aller à contre-courant de ce qui se passe actuellement sur la scène musicale, qui tend plutôt à aller de l’avant, ou tout du moins qui essaye de faire du neuf avec du vieux. Pas de ça ici, et Horsegirl assume pleinement de porter ce manifeste.
La nonchalance exacerbée nous replonge directement dans cette époque où être désabusé était un bouclier face à l’absurdité parfois clownesque d’une société qui fait comme si rien n’était en train de se péter la gueule autour d’elle. Il faut parfois savoir s’isoler, se mettre à l’abri de ce qui nous rend malade, et en ce sens Versions of Modern Performance est assurément un disque à avoir dans sa tour d’ivoire. Sous l’apparente lypémanie du disque se cache en fait une fougue bouillonnante qui s’adresse à qui veut bien s’y plonger. Avec Versions of Modern Performance, Horsegirl se sont placées à un croisement. Il leur faudra choisir leur voie si elles veulent perdurer. On verra alors si elles osent se montrer plus subversives, afin de peut-être en effet tisser une discographie vraiment intéressante, ou si elles choisissent de tomber dans un Rock Shoegaze dont la scène est déjà bien saturée.