CRAFT. S02 E08 – Conor Jones

Dans cet épisode, j’ai parlé à Conor Jones, un artiste folk (mais pas que) que j’ai découvert via un tremplin musical il y a quelques années. Je suis immédiatement tombée amoureuse de sa musique, et en particulier de sa chanson « I Will Be Immortal » – par chance, c’est celle qu’il a lui aussi choisi pour cet épisode. Dans cette interview, Conor raconte son processus d’écriture, son amour pour le film Jackass 2 et pour le renouveau du punk, et évoque les émotions qui l’ont poussé à écrire ce titre.

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Version Française

CRAFT : Salut Conor, bienvenue, merci d’être venu dans CRAFT !

Conor : Salut !

CRAFT : Je rigole un peu parce que l’enregistrement de cet épisode a été, disons-le, laborieux. Pour donner un peu de contexte aux auditeur.ices, tu peux expliquer ce qui s’est passé ?

Conor : Oui, ça fait un moment qu’on essaie de planifier cet épisode, on l’a enregistré plusieurs fois, et aucune de nos tentatives n’a abouti. Je crois que Dieu essaie de s’interposer.

CRAFT : Mais si vous écoutez ce podcast, c’est que Dieu a perdu (avec tout le respect que je lui dois) ! (rires) Alors juste pour l’anecdote, j’ai découvert ta musique via une sorte de tremplin en ligne, il y a quelques temps, et je me souviens avoir eu un coup de cœur immédiat pour la chanson dont on va parler aujourd’hui. Et je me demandais quelle avait été la réception en ligne justement ?

Conor :  J’ai parlé avec quelques personnes ! Certaines interactions étaient cool, d’autres moins. Je dirais que la plupart du temps, les gens ont tendance à moins s’exprimer sur des chansons qui sont si ouvertement personnelles. Mais c’est comme avec tout, parfois on a beaucoup de retours, parfois moins… Pour celle-ci, c’était à peu près 50/50, certaines personnes ont apprécié, d’autres pas… moi je l’adore, cette chanson, donc ça m’est un peu égal !

CRAFT : Tu l’as déjà jouée en live ?

Conor : Oui ! Mes potes ont aimé en tout cas (rires). Je dirais pas que c’était salle comble !

CRAFT : C’est les concerts les plus difficiles, au contraire ! Tu peux voir les visages du public !

Conor : Je suis bien d’accord… Je pouvais presque les sentir !

CRAFT : Et le public pouvait sentir ta peur aussi, sans doute ! (rires)

CRAFT : Alors pour en venir à la chanson à proprement parler : tu as choisi « I Will Be Immortal » – j’aurais choisi la même d’ailleurs, c’est ma préférée. Est-ce que tu peux me dire ce qu’elle raconte ?

Conor : C’est marrant, tout le monde a sa propre interprétation. On a déjà eu cette conversation, et tu m’as dit que selon toi, ça parlait de la permanence de l’art.

CRAFT : Oui !

Conor : Et je suppose que, d’une certaine façon, c’est vrai. Mais pour moi, le propos était beaucoup plus personnel. C’était une période vraiment très compliquée dans ma vie, je traversais des moments très sombres… et cette chanson symbolisait une sorte de renouveau. C’était un acte de rébellion.

CRAFT : Tu saurais me décrire ce que tu as ressenti quand tu écrivais cette chanson ?

Conor : L’écriture de celle-ci a été très naturelle, c’est venu tout seul. Et jusqu’au dernier moment, je ne me rendais pas vraiment compte qu’elle allait être bien. En général, je trouve les paroles d’abord, puis je les pose sur une mélodie. Au moment de la jouer en entier, avec la musique et tout, c’est là que je me suis dit « oh, celle-ci a du potentiel ».

CRAFT : Ah, alors tu te rendais pas compte pendant que tu écrivais qu’elle serait cool ?

Conor : Je n’y pensais même pas en fait ! Je me disais pas que j’allais la sortir, ou la jouer devant des gens… Mais comme je disais, au moment de la jouer en entier, c’est là que ça m’a percuté.

CRAFT : Et cette écriture très naturelle, qui coule de source, ce n’est pas un indicateur qu’une chanson va marcher ?

Conor : Si bien sûr !

