Quelques jours après la sortie de son nouvel album I remember something, et tout juste revenue d’une série de concerts à Paris et aux Pays-Bas, nous avons eu la chance de pouvoir discuter avec Claire days. Nous avons parlé de process de création, de son goût pour l’expérimentation, de sa passion pour la musique métal, d’art et de chats !

La Face B : Comment ça va ?
Claire days : Bonne question. Là, ça va très bien. Je dois dire que je rentre d’une semaine assez intense, chargée. J’ai fait une première partie de Clou, d’abord au Trianon, et après on est parti avec mon ingé pendant une semaine aux Pays-Bas pour faire la première partie d’un artiste anglais qui s’appelle Fink. Donc je rentre tout fraîchement d’une semaine en tourbus, expérience tout à fait totale. Je pense que je suis encore sous un effet d’adrénaline de ces concerts et de cette expérience. Donc ça va bien !
La Face B : J’imagine, d’autant que tout ça a coïncidé avec la sortie du nouvel album.
Claire days : Exactement, il y a un effet double. il y a un double effet qui est qu’au milieu l’album est sorti. Donc il y a eu aussi toute cette ouverture tout à coup autour de ces morceaux que j’avais gardés dans un cercle assez restreint jusque-là.
La Face B : Qu’est-ce qui t’a guidée pendant l’écriture de cet album ?
Claire days : Mes émotions, mon intuition, je pense. C’est un album qui s’est surtout écrit sur les deux, trois dernières années, je dirais. En fait, le premier album était sorti en 2022, fin 2022, et on va dire que c’est un peu toutes les chansons que j’ai écrites entre temps. Je pense que vraiment, c’est ce qui me guide, mes émotions, mon intuition, et puis des espèces de moments un petit peu… Il y a une espèce d’éclat de quelque chose qui fait que je suis inspirée et que je vais écrire. donc c’est spontané.
La Face B : Comment tu composes, qu’est-ce qui vient en premier ? Le texte, la mélodie, ça dépend ?
Claire days : La plupart du temps ce qui arrive c’est une phrase avec tout un contenu un peu émotionnel sur lequel je n’arrive pas trop à mettre de mots dans un premier temps. Et puis je prends vite ma guitare, de quoi écrire, et j’écris. J’essaie de tirer un peu ce fil là, j’entends de la musique dans ma tête. Donc j’essaie vite de trouver l’accord que j’avais dans la tête à la guitare. Je chante cette phrase dessus et après je laisse le truc me guider. Donc c’est simultané. en fait c’est en même temps les paroles et la mélodie et la guitare. Parfois c’est une sorte de poème que j’écris ou quelque chose que j’écris et après je le mets sur de la musique. Mais c’est beaucoup plus rare.
La Face B : Tu oscilles entre le français et l’anglais. Qu’est-ce qui fait que tu vas choisir l’une ou l’autre de ces langues ? Ou même parfois mélanger les deux ?
Claire days : L’intuition là encore. Mais c’est vrai que selon l’émotion que j’ai quand je me retrouve à écrire, l’une ou l’autre langue va venir plus naturellement et il y a des choses que j’arrive pas à dire dans une langue que j’arrive à dire dans l’autre. Mais il faut savoir que ça ne fait pas longtemps du tout que j’écris en français. C’est surtout l’anglais qui me vient, et de temps en temps, par effraction, du français.
La Face B : Je trouve que dans ta musique, tu cultives une certaine sobriété qui permet justement de donner plus de force au texte. J’ai été assez frappée par le morceau guitare-voix très minimaliste qui s’appelle Have I Always Been This Way ? Mais en même temps, je trouve qu’il y a plusieurs facettes dans cet album et il y a le côté expérimentation qui ressort aussi beaucoup. Par exemple, dans le morceau Flower Flower, il y a plein de choses. Il y a notamment à la fin une distorsion du son hyper marquée qui vient donner du relief aux paroles. J’aurais aimé que tu puisses nous en parler un petit peu.
