On a trouvé un remède à la déprime saisonnière. Son nom ? Patterns in Repeat, le nouvel album de Laura Marling dont la folk délicate réchauffe et illumine nos journées depuis sa sortie, le 25 octobre. L’artiste anglaise explore les sensations nées avec l’arrivée de sa fille et livre un témoignage personnel et touchant sur l’amour filial.
DE L’IDÉE AU VÉCU
Si l’idée de maternité avait inspiré son précédent album, Song for our Daughter (2020), celle-ci est devenue très réelle pour Laura Marling, qui a accueilli son premier enfant début 2023. De ce bouleversement est né Patterns in Repeat, un recueil d’une intense douceur, enregistré dans le salon de l’artiste aux côtés de sa fille. Les mélodies subtiles et la poésie de Marling se déposent délicatement sur des arrangements débarrassés de tout artifice. Accompagnée d’une guitare, d’un quatuor de cordes et d’un mellotron, elle raconte l’amour maternel et les questionnements qu’il impose, sans jamais tomber dans les poncifs.
Il serait toutefois réducteur de faire de Patterns in Repeat un album sur la maternité. Ce lien unique et le nouveau rôle qu’il implique sont le point de départ d’une réflexion sur la cyclicité du temps et l’ensemble des relations qui nous construisent. En filigrane, elle nous enjoint à ralentir et à nous concentrer sur l’essentiel.
À chaque instant, on est désarmé par la justesse des images. On se laisse bercer par la voix de l’artiste et on se demande comment d’un salon londonien peut émaner autant de lumière.
LE TEMPS DE L’ÉMERVEILLEMENT
Child of mine marque le retour à l’écriture de l’autrice-compositrice. Comme pour symboliser cette transition, elle s’ouvre sur l’enregistrement d’une scène domestique. Sa voix, rieuse, celles de son compagnon et de sa fille nous placent d’emblée dans une sorte de cocon. On y restera confortablement lové jusqu’à la fin de l’album.
Dans cette chanson adressée à sa fille, Laura Marling dépeint, à travers des instants du quotidien, le bonheur d’être mère. Elle évoque déjà le passage des années et le lâcher-prise qui doit l’accompagner. Mais elle fait la promesse à son enfant de veiller sur elle et de prendre le temps. « « Long nights, fast years, » so they say / Time won’t ever feel the same / And I don’t want to miss it”. » (Trad : « « Longues nuits, courtes années », disent-ils / Le temps ne sera plus jamais pareil / Et je ne veux pas rater ça »).
Dans Patterns, la parentalité est envisagée comme un point dans un cycle infini. En devenant à son tour parent, on réalise qu’on s’inscrit dans une histoire qui nous dépasse. Dont on ne connaîtra ni le début ni la fin, et dont on est pourtant un maillon essentiel. Mais cette répétition éternelle (qui donne son nom à l’album) a un caractère rassurant et n’empêche aucunement l’émerveillement au commencement d’un nouveau cycle. Elle avoue même manquer de mots pour décrire la joie que procure l’arrivée d’un enfant. « You’ll try to tell them, but you’re lost for words / ‘Cause it’s so absurd, how good ». (Trad : « Vous essaierez de leur dire, mais vous ne trouverez pas les mots / Car c’est absurde à quel point c’est bon »).
LES LIENS QUI NOUS DÉFINISSENT
Les trois titres suivants, plus cryptiques, permettent à l’artiste de se décentrer de son rôle de mère. Elle y explore les relations qui la lient aux autres et à elle-même.
Your Girl parle d’un amour passé, pour lequel la narratrice nourrit un mélange d’attachement et d’amertume. « I’ll always be your girl » répète-t-elle dans le refrain, alors que la relation semble terminée depuis longtemps. Si cette chanson apparaît de prime abord comme une tentative illusoire d’entretenir une flamme éteinte, elle prend une autre dimension dans le contexte de l’album.
Il peut aussi s’agir d’une volonté de ne pas oublier une histoire. D’un refus d’effacer un passé commun et donc une partie de son identité. « If you could call me by my old name / Just one more time, remind me from where it was I came ». (Trad : « Si tu pouvais m’appeler par mon ancien nom / Juste une dernière fois, rappelle-moi d’où est-ce que je viens »).
Dans No One’s Gonna Love You Like I Can, des situations triviales deviennent uniques à travers le prisme amoureux. Quelque part, qu’importe que tout se répète à l’infini. C’est l’amour qui donne du sens et rend le quotidien exceptionnel. Dans le clip, elle filme des instants en famille et son propre reflet dans le miroir, laissant alors supposer que cette tendre déclaration lui est en partie destinée.
