L’artiste Coline Rio dévoile un premier EP intitulé Lourd et Délicat. Un disque au travers duquel coulent des fleuves intérieurs : l’amour, la peur, la solitude, le désir, l’absence et la force.
Lourd et délicat prend sa source dans un titre du même nom, présent dans le disque. « Lourd » et « Délicat » sont deux mots qui pourraient être antagonistes. Pourtant, Coline Rio parvient à unir ces contraires – à l’image de ses propres contradictions – tout au long de l’EP. Cet aspect de double-facette prend aussi une forme graphique sur la pochette. On y aperçoit un portrait de la chanteuse, presque fantomatique, floue. Deux images se superposent, comme parvenant à saisir en plein vol l’insaisissable. Quelque chose entre l’instant, une vibration, le présent et une pulsation. Car il est bien question de pulsations et de battements au sein du morceau Lourd et délicat. Coline Rio évoque son cœur, qui parfois gronde un peu trop fort, lorsque l’angoisse se saisit de lui. Si, de cette description on s’imagine proche d’un morceau comme Anxiété de Pomme, on semble plutôt, en réalité, se rapprocher de Barbara, car un grand piano noir se fait compagnon de ce cœur sentimental. La voix de cristal de la chanteuse est portée par des sons sortant de touches d’ivoire. Des sonorités qui s’emportent, s’affolent en fin de morceau, se confondant avec les battements cardiaques évoqués.
Un cœur un peu moins physique et plus métaphorique prend une place particulière dans l’EP. Le titre Se dire au revoir nous parle de deux cœurs qui se délient au moment d’une rupture amoureuse. Il y a un décor de début d’hiver qui semble se dessiner tout au long du morceau, comme l’image d’une forêt que la neige viendrait caresser, consoler. Car à l’image des quatre saisons, il y a là l’idée d’un cycle qui se clôt sans résistances, dans la douceur et la lenteur. Coline Rio parvient à trouver les paroles ainsi que les tonalités pour évoquer avec tendresse et gravité une histoire d’amour qui se termine.
Partie intégrante du groupe pop-électro Inuït, le projet solo de Coline Rio prend forme pendant le confinement. Comme pour capturer cet instant de transition et de transformation, Coline Rio compose un morceau autour de cette période si singulière.
Le clip de L’Horizon, réalisé par Kahina Le Querrec (qui signe également certains clips de Laura Cahen) se déroule pendant le confinement. Le clip, tout comme le morceau, ont des airs de journal intime, à en croire également le titre écrit à la main qui figure en ouverture. La chanteuse y témoigne ses sentiments et ressentis. Il y a quelque chose d’un peu mélancolique au début de la vidéo tournée en noir et blanc, comme un clin d’œil inconscient au titre Comme au cinéma de Clou, réalisé par Vincent Delerm pendant le confinement.
Or, un élan libérateur prend le dessus lorsque la couleur apparaît, que Coline Rio se débarrasse de sa couette pour danser en totale liberté. Une narration que l’on retrouve musicalement dans le morceau. À l’instar du titre Le Twenty Two Bar de Dominique A, il y a quelque chose en tension dans ce titre. Une tension qui craque sous l’implosion de luttes intérieures (« Mon cœur ne trouve plus la raison, De battre fort et de lutter, Contre vents et marées ») enfermées à l’intérieur de soi. Une explosion qui est structurée par des percussions et des sons très organiques, semblant représenter un nouvel élan de vie.
Face à ces thématiques lourdes de rupture, d’angoisse et d’enfermement, l’EP est éclairé par des titres plus lumineux. Ainsi, Au royaume de tes mots aborde le désir, l’osmose amoureuse entre deux corps. Ce morceau est profondément sensuel, les sens se démultiplient (« Ça palpite, ça crépite »), tandis que des décors bucoliques se dessinent. Ce qui frappe dans ce morceau est l’auto-suffisance du texte. Les mots sont agencés de manière à créer quelque chose de très sonore, et semblent s’enchaîner dans un mouvement fluide et naturel : « Tu m’inondes mon esprit, De rages, d’orages et d’images »… Tant et si bien que l’instrumentation, en arrière-plan, ne semble qu’être une structure portant le texte.
L’EP ne se conclut pas sur un hasard. Le titre On m’a dit clôture Lourd et délicat comme il clôture, à l’instant t, les concerts de la chanteuse. Avec ce titre fort et évocateur, Coline Rio fait voler en éclats les critiques désobligeantes à son égard. Si l’on demande à l’artiste d’être plus brûlante (« On m’a dit, t’es trop calme, trop classique, faut qu’ça pique comme les flammes, Que tu brûles, que tu nous allumes »), Coline Rio ne fait pas de concession : elle sera le feu. Dans le clip qui illustre le morceau, on observe la chanteuse s’affirmer pendant qu’autour d’elle les champs brûlent. On y retrouve l’esthétique floue présente sur la pochette de l’album. Et ce choix prend tout son sens lorsque l’artiste évoque l’EP comme quelque chose de très intime, à l’image de ce titre. On m’a dit donne forme, à la perfection, à cette fausse contradiction entre le lourd et le délicat. Coline Rio parvient avec force et puissance à imposer la douceur, la tendresse et surtout la délicatesse qui la représentent.