Claire days : Moi, c’est mon morceau préféré de l’album. Je suis contente qu’on en parle. Ce morceau-là, je l’ai écrit et enregistré à certaines étapes du processus. Je pense que c’est pour ça qu’il a pris cette forme-là. En fait, on était partis une semaine en studio, il y a quasiment un an, pour enregistrer douze chansons. Et à la fin du studio, je suis rentrée et j’ai eu une semaine un peu étrange. J’étais un peu seule après avoir eu ce grand moment de création collective qu’était le studio. Et en fait, j’ai créé ce morceau. Je voulais absolument que ce soit sur l’album, mais bon, on avait fini l’enregistrement. J’ai enregistré chez moi en guitare voix, telle que je l’avais écrite. Donc vraiment en jouant la guitare en même temps que je chantais avec juste un micro devant. Et ensuite, j’explorais des choses avec un clavier qu’on m’a prêté, qui ressemble un peu à un orgue, en tout cas qui fait un son très profond comme ça, et un peu solennel, avec quelque chose comme une marche un peu funeste. Et voilà, donc c’est parti de là.
Après, c’est juste que j’ai expérimenté avec ce qu’on appelle un plugin, c’est une sorte de petite simulation de machine sur un logiciel d’enregistrement, qui en fait modifie ce qu’on appelle l’enveloppe du son. C’est ce qui fait que la voix, elle part dans tous les sens en fait, et elle crée une espèce de… de monstruosité ou d’étrangeté en fait. Comme une espèce de créature qui parle à travers moi. Et j’ai trouvé ça trop cool et j’ai mis ça un peu sur tout. On l’a mis sur la voix, et aussi sur du clavier. Et après j’ai fait rajouter… quelque chose de percussif, mais de très simple, très minimaliste. Et ce morceau, c’est vraiment le résultat de… Je me suis retrouvée toute seule après le studio. J’ai écrit ce morceau qui me parlait beaucoup et je suis allée au bout un peu de mon idée.

La Face B : Toujours sur l’idée de l’expérimentation, alors j’avoue je n’ai pas j’ai pas réussi à l’entendre, mais j’ai lu que tu avais utilisé le son de ta machine à laver ! Je me demandais comment tu avais eu cette idée ?
Claire days : Effectivement, oui. C’est sur la chanson Her Name Means Story. On ne l’entend quasiment pas parce qu’en fait, ça se fond. On dirait juste que ça fait partie de la batterie, mais non ! Comment j’ai eu l’idée ? Je travaille dans un salon, et en fait il y a ma machine à laver qui est à ma droite. Et donc, après la semaine de studio, j’ai passé un mois chez moi, j’ai récupéré toutes les pistes, j’ai tout remis dans mon ordinateur, et j’ai fait un tri. J’ai enregistré plein de choses, j’ai modifié, enlevé, supprimé, rajouté, etc. J’ai pas mal bossé, notamment sur Her name means story où j’ai rajouté des xylophones, une guitare. Et en fait, à un moment, simplement, j’étais en train d’écouter ce que j’avais fait, et il y avait ma machine à laver qui tournait en fond. Et je me suis dit, ah mais c’est trop bien ! Donc vite, j’ai enregistré ce son et je l’ai ajouté.
La Face B : C’est trop drôle !
Claire days : C’est ça ! C’est ça qui est cool dès que tu te mets à entendre un peu les bruits environnants comme des sources potentielles musicales et c’est trop chouette.
La Face B : J’adore l’idée ! Tout à l’heure on parlait de Flower-Flower. Il y a un autre morceau qui pour moi ressort particulièrement, c’est Mauvais voyage. Tu dis « J’aime bien ma vie comme elle est. Le déséquilibre est parfait. Tout est pénible et parfait. Tout est painful but I wouldn’t change a thing. ». Je trouve qu’il y a plein de choses dans ce morceau. Il y a une énergie rock hyper marquée, un crescendo et une tension qui atteint son paroxysme à la fin avec un cri que j’ai perçu douloureux et en même temps libérateur. J’aurais bien voulu que tu nous en parles un petit peu.
Claire days : En fait, Mauvais voyage c’est la traduction de Bad trip en anglais. Je me suis retrouvée dans une mauvaise situation après avoir pris des substances. C’est ça le point de départ. Mais en fait, pour moi, c’est plus un morceau sur l’angoisse, l’extrême vulnérabilité ou la détresse émotionnelle induites par des choses extérieures ou intérieures. Et essayer un peu de s’en échapper ou de reprendre pied avec la réalité.
Et le refrain » J’aime bien ma vie comme elle est, le déséquilibre est parfait, tout est pénible et parfait « , je trouve que c’est un peu la vie. C’est énormément d’efforts et c’est énormément de souffrance qui font partie d’un tout. C’est le morceau comme on l’a enregistré, comme il a été créé. Il est un peu tout bancal pendant toute la première moitié. Et ensuite on y va à fond ! On rentre un peu dans l’expression frontale de cette angoisse.
La Face B : Et sur le cri, tu as travaillé ça comment ?
Claire days : Ça fait longtemps que je m’intéresse au chant saturé. C’est une technique de chant que je trouve incroyable depuis que je suis enfant. Je trouve ça incroyable d’entendre les gens crier, notamment dans la musique métal. Il y a quelques années j’ai pris des cours de chant saturé. J’avais déjà un peu expérimenté ça sur l’EP en français. Il y a un morceau qui s’appelle Par-dessus bord où je screame. C’est à la fois techniquement intéressant et aussi symboliquement il y a beaucoup de choses qui passent à travers ça.

La Face B : En écoutant l’album, j’ai pensé à l’univers de plusieurs artistes totalement différents. J’ai pensé un peu, par exemple, à Norah Jones sur Help You ou Have I Always Been This Way. J’ai pensé un petit peu à Billie Eilish, Avril Lavigne, un peu Radiohead, un peu Cigarette after sex, notamment sur le titre From 1 to 10. Je ne sais absolument pas si ces artistes-là font partie de tes références, de tes influences ou pas. Mais moi, en tout cas, j’ai cru entendre un petit peu ça à certains moments de l’album.
Claire days : C’est marrant ! C’est pratiquement que des artistes que j’ai beaucoup écoutés. Norah Jones. Enfant, je devais mettre en primaire quand elle a fait une grosse percée. J’ai beaucoup écouté. Avril Lavigne, j’ai énormément écouté. Et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai fait de la guitare aussi. Quand j’ai vu une femme qui tenait une guitare, je n’avais jamais vu ça. Radiohead, j’ai beaucoup écouté aussi. Cigarette After Sex, je n’ai jamais écouté. Mais Billie Eilish, oui, j’écoute pas mal Billie Eilish. Je trouve qu’elle et son frère sont vraiment une bonne source de trouvailles.
La Face B : Je ne suis pas trop tombée à côté alors !
Claire days : Effectivement !
La Face B : Est-ce que tu as eu des coups de cœur, des choses qui t’ont influencée quand tu as écrit l’album, des artistes, des bouquins, des films ? Est-ce qu’il y a des choses qui t’ont nourri en particulier ?
Claire days : Oui, certainement. Ces dernières années, il y a des albums qui m’ont marquée. En tout cas, il y a celui de Mitski, une artiste américaine. Elle a sorti un très très bel album que j’ai beaucoup écouté. Il y a Flyte aussi, qui est un groupe anglais de folk. Ils ont sorti un album vraiment magnifique. Après, je pense que je me suis nourrie de plein de choses, c’est difficile de savoir ce qui nous nourrit, mais en fait j’ai tout piqué à tout le monde parce que justement, tout le monde s’inspire avec les uns les autres !
Après, le cinéma, les films, le cinéma, les livres, tout ça, ce sont des trucs qui m’inspirent tout le temps. J’ai plein de carnets, je suis tout le temps en train de noter des trucs que j’ai lus ou entendus et qui me parlent, et après, ça fait un espèce de grand mélange et j’imagine que je puise dedans.
