Molchat Doma dégaine Belaya Polosa

Quatre années ont passé depuis l’album Monument (Монумент) paru chez Sacred Bones Records. Depuis leur reconnaissance TikTokesque avec le single Sundo, les Biélorusses de Molchat Doma reviennent sur les devants de la scène avec un quatrième album finalisé aux Etats-Unis, du côté de Los Angeles : Belaya Polosa. La grande question que soulève cette migration : la froideur légendaire de l’Est s’est-elle occidentalisée ? Spoil : la réponse n’est pas aussi tranchée.

L’entrée en matière Ty Zhe Ne Znaesh Kto Ya nous confirme qu’ils ont insufflé des notes dansantes. On vous le disait lors de notre retour sur le clip, les Biélorusses se sont acoquinés avec les sonorités new wave d’un certain groupe anglais. Ce groupe qui répond au nom de Depeche Mode. Qu’on se le dise, le chanteur Egor Shkutko oeuvre avec les textures d’un Dave Gahan. Et pour sûr c’est loin de nous déplaire. On accroche.

Kolesom s’inscrit dans le prolongement futuriste et bruitiste de sa prédécesseuse, les claviers prennent des sonorités de machines. Alors que l’on pourrait aisément imaginer des tours encombrées de câbles multicolores en tout genre, tout est aujourd’hui posé sur des claviers. Il est plus difficile d’esquisser des pas de danse, néanmoins, s’installe quelque chose de plus cérébral.

Il nous avait surpris quand il est arrivé : Son. Le clip s’inscrivait dans un univers plus cinématographique laissant une grande place au mystère pendant que musicalement, le groupe s’orientait dans un paysage plus proche de celui d’Interpol. C’est de ce point de départ que nous nous sommes interrogés sur la potentielle occidentalisation de leur musique. Ce qui n’amoindrit pas ses qualités. Le trio prouve ainsi qu’il peut prendre une nouvelle direction sans pour autant perdre son identité. Les claviers sont plus discrets, la guitare vient prendre la relève. Et la basse nous apporte la mélancolie balte que l’on affectionne tant.

On parlait quelques lignes plus haut de la bande de Gahan. C’est encore plus flagrant sur ce titre qui donne son nom à l’album : Belaya Polosa. Qu’on soit bien clairs et honnêtes : l’époque Violator n’a jamais été une mauvaise idée. Les Biélorusses surfent donc sur cette vague bruitiste et ça fait son bel effet. On naviguerait presque sur des sonorités dignes de Massive Attack. Et finalement, l’instrumental domine sur le morceau.

Tiens, il suffisait de mentionner « instrumental » et le groupe s’exécute. A mi-parcours, Molchat Doma fait une pause. Des bruits de pas, un piano s’ouvre – on entend même le bruit sec de l’abattant à l’ouverture ET à la fermeture, le tabouret s’avancer et reculer – et une machine – serait-ce un Thérémine ? – à la Tangerine Dream dialoguent sur Beznadezhnyy Waltz (Valse désespérée). Un morceau qui inspire des présences spectrales. Surprenant, inattendu et fort émotionnellement.

Chernye Tsvety recolorise l’ambiance. Comme enfermés dans un film dans un sepia graineux bien poisseux le temps de Beznadezhnyy Waltz, nous voilà propulsés dans un printemps progressif. Alors que Chernye Tsvety veut dire Fleurs noires, tout va bien. On s’éloigne du penchant bruitiste pour un morceau très lumineux. La surprise se prolonge et c’est grandiose.

Le pouvoir des années 1980 est insoupçonnable, les amis ! Vous n’êtes pas prêts pour IIII qui convoque un synthé kitschissime. On ne cache pas une certaine impatience à découvrir ce que le live réserve à ce morceau. En effet, il redynamise l’album de manière improbable. Les mots sont bien faibles pour décrire cette parenthèse. On est ici très tentés de qualifier de délirant. Mais pas au sens de folle ou qui provoquerait le rire, sa singularité. Voilà un moyen de séduire une nouvelle typologie de public – reste à découvrir laquelle -.

Les synthés de IIII s’enrayent pour faire place à Ne Vdvoem (Pas ensemble). Avec un peu d’humour, on dirait qu’on s’américanise et qu’on se trouve au fin fond d’un saloon. Mais ça ne serait pas valable pour décrire l’intégralité du morceau qui reprend le fil de la mélancolie déla(i)ssée quelques chansons auparavant.

Parfaite pour clôre une soirée, Ya Tak Ustal fera danser les plus timides. Âmes en peine, élevez-vous. Laissez les larmes diffuser la lumière de la boule à facettes au-dessus de vos têtes ! C’est un ordre étonnant mais il y a quelque chose de cet ordre-là. Permettez-moi d’exposer ici un souvenir très personnel. Cette chanson m’évoque brutalement un moment de vie. Ce moment où jeune enfant, j’ai dû patiner – oui, j’ai été patineuse artistique dans ma jeunesse – sur fond de The Christians – Words. Je n’avais absolument pas eu le choix de ma chanson. Autant vous dire que j’étais contrariée et parfaitement raide. Et ce dernier qualificatif, on me l’a bien fait remarquer. Finalement, une chanson comme Ya Tak Ustal m’aurait bien remonté le moral à ce moment-là. Déterminée à retourner sur la glace et à briser les idées. J’aurais été encore plus tendue mais la chanson aurait été à mon goût -. Cette chanson ne nous quittera pas de sitôt.

L’hiver reprend ses droits avec Zimnyaya. Un morceau de conclusion qui laisse imaginer un paysage bien enneigé dans lequel les membres de Molchat Doma s’enfonceraient pour mieux prendre la route vers la forêt. L’espoir est permis. La lumière ne vient pas seulement de la lune.

Avec Belaya Polosa, les Biélorusses de Molchat Doma repoussent les frontières d’un genre qui les a vus mûrir. Pour autant, ils ne l’ont pas abandonné, ils l’ont cultivé en allant travailler des mélodies ambitieuses. Ce qui aura pour mérite de les faire connaître sous un nouveau jour. Pendant que l’actualité de l’Europe de l’Est ne se prête pas forcément à la grande joie, le trio parvient à s’émanciper et nous remplit l’âme de belles choses. Réponse à notre problématique de départ : ils ne se sont pas entièrement occidentalisés, ils ont élargi le champ des possibles pour notre plus grand bonheur. Et comble de tout ça, ils sont en tournée par chez nous : le 29 octobre à Lille (L’Aéronef), le 31 octobre à Lyon (Le Transbordeur) et le 2 novembre à Paris (L’Olympia). Rendez-vous le 2 novembre ?

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