Le groupe belge The Haunted Youth, porté par Joachim Liebens, nous a récemment présenté son premier disque. Intitulé Dawn Of The Freak, l’album offre une catharsis à l’esthétique à la fois nébuleuse et franche. The Haunted Youth parle de ce qui fait mal pour (se) faire du bien. Entre destruction et reconstruction, Dawn Of The Freak nous renvoie à l’ado que l’on était, l’espace de dix pistes étrangement réconfortantes.
Si l’esthétique shoegaze semble traverser les âges avec toujours la même fraîcheur, c’est certainement grâce à des représentants imprégnés qui en infusent leur art. Puisque l’art est expression, c’est certainement que l’on fait du shoegaze sans même le vouloir vraiment. Palais de glace où fleurit le spleen, ou douce caresse d’un soleil atonal, le shoegaze est au-delà d’une esthétique sonore ou visuelle. Il est langage universel d’un tout un chacun, la bande-son d’une recherche d’absolu et d’illusions perdues. The Haunted Youth, porté par le charismatique Joachim Liebens, en est le meilleur exemple actuel.
Débarqué de nulle part, l’artiste belge est parvenu à pénétrer les cœurs de milliers de personnes avec des singles intemporels, forgés dans l’Indie-Rock des nineties, et portés par des textes fédérateurs pour tous les freaks, dont Liebens se réclame. Il parle aux cœurs avec le sien, rien n’est plus sûr. Il suffit d’écouter cette voix chancelante déclamer des mots d’une telle pesanteur, ou encore sentir la manière dont les mélodies brillantes et les guitares lumineuses parviennent à faire s’évaporer la masse qui nous comprime parfois la poitrine.
Dawn Of The Freak s’ouvre sur un ciel bas. De ces ciels si gris qu’ils rendent la vie diaphane, mais offrent un bel onirisme à qui sait y être sensible. Le soleil est là, il donne leur lumière à ces nuages. Il émane de Teen Rebel, lorsque débarquent les guitares lumineuses, les mélodies à dégivrer l’âme. C’est précisément ce single qui a porté The Haunted Youth plus loin qu’ils n’auraient pu l’imaginer en si peu de temps.
Dès la première écoute, on comprend tout à fait l’engouement du public et l’optimisme de la critique. On sait déjà que ce titre nous suivra désormais toute notre vie. Il restera quelque part au chaud, en nous. Ses nappes enivrantes de synthés reviendront parfois nous donner un peu de chaleur en attendant l’aube. Véritable hymne juvénile, intemporel, ces mots : « Sweet teen rebel, you walk into the dark, teen rebel » résonnent en chacun de nous. Preuve que, si certaines brèches ne se referment jamais complètement, elles finissent cependant par laisser filtrer un peu de lumière.
Par la suite, Joachim Liebens nous parlera sans filtre du rapport à soi, à l’autre, de la dépendance, de la dépression, de la rupture. Mais toujours au travers d’un prisme étalant une palette allant du noir le plus profond à la lumière la plus réconfortante, si tant est que le bleu arrive à vous apaiser. C’est ainsi que Stranger parvient à nous emmitoufler dans un spleen rêvasseur. The Haunted Youth nous plonge dans une dream pop atypique, faite de voix fantomatiques et de rythmes gentiment entraînants. Les synthétiseurs balancent des leaks béats, voire candides, alors même que les guitares tonnent en riffs orageux.
Gone exprime à merveille la violence des sentiments, ceux qui siègent dans la gorge pour sortir, et finissent par nous étrangler. Les mots frappent. Et pourtant on sait que ces mots bien souvent ne frappent que nous, tant il est difficile de les faire sortir. On ressent d’ores et déjà la solitude qui accompagne ce freak, cet ado sans âge, qui pourtant nous donne inlassablement envie de danser sur ces rythmes enivrants.
Alors même que Liebens nous parle d’âpre rupture sur Shadows, il exprime aussitôt la douleur qui s’en suit sur Broken. L’instru, par ailleurs, se fait un peu plus virulente. L’auteur-compositeur réussi de toute évidence à faire exister les sentiments qu’il exprime dans ses textes au travers de sa musique. Toutefois, cette dernière est complètement lénifiante. La douceur exacerbée semble être un parégorique de la douleur exprimée. Comme on le disait plus haut, Dawn Of The Freak est plus une catharsis qu’un abandon. La mélancolie a rarement revêtu une étoffe si laineuse. On ne tombe en effet jamais dans le pathos. Même le très Cobainien I Feel Like Shit And I Wanna Die nous laisse apercevoir les étoiles d’un ciel nocturne qui devient confident d’un mal-être jusqu’alors muet.
Tant et si bien que les guitares finissent par s’apaiser. Elles se perdent en échos qui emplissent l’espace et nous emmitouflent bien au chaud. Sur House Arrest notamment, le rythme pacifié amène une sorte de soulagement. On se relève pour danser doucement. La voix de Liebens s’envole, se libère, emporte tout sur son passage. Au sortir de l’extériorisation de tous ces tourments, on se sent enfin de relever la tête et danser franchement. Coming Home brise la solitude, appelle l’autre. Son rythme inébriant fait du bien. Là-dessus, l’album vient se clore sur le guitare-voix dépouillé de Fist In My Pocket. Indubitablement l’un des plus beaux moments de ce disque. Sans fioriture aucune, la consolation, le lever du jour, et les nuages qui semblent se dissiper. Liebens nous offre un refuge, adresse un message fort qui conclut l’album avec force et intelligence.
Ainsi se termine Dawn Of The Freak. Dans l’ensemble, l’album n’a pas vocation à réinventer le genre, bien que Joachim Liebens parvient à corréler une dream pop extatique avec l’indie des nineties avec une aisance impressionnante. Tout au long du disque, il prend le temps de développer des atmosphères riches. Son côté crépusculaire et nébuleux l’installe dans une esthétique shoegaze qui se fait cocon, de façon à couvrir cette mise à nu sincère et déchirante. En fin de compte, Dawn Of The Freak n’a pas vertu à nous tirer vers le bas, mais plutôt à nous aider à remonter à la surface. Globalement rassurant, il ouvre une porte par laquelle entrer pour se sentir compris, ne plus se sentir seul.
The Haunted Youth est une douce caresse ; on sent dès la première écoute que ce disque va nous accompagner encore longtemps. En un mot donc, jamais le shoegaze n’a été si chaleureux, rarement la mélancolie n’a revêtu autant d’étoiles, comme autant d’oreilles attentives. Un disque comme il en existe peu.