Lorsqu’on évoque le nom de Saycet, qu’on le prononce du bout des lèvres, comme pour le garder un peu pour soi, il convoque instantanément des sensations, des souvenirs, des émotions. Bien que l’artiste parisien ait le nez dans la musique depuis sa plus tendre enfance et une carrière de plus de quinze ans à son actif, il ne cesse néanmoins de se réinventer. S’il s’est entouré de figures féminines pour ses créations précédentes, Saycet revient en solitaire pour Layers, sorti le 8 octobre 2021. Un album incisif et ciselant, épuré et purifiant. Un retour à l’électronica dans toute sa simplicité.
Mother ouvre le bal et nous voilà instantanément transportés par les nappes. Saturées, profondes. Commencé avant le premier confinement et remanié pendant, c’est le titre le plus sombre de l’album. La combinaison des différents synthétiseurs crée une distorsion qui confère au morceau une teinte granuleuse et particulière. Et derrière cet enchevêtrement de sons analogiques il y a une voix, lancinante, qui scande le titre du morceau avant d’être rejointe par une seconde. Tantôt féminin tantôt masculin, les deux timbres se répondent et s’entremêlent jusqu’à s’éteindre à l’arrivée d’un piano qui vient délicatement nous immerger dans son univers. Un monde empreint d’onirisme et de nostalgie où les pensées fusent, défilent, s’accrochent et disparaissent, aussi vite que les notes nous émeuvent.
S’il nous laisse nous installer paisiblement dans notre fauteuil c’est en revanche pour mieux nous y déloger avec Malaparte, titre phare. En live, c’est le moment où les corps dansent, où les mains s’élèvent. C’est l’instant où les sourires s’éclairent et les yeux se ferment pour profiter jalousement de ce moment suspendu, de cette sensation de plénitude et de bonheur fugace. Nous voilà face à un air qui se répète, qui prend de la puissance et gonfle. Les basses sont saccadées et la voix en arrière plan, entêtante. Le clip, réalisé par Yannick Demaison et Alexis Magand retranscrit à merveille le déluge qui se crée juste au creux de nous. Les éléments naturels se déploient au rythme de la mélodie, pour nous laisser le souffle coupé.
En effet, Saycet parvient à créer des atmosphères, un climat. Lorsque surgit ensuite le piano sur Timelapse le corps est apaisé. Face à un son finalement très primaire et organique, la mélodie nous berce et nous enveloppe.
Puis, Lightyear vient comme un sursaut. Sans doute le morceau le plus astral, il prend aux tripes et nous lance dans une course effrénée contre le temps. Ça grouille de sons glitchy et d’accords réussis avant encore une fois de s’éteindre délicatement. Car le compositeur maîtrise l’art des pauses comme jamais.
Layers, titre éponyme de l’album nous saisit avec le retour discret mais prégnant de la voix. Un morceau radieux pour nous rappeler de vivre et de célébrer les instants de joie qui se présentent à nous. Une chanson faite de strates, d’empilement à la manière dont l’artiste compose depuis toujours, en superposant.
Solaris fait référence au film d’Andreï Tartovski dont Eduard Artemiev signe la BO en 1972. Une œuvre cinématographique et musicale surprenante, source d’inspiration majeure pour le compositeur français, où l’univers mélodique se révèle progressivement pour un final en apothéose.
Ce morceau devient Messa Solaris à l’occasion d’une résidence au château de Versailles. Pendant sept jours et sept nuits l’artiste utilise l’environnement sonore des lieux pour nous en proposer une relecture acoustique.
La version originale, qui fut l’une des premières ébauches de cet album, s’est construite autour d’un arpège qui en raison d’un accident de synthétiseur a sauté, menant ainsi la chanson vers un motif très solaire. C’est indubitablement un morceau fait pour fouler le sol d’une salle de concert avec un tempo binaire. Le son est lourd, le beat nous transporte. C’est un coup de poing, un uppercut qui se finit sur une tonalité harmonieuse et douce pour mieux nous embarquer vers le morceau suivant, en collaboration avec Joseph Schiano di Lombo, Murmuration. Une composition à quatre mains où ne retentit que le piano. Une ode à la mélodie et aux notes dans le dépouillement le plus total.
Lorsque surgit Mountaineers, les basses nous saisissent une nouvelle fois pour nous emporter dans une dernière danse. Et si l’album s’ouvrait avec Mother il s’apprête à se conclure avec Father. Car la créativité de Saycet n’a pas de limite : ce titre a été pensé comme un remix du premier. La grille d’accords est totalement reconsidérée pour aboutir à un morceau percutant.
Enfin, Recovery s’annonce comme un final puissant et fragile, où l’électronique rencontre une dernière fois le piano. Les notes s’étreignent et s’éteignent avec nous, en laissant derrière elles l’immensité du possible.
Il y a quelques semaines, lors d’une interview, Saycet nous parlait de ce qui fait la force et la faiblesse de l’électronique; qu’on ne comprend pas forcément ce qu’on entend ni ce qu’on voit, que tout réside dans les sensations. Nous vous invitons donc avec cet opus à simplement ressentir. A vous laisser traverser par les émotions, aussi contradictoires puissent-elles être. Aussi denses et puissantes soient-elles. Layers porte en lui le goût du spleen, la chaleur réconfortante du soleil une journée d’hiver, l’odeur de l’air iodé et le bruit des vagues qui se fracassent contre les rochers. Un album à garder sous sa peau. Là où le cœur pulse.
Et comme l’artiste ne s’arrête jamais, ne manquez pas son nouvel EP, Sleepless, paru le 10 décembre dernier. Une création originale où Saycet revisite les titres emblématiques de l’album Layers. En version live, comme si vous y étiez.
Pour découvrir notre interview de Saycet c’est ici.