La Face B : Et en ce moment, tu as un coup de cœur pour un artiste ? Un ou une artiste ?
Claire days : En ce moment, je bloque beaucoup sur une autrice qui s’appelle Audrey Lorde, une autrice américaine dont je lis beaucoup la poésie. Et en musique, il y a un autre album qui m’a beaucoup marquée aussi, c’est Mercedes de Malvina, qui est sorti l’année dernière. J’ai énormément écouté. Je n’ai pas des coups de cœur tout le temps. J’en ai un ou deux par an. Je n’ai pas de coups de cœur très faciles.
La Face B : Je voulais savoir si tu avais des projets de collabs dans les tuyaux avec d’autres artistes ou même si t’avais d’autres projets en dehors de la musique dont tu voudrais nous parler ?
Claire days : En ce moment, je suis en train d’écrire une chanson pour un générique de film que je dois enregistrer la semaine prochaine. Donc ça c’est un peu un nouvel arc qui s’ouvre. C’est la première fois que je fais ça. J’ai assez hâte que le tourbillon de l’album soit passé parce que j’ai envie d’enregistrer de nouvelles choses. J’ai toujours un projet depuis quelques années de faire un album de métal. J’aimerais vraiment partir dans cette brèche-là qui me plaît, mais qui est très éloignée de ce que je fais.
La Face B : C’est génial !
Claire days : Je me questionne aussi sur, comment dire, une fois qu’on a un nom, une image, une esthétique qui est associée à une personne, à quel point est-ce qu’on peut s’en défaire et s’amuser en trouvant des choses qu’on n’a jamais faites et parfois qui nous ressemblent moins. Ou au contraire on se rend compte que ça nous ressemble plus ! Si ça se trouve, je vais faire un album de métal et puis je ne toucherai plus jamais à une guitare classique ! En tout cas j’ai envie de garder les portes bien ouvertes parce que plus j’évolue plus dans un milieu plus en plus professionnel dans la musique, et plus j’ai peur de me trouver enfermée. Alors que j’ai choisi la musique justement pour qu’il n’y ait pas de limite dans la création. Donc j’ai envie d’enregistrer, j’ai envie de continuer à écrire et de faire des choses différentes.
La Face B : Ok, donc l’envie de ne surtout pas rester dans une zone de confort et de continuer à expérimenter tout ce que tu peux.
Claire days : C’est là que c’est fun, c’est là qu’il y a le côté ludique, le jeu.
La Face B : J’ai une dernière question. Si La Face B avait le pouvoir de t’accorder trois vœux, qu’est-ce que tu choisirais ?
Claire days : J’aimerais bien que l’art trouve ou retrouve une place centrale à la fois dans l’éducation, le partage, la connexion entre les gens. En tout cas, que sa valeur soit reconnue et que l’art soit valorisé. C’est un grand projet de société, mais j’aimerais qu’on puisse tous aller mieux via l’art et que les artistes puissent aller mieux aussi en pouvant dégager un revenu de leur travail. Parce que la plupart des artistes ne dégagent quasiment pas de revenu de leur travail. Donc j’aimerais qu’il y ait un autre modèle économique et social, et sociétal, qui soit créé autour de l’art et de la musique. Parce que moi, j’y crois à fond à l’art, à son pouvoir de connexion et d’humanité. Donc ça, c’est très ambitieux.
Sinon, qu’est-ce que j’aimerais… J’aimerais plus de chats parce que c’est super les chats ! C’est des animaux qui sont indépendants, mystérieux, détachés, affectueux, ils sont tout à la fois, ils sont incroyables. Et après, si je peux faire un vœu vraiment juste qui me concerne, moi, j’aimerais bien continuer à faire de la musique toute ma vie. Et aussi, j’aimerais bien que ma musique puisse continuer à toucher les gens. J’ai juste envie que la musique fasse son taf qui est de de rendre un peu universel tout plein d’émotions et d’expériences qu’on est amenés à vivre et de se rendre compte qu’on n’est pas seul du tout.
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