C’est dans les décombres de l’ouragan Helene qu’est né Precipice, le nouvel album d’Indigo de Souza. Sorti le 25 juillet, le disque fait suite au très remarqué All of This Will End (2023). Porté par des sonorités plus pop, l’album explore la peur du vide et de l’inconnu. Et ce sans transiger sur l’émotion brute qui caractérise l’écriture de l’artiste.

L’appel du vide
Vous avez à coup sûr déjà vécu cette situation. Perché à votre fenêtre, ou en haut d’une falaise, vous frissonnez à l’idée que vous pourriez vous élancer. C’est cette pulsion passagère face à une situation dangereuse qu’on appelle communément l’« appel du vide ». Si elle peut faire peur, elle s’apparente en réalité à un réflexe de protection face au risque.
Dans Precipice, Indigo de Souza explore à sa façon cette sensation paradoxale. Entre perte de repères, tentation de se jeter dans l’inconnu et instinct de survie. « Je me sens constamment au bord du précipice. Face à quelque chose d’horrible ou de magnifique, quelque chose qui changera ma vie pour le meilleur ou pour le pire », explique de Souza.
En septembre 2024, l’ouragan Helene a dévasté la côte Est des Etats-Unis. La maison de l’artiste originaire de Caroline du Nord a été inondée. Cela a provoqué un bouleversement profond chez de Souza, obligée de (se) reconstruire, sur un plan matériel et émotionnel.
Cet événement a largement inspiré les thèmes de ce nouvel opus, même s’il n’y fait que peu référence. Si ce n’est dans Be My Love, qui ouvre l’album. « I am not the things I have in my house ». (Tr : « Je ne suis pas les choses que j’ai dans ma maison »), affirme-t-elle, ouvrant un chemin vers la reconstruction. « This is not the end (…) It can’t be ». (Tr : « Ce n’est pas la fin (…) ça ne peut pas l’être ») insiste-t-elle, montrant à la fois son vertige et sa volonté de s’en sortir.

Une pop alternative et audacieuse
Pour ce disque, Indigo de Souza s’est entourée du producteur Elliott Kozel, ayant notamment travaillé avec SZA, Yves Tumor et Finneas. Son passé punk rock et son expérience récente auprès d’artistes pop en ont fait un collaborateur de choix pour l’artiste, qui cherchait un son plus pop et dansant pour son album à venir.
Le résultat : une pop audacieuse, aux influences multiples et sortant des sentiers battus. L’album débute et se conclut par des morceaux expérimentaux et planants. Dans les neuf autres titres, on passe des synthés de l’énergique Crying Over Nothing, à la douceur de Crush et Clean it up. On se laisse surprendre par la montée en puissance de titres comme Not Afraid et son savant mélange d’éléments électroniques et de percussions rock. Ou par l’arrangement épuré et presque country d’Heartbreaker. En fil rouge, la voix d’Indigo de Souza et son écriture, dont la sensibilité n’est en rien altérée par cette trajectoire pop.
Energie pop, émotion brute
Indigo de Souza décrit ainsi la direction qu’elle a souhaité donner à cet album. « Des chansons pop pleines de sens et d’émotion, des chansons pop dont les paroles puisent dans l’humanité à l’état brut ». Et on peut dire que le pari est réussi. Si bien qu’une écoute distraite peut parfois donner l’impression d’une fausse légèreté. C’est le cas pour Crying Over Nothing, sur lequel on balance mécaniquement la tête en rythme, avant de réaliser qu’elle parle des ruptures et des chagrins dont on ne se remet jamais.
De même pour Heartthrob qui, derrière son énergie rock et son clip coloré, aborde les abus dont elle a été victime plus jeune et dénonce les prédateurs.

Si elle parvient à nous faire danser sur les thèmes les plus sombres, c’est que l’artiste trouve dans la musique un exutoire. Mettre des mots sur ses expériences difficiles l’aide à les traverser et les comprendre. Mais aussi à les transcender en reprenant le contrôle. « I really put my back into it » (Tr : « Je me suis vraiment donnée à fond »), répète-t-elle dans le refrain de Heartthrob. Elle montre ainsi la force vitale qu’elle est capable de déployer pour surmonter les épreuves les plus destructrices.
Apprivoiser l’inconnu
Au fil de son exploration de ce fameux « appel du vide », Indigo de Souza apprend à accepter l’inconnu, qui fait partie intégrante de la vie. Elle se défait de ses peurs existentielles avec Not Afraid et son refrain libérateur.
Be Like The Water (dont on vous parlait ici du clip), est une véritable ode à la liberté de vivre selon ses propres règles. Comme l’eau, on peut changer de direction sans avoir à s’expliquer, suivre sa voie sans avoir à rendre de compte. Mais aussi dépasser les obstacles. Face aux épreuves, elle est capable de se reconstruire, de s’adapter, d’évoluer. Libérée de ses peurs, elle peut avancer à flanc de falaise, contempler l’inconnu sans avoir peur de se laisser aspirer par le vide.
Les onze titres de Precipice nous plongent dans l’univers coloré et souvent paradoxal d’Indigo de Souza. Sous des airs pop-rock enjoués, elle aborde des sujets douloureusement personnels. Mais en chemin, et grâce à sa musique qui l’ancre, elle se défait de son vertige face à l’inconnu et s’élance. Accompagnée de son producteur Elliott Kozel, elle offre ici une pop ambitieuse, surprenante et pleine d’émotions. Et tout cela est suffisamment rare pour être souligné. Si vous ne l’avez pas encore écouté, c’est le moment de vous jeter à l’eau. Après tout, vous ne risquez rien et l’inconnu a parfois du bon !