The Shadows est le titre le plus sombre de l’album. Il semble adressé à une partie obscure d’elle-même, qui la quitte sans crier gare. Elle la décrit comme un autel, un refuge, tout en avouant qu’elle est lâche et destructrice. On peut y voir la difficulté d’abandonner une partie de soi, de peur de se perdre, qu’on retrouve dans Your girl.
RACONTER LE TEMPS QUI PASSE
L’Interlude (Time Passages), instrumental et progressif, voit se répéter un motif de mellotron. Il s’étoffe et s’enrichit de cordes qui vont et viennent. Cette répétition s’apparente à une allégorie musicale du temps qui passe. Avec les années on grandit, on se transforme, on s’enrichit de nouvelles expériences, mais on reste fondamentalement les mêmes. Et la fin est un nouveau commencement – ce que suggèrent les premières et dernières mesures qui sont identiques.
Dans Caroline et Looking Back, Laura Marling renoue avec ses talents de conteuse et se glisse dans la peau de personnages.
L’un est bousculé par l’irruption d’un amour de jeunesse. Il fait remonter le souvenir d’une chanson écrite pour elle, dont il affirme avoir oublié une partie des paroles. « It went la la la la la la la la la / La la, something something, Caroline ». Mais il est bouleversé par cet appel, qui ravive toute l’intensité d’une histoire qu’il pensait derrière lui.
L’autre, âgé et contraint à l’immobilité, passe son temps plongé dans sa mémoire. Il se remémore son amour d’antan et y trouve du réconfort.
Avec moins de mélancolie que Your Girl, les deux morceaux évoquent ces relations que le temps n’efface jamais complètement car on les porte en soi. Looking Back, écrit dans les années 70 par Charlie Marling, père de la chanteuse, trouve joliment sa place dans cet album, dont la filiation et le vieillissement sont des thèmes centraux.
RETOUR AU COMMENCEMENT
Alors que le disque touche à sa fin, Marling revient au commencement : sa fille. Elle lui dédie une berceuse, sobrement intitulée Lullaby. Celle-ci s’ouvre sur la voix de l’enfant, que viennent envelopper des chœurs fredonnés aux sonorités célestes. La voix de l’artiste, douce, aérienne, d’une fragilité assumée, nous plonge dans l’intimité d’un moment privilégié entre mère et fille. Comme annoncé dans Child of Mine, elle cherche à la protéger jusque dans son sommeil – même si c’est impossible.
La version instrumentale de Lullaby, qui clôt l’album, touche par sa simplicité. Comme si la parole était finalement superflue, et les mots insuffisants pour exprimer l’attachement maternel.
Patterns in Repeat, chanson éponyme, parle de la décision, en tant que parent, de mettre de côté d’anciennes priorités pour se vouer à son enfant. Symboliquement, elle a été écrite en collaboration avec son compagnon, George Jephson. Dans une interview du média NPR, Laura Marling raconte la genèse du morceau, ainsi que le réconfort et la fierté que lui procure cette idée de renoncement. La ligne mélodique du refrain rappelle très nettement celle de Patterns.
Le bridge, dont les mots sont les derniers de l’album, s’adresse à sa fille. La voix de l’artiste se mêle aux cordes pour assurer à son enfant que son arrivée vaut plus que tout ce qu’elle a sacrifié. « I want you to know that I gave it up willingly / Nothing real was lost in the bringing of you to me ». (Trad. : « Je veux que tu saches que j’y ai renoncé volontiers / Rien de vrai n’a été perdu en te faisant venir à moi »).
UN TÉMOIGNAGE INTIME ET PUISSANT
Laura Marling revient à la musique avec un projet profondément personnel, où la richesse des textes côtoie la sobriété des arrangements. Pour ce faire, elle s’entoure d’autres artistes de talent. Les producteurs Dom Monks (Big Thief, Flyte…) et Rob Moose (Paul Simon, Bon Iver…), ainsi que Buck Meek (Big Thief) qui prête sa voix à Child of Mine.
Le temps d’un album, elle nous invite dans son quotidien et nous embarque dans ses pensées. Si elle s’attaque à des thèmes intemporels, elle le fait avec une sincérité rafraîchissante et la finesse qui caractérise son écriture.
De morceau en morceau, elle dessine l’arbre généalogique et relationnel qui l’ancre et la transcende. Sous la plume de l’artiste, la maternité est étudiée dans toute la complexité des sensations qu’elle fait naître. À travers sa voix, elle devient une évidence, qui balaye toutes les certitudes préalables.
Une chose reste sûre : Patterns in repeat tournera en boucle dans nos oreilles cet automne.