Ian Caulfield, illusionniste mélancolique

C’est maintenant armé d’un piano et d’une boite à rythme que Ian Caulfield, l’ancien batteur de Rouge Congo nous livre enfin son très attendu premier EP, nommé La Boule au Ventre.

Ce qui frappe d’abord, c’est cette faculté à tromper nos préjugés, déconstruire l’évidence. En effet, l’artiste rémois -qui a emprunté la moitié de son pseudonyme au protagoniste de L’Attrape-Coeurs (J.D. Salinger)- nous livre ici 6 chansons finalement écrites en français et, se jouant des apparences, nous emmène plutôt vers les littoraux mélancoliques d’un Souchon, que vers les murs de guitares saturées de l’alternative US des années 90, dont il se réclame tout de même et avec laquelle, d’une certaine manière, il partage les désillusions douces-amères propres à ce courant. C’est de ces déceptions et de ces rêveries enfantines refusant de s’éteindre que sont nourris les 6 morceaux de cet EP.

« Je fais des chansons quand j’ai des émotions. Souvent c’est de la mélancolie. » C’est ainsi que se présente Ian Caulfield sur sa page Facebook, et il est vrai que beaucoup de mélancolie émane de ce disque.

D’une voix parfois timide, parfois vindicative, Ian pose les questions qu’un enfant poserait à l’adulte qu’il est devenu, ou deviendra, dans un dialogue intérieur teinté d’onirisme et d’innocence. Il cherche des réponses et nous amène à les chercher avec lui. Ses textes sont dotés d’une dimension universelle et interprétés avec une sincérité déconcertante. Parolier talentueux, il nous prouve tout au long de son EP qu’il sait insuffler un fond poétique à une forme moderne et efficace d’écriture. Sa force réside aussi beaucoup dans sa faculté à déguiser des images en mots, son œuvre possède une réelle dimension cinématographique, elle nous emmène dans un film qu’aurait pu réaliser Gus Van Sant, et on y entre volontiers dès la piste d’intro, où des couches de synthés nineties posent le cadre et servent d’ouverture à la première chanson.

Pas grand chose est une ode à la jeunesse et à l’imaginaire, sous la forme d’une Pop très douce et effectivement, un poil mélancolique. On s’attache fort à ce petit garçon un peu perdu dans ce vaste monde dont semble nous parler Ian. On retrouve des chœurs d’enfants qui réchauffent un peu le cœur sur une mélodie en béton, ainsi qu’un petit côté Jean-Louis Aubert dans la manière de chanter.

Le second morceau, Tu me manques, se rattache encore à l’enfance, mais cette fois avec une saveur légèrement acide. A la manière d’un arlequin, des questions qui brûlent la langue, qui doivent sortir. Pour cela Ian Caulfield s’arme d’un ton plus vindicatif, clame tout haut ses interrogations sur une boite à rythme Hip-Hop, qui lui permet un chant plus rythmé, plus syncopé. Le refrain, lui, reste en tête comme cette référence à L’Attrape-Cœurs qui, nous aussi depuis notre première lecture du roman nous taraude : où vont donc les canards de Central Park lorsque le lac gèle en hiver ?

Arrive ensuite la musique qui pour nous a tout d’un tube, sans les mauvais côtés de ce que l’on a pris l’habitude d’aujourd’hui appeler ainsi. Ne te retourne pas est un appel à l’évasion qui s’écoute en boucle ! Se rapprochant cette fois d’un chant à la sauce Nekfeu, sans tomber dans le style, Ian nous expose un trop plein de désillusions face d’un monde qu’il ne comprend pas –ou plus- et duquel émane le terrible sentiment d’agonie du rêve et de la poésie. Il nous montre ici toute l’ampleur de son talent de parolier dans une recherche d’absolu à laquelle on se sent convié.

Après nous avoir invités à la révolte adolescente et à la fuite vers l’absolu, nous voici invités à rêver les yeux ouverts avec Plein d’imagination. On voudrait tout arrêter pendant un instant pour lever les yeux au ciel et rêvasser paisiblement, puis danser et se laisser aller dans un abandon de soi libérateur. Complètement Electro-Pop, cette musique pousse à son paroxysme la dimension cinématographique qui émane de cet EP. Un clip mental autosuggéré surgit dans nos esprits aussi simplement que les nerfs se relâchent sur ce refrain jubilatoire.

Puis il y a cette chanson éponyme, La boule au ventre, qui vient clore le disque et qui résonne comme un cliffhanger. On est face à une réécriture, ou plutôt une appropriation réussie de l’histoire d’amour entre Holden Caulfield et Jane Gallagher (on vous laisse deviner de quel roman génial cette influence est tirée). D’une instrumentation d’abord dépouillée, la musique évolue jusqu’à atteindre un climax musical sur la dernière minute, nous obligeant à en redemander, nous laissant un peu désappointés, comme lorsque l’on commence à nous dire adultes, alors que l’on voudrait plonger encore et encore dans cet esprit si fertile qu’est celui de l’enfant.

La productions très soignée vient couronner le tout (on pourra noter la participation d’Alexis Delong (Inüits), Benjamin Lebeau (The Shoes) ou encore Apollo Noir). C’est un EP formidable doté d’une incroyable sensibilité Pop mêlée à des beats Hip-Hop (quand ils ne flirtent pas avec l’Électro), des guitares discrètes et des synthés délicats, le tout guidé par un sens mélodique aiguisé.

Comme un voyage aux côtés de Peter Pan, cet EP appelle à la rêverie, à l’innocence mais pas à l’insouciance. Ian Caulfield, très touchant, provoque l’empathie avec l’exploit de ne pas tomber dans le pathos. Il nous tarde maintenant de pouvoir le revoir sur scène, ce qui pourra se faire, entre autres, le Samedi 20 Novembre au Chabada d’Angers, aux côtés de Videoclub.

Vous pouvez retrouver l’ADN musical de Ian Caulfield ici et plonger plus en profondeur dans son univers en le suivant sur Instagram et Facebook.