Real Farmer est un groupe haut en couleurs qui nous vient tout droit des Pays-Bas. Le quatuor vient de sortir son premier album, intitulé Compare What’s There, lettre d’amour Punk à qui il rend ses lettres de noblesse. Compare What’s There rayonne d’une versatilité irréfragable mais aussi d’une énergie implacable. Au fil de ses treize pistes, Real Farmer s’efforce de surprendre. Le disque ne tourne à aucun moment en rond, ne se répète jamais, bien que ses rythmes angulaires et ses mélodies infaillibles marquent ostensiblement chacun des titres, une patte avec au bout, des griffes acérées, rétractiles au besoin ou à l’envie.
Le groupe semble effeuiller les différents âges d’or du Punk, l’étoffant ci et là, ou alors le révèle dans sa presque pure tradition. De Post-Punk à Post-Hardcore, les sous-genres s’entremêlent dans le but de créer un cocktail de sonorités galvanisant et riche. On ressent aisément l’envie de ne pas se borner à des codes, l’évitement consciencieux d’une méthode spécifique d’écriture. Real Farmer a cependant évité avec brio la conception d’un album « fourre-tout », promesse d’une réelle identité artistique spontanée.
Le disque démarre donc sur The Feeding. Et quel délicieuse manière d’ouvrir les hostilités ! La batterie martèle un rythme effréné tandis qu’une guitare dopée nous assène des salves de distorsion sur un riff entêtant. Sur ce titre, Jeroen Klootsema, au chant à la verve autant qu’au verbe vindicatifs, n’est pas sans nous rappeler un Johnny Rotten qui aurait prit des cours de chant dans une vie parallèle. S’en suit Inner City, qui installe aussitôt l’idée de versatilité dont on vous parlait plus haut. Une sorte de fraîcheur se répand instantanément dans les airs. Les chœurs de Marrit Meinema, la bassiste du groupe, installent ce climat presque californien d’une Jangle Pop solaire, et sur cette instru électrisante, atteignent une fougue Riot Grrrl.
Cette dernière nous offre une ligne de basse implacable sur Waiting For, la troisième piste du disque. La guitare de Peter van der Ploeg arbore ici un timbre métallique et clair, qui laisse toute la place à cette basse furieuse. Profondément mélodique toutefois, elle confère au morceau ce petit côté Post-Hardcore extrêmement bien amené, et délectable. De petites accalmies s’interposent entre des parties clairement propices aux pogos. Tout cela forme un titre tantôt aérien, tantôt massif, une belle dynamique qui fait de Waiting For l’un des titres les plus impactant et capiteux du disque. Empty démarre ensuite comme une descente sournoise. Atterrissage nécessaire pour arriver à l’un des titres les plus lourds de l’album. On se sent écrasé par la gravité, la guitare déchire l’air, entrecoupée de riffs lézardant, tandis que Jeroen apporte au chant une belle profondeur.
Arrive ensuite la furieuse Gentrified qui en très peu de temps redonne un coup de boost au rythme cardiaque de l’auditeurice. A la batterie, Leon Harms semble effectuer un break constant et donne de ce fait un groove irrésistible au morceau. Un joyeux bordel clôt le titre et laisse le champ libre à I Can’t Run qui est certainement le morceau le plus objectivement efficace de Compare What’s There. De l’espace est cédé au chant qui assure une mélodie contagieuse, autant sur les couplets que sur les refrains.
Jusqu’ici infailliblement pléthorique sur la densité et la variété des influences et des idées explorées, le groupe choisi de faire la césure de mi-album avec un écho au premier titre. Perry Boys semble en effet repartir sur un Punk en bonne et due forme, gonflé à bloc, aux accents 70’s, mais qui cependant, cette fois-ci, s’envenime sévèrement au fil du morceau, jusqu’à atteindre des explosions dévastatrices dignes d’Idles.
Le titre suivant, Next In, ressemble à un hommage presque pas dissimulé à The Fall. Volontaire ou non, ce titre se pare d’une géométrie incroyable, et pour ainsi dire, unique dans l’album. Le texte est scandé comme une suite de mantras, un question-réponse se créé entre les voix de Marrit et Jeroen, ces derniers sont du plus bel effet, les mélodies se répètent et se répondent d’une manière délicieusement entêtante. Real Farmer continuent d’expérimenter des déstructures avec The Straightest Line qui oscille habilement entre carré et chaos, imprévisible comme l’est le disque.
La déstructuration continue de plus belle avec Consequence et ses incessantes variations de signatures rythmique, chose (très) rarement exploitée dans une musique au penchant Punk. Preuve encore une fois que le groupe s’est retrouvé en studio avec une profonde envie de suivre leurs envies et leurs instincts. Arrive ensuite Wayside, plus apaisée, plus dans les clous. Pour la première fois de l’album, et ceci d’une manière assez inexplicable, on sent que les pistes défilent et que la fin approche. Peut-être est-ce le chant plus languissant, peut-être est-ce ce sentiment d’essoufflement, comme si le groupe sa ménageait afin de reprendre des forces dans la projection d’un baroud digne de ce nom.
De manière plus terre à terre, Wayside était le titre parfait, le seul qui pouvait préparer le terrain pour l’apaisement – le seul – de l’album. Wasted Words est nébuleuse, douce. Elle touche presque à la béatitude mélancolique. Un titre comme celui-ci aurait manqué à un album aussi versatile. En fait, on peut même dire que sa simple présence surclasse encore un peu plus Compare What’s There. Le fait que le chant soit partagé entre la voix féminine et la voix masculine apporte ce petit on-ne-sait-quoi qui fonctionne merveilleusement bien. Languissant, ondoyant, le disque pourrait se clore ici. Mais ce ne serait pas assez ?
Le baroud dont on parlait plus haut arrive bel et bien. Never Enough (justement) est l’explosion finale qui se devait de clore un album comme celui-ci. Réelle conclusion, entre ombre et lumière, entre chien et loup, équilibre parfait de ce qu’on aura eu le bonheur de trouver sur ce disque. L’instru qui se dépouille peu a peu, le rythme qui s’allonge, s’alourdit, avant de regagner une fougue dévastatrice sur les dernières secondes est une conclusion qui, dans ce contexte, fait preuve de maestria.
Rares sont les disques aussi vastes. Real Farmer semble avoir choisi son chemin, celui du hors-piste. Doté d’une identité musicale certaine, le groupe se permet d’explorer les rythmes, les mélodies, les textures avec une liberté totale. La variété des paysages sonore qui en résulte est dantesque. On ne peut se lasser une seule minute de ces trois-quarts d’heure de Punk cathartique, étoffé, tantôt brûlant, tantôt glacial, pesant ou nébuleux, aussi mélodique que brutal. Compare What’s There est un excellent premier long format, très prometteur, à écouter à très haut volume sonore, ou mieux, à expérimenter en live, car il est certain que ces treize titres ont clairement la carrure pour galvaniser une salle entière. On ne se lassera pas d’écouter ce disque, c’est certain, jusqu’à la sortie du prochain, dont le groupe semble déjà parler !