CRAFT : Est-ce que ça t’est arrivé de te dire qu’une chanson allait être bien pendant que tu l’écrivais ? Peut-être d’une façon un peu plus intellectualisée, type « ah ces paroles sont bien tournées »… ce genre de choses ?

Conor : Pour être honnête, dans la plupart des chansons que j’écris, il y a au moins quelques paroles dont je suis très fier (rires).

CRAFT : Tu peux nous en partager une ?

Conor : Hm…. Laisse-moi réfléchir… Et bien, si on parle de « I Will Be Immortal », le refrain est une vraie réussite personnelle, j’en suis vraiment fier. Je le trouve très vaste, très large ; il a beaucoup de points de contact, d’ancrage, qui peuvent résonner chez plein de gens. Les métaphores, les comparaisons, tout ça se chevauche pour créer une image qui tient toute seule, sans que j’ai à me soucier de créer un récit. Et je suis jeune et… relativement stupide, du coup j’étais assez fier d’avoir réussi à tisser tout ça ! (rires)

CRAFT : Tu peux en être fier à n’importe quel âge, c’est un super refrain ! (rires)

Conor : Il est marrant, oui. J’aime bien écrire des chansons marrantes, je dois admettre.

CRAFT : Oui, et je crois que c’est quelque chose que tu fais très bien. Cette chanson est à la fois irrévérencieuse et à la fois très profonde. Dans le fond, on sent… pas une tragédie, parce que la rébellion dont tu parlais est exprimée dans chaque mot, mais en tout cas on sent une certaine profondeur. C’est un art dans lequel John Prine excellait selon moi. En gros, tu es sur les traces de grands artistes !

Conor : Oh non ! Ne me dis pas ça … (rires) Non, je plaisante, merci, ça me touche, je suis un grand fan de Prine aussi.

CRAFT : Il est génial. Est-ce que tu as déjà pensé à ce que la chanson pouvait évoquer chez d’autres gens qui l’écoutent et qui n’ont pas ton vécu ?

Conor : C’est difficile… Je ne sais pas quelle vision les gens ont de moi en tant que personne, alors en tant qu’artiste… Mais si on me retire de l’équation, je pense que tout le monde peut s’identifier à l’esprit de la chanson. Quelqu’un qui construit des murs peut être fier d’un beau mur bien fait et se dire « yep, c’est moi qui l’ai fait. » C’est l’attitude rebelle de la chanson qui, je pense, parle à tout le monde.

CRAFT : D’autres chansons qui créent ce même sentiment chez toi ?

Conor : Johnny Paycheck « Take this job and shove it » ! (rires)

CRAFT : Ah yes, j’aime bien Johnny Paycheck aussi !

Conor : Je pense que c’est le même message au fond, la même attitude. Cette chanson me tue.

CRAFT : Le thème du show business n’est pas nouveau, on en parle depuis des années, mais le paysage change un peu, il y a beaucoup plus d’acteurs dans le monde de la musique, c’est moins monolithique que ça a pu l’être par le passé. Est-ce qu’il y a une « scène » à laquelle tu te verrais bien appartenir ?

Conor : Oui, c’est moins monolithique comme tu dis, mais du coup il n’y a plus vraiment de notion de contre-culture. Tout est de la culture, point barre. Et à cet égard, je ne sais pas s’il y a un endroit particulièrement confortable où s’installer de façon permanente. J’ai l’impression que je peux jouer n’importe quel genre, et être satisfait de cette versatilité.

CRAFT : Et tu as un nouveau groupe, non ?

Conor : Ahhh oui, le punk est de retour ! L’icône revient. (rires)

CRAFT : Comment ça s’appelle ?

Conor : Je sais pas si je peux le dire… Bon, on est Gay Weed Dad. C’est un nom qui fait son effet.

CRAFT : Et dur à prononcer pour un.e français.e.

Conor : Bien entendu. GWD si tu préfères, on accepte. On fait des trucs un peu foufous, et je suis le batteur. Donc c’est sûr que ça change. Je crois qu’on faire comme Genesis : en studio, je ferai la batterie et en concert je serai frontman, et on demandera à quelqu’un d’autre de faire la batterie.

CRAFT : Ahh, je voulais te demander ce que ça faisait de plus être sur le devant de la scène dans ce nouveau groupe.

Conor : En fait je ne suis pas un batteur en public. Seulement dans ma chambre ! C’est mon arme secrète, je l’ai longtemps gardée pour moi et ce n’est que maintenant que je commence à en parler.

CRAFT : Dans CRAFT ! On a l’exclusivité !

Conor : (rires) Oui je suis batteur maintenant, merci à tous.tes !

CRAFT : Blague à part, il y a une question sérieuse derrière tout ça ; je suppose que c’est une expérience différente d’être à la batterie, de ne pas avoir à être le chanteur comme tu peux l’être dans ton projet solo. Quel plaisir tu tires de ce nouveau setup ?

Conor : Pour être honnête, je dirais que c’est un soulagement. J’aime bien le fait que ça n’a rien de technique ; j’ai pas à me soucier des notes ni rien. Et je ne touche pas aux accordages ni aux peaux donc si ça ne sonne pas très bien, je tape juste plus fort (rires).

CRAFT : Je veux dire, c’est du punk donc… c’est un peu l’idée non ?

Conor : Tout à fait. On est vraiment contents du son, ça sonne un peu bizarre. Je dirais que c’est un son assez neuf. Il y a quelques groupes en ce moment qui défoncent, dans le style post-punk… post-new wave, je sais même pas comment le décrire vraiment…

CRAFT : Post-tout.

Conor : Ouais ! Ils utilisent des instruments qui datent des années 80 ou 90, en les passant dans des consoles MIDI pour créer des sons digitaux… c’est génial, c’est une époque excitante pour les fans de punk.

CRAFT : Des noms ?

Conor : Dans la scène indie, je dirais Wet Leg. Elles sont géniales ; la façon dont elles construisent leurs chansons, dont elles utilisent les silences… et l’attitude, tout est génial. Et ça fait un moment qu’un groupe comme ça manquait dans l’industrie je dirais. La chanson dont on parle aujourd’hui (« I Will Be Immortal »), c’est un titre country. Et une des raisons qui font que j’ai moins envie de jouer de la country, c’est que le genre ne progresse pas, à mon sens. Tout le monde rejoue les mêmes structures, les mêmes choses. Et j’aime bien l’idée d’être une sorte de scientifique fou pendant un moment et de tenter des trucs. Comme les Viagra Boys, avec leurs petites mélodies étranges au synthé et un type chelou dans le coin avec un saxophone… Ça va être cool.

CRAFT : Et tu n’as pas l’impression que tu peux explorer autant dans ton projet solo actuel ?

Conor : Non… J’ai essayé mais les chansons qui en sortaient ne plaisaient pas en fait. Moi, je trouvais que c’était mes meilleures… ça va être cool, j’ai hâte. Je pense que je vais perdre mon public bientôt mais si c’est ce qui doit arriver, c’est ce qui doit arriver. C’est l’art qui compte, au final.

CRAFT : Est-ce qu’il y a des clichés d’écriture musicale que tu évites de façon consciente ? Des rimes par exemple où tu te dis « plutôt mourir » ?

Conor : Alors, oui, un en particulier. Phil Collins, dans toutes ses chansons, qui dit, dans chacun de ses tubes « tonight, tonight, tonight ». Ah et j’ai un vrai problème avec les gens qui utilisent des mots très compliqués. On dirait qu’ils écrivent avec un dictionnaire. Je déteste ça.

CRAFT : Un avis sur les Arctic Monkeys du coup ?

Conor : J’adore les Arctic Monkeys. Lui, il utilise des expressions typiques du nord de l’Angleterre, c’est poétique. Des petits adages empilés, qui créent un paragraphe. Ca marche toujours, j’adore l’écriture d’Alex Turner.

CRAFT : C’est un type intelligent, en effet. Remontons le temps un peu – est-ce que tu te souviens ce qui t’a attiré vers la musique quand tu as commencé ?

Conor : Quand j’étais vraiment petit, c’était les trucs que mes parents écoutaient dans la voiture. Et tu sais, quand t’es enfant et que tu essaies de t’endormir dans la voiture, tu fermes les yeux et tu écoutes le monde autour de toi – en tant que musicien, tu t’imagines toujours jouer d’un instrument, sur une chanson qui passe. Je suppose que c’est comme ça que ça commence pour tout le monde. Mais pour moi, ça a vraiment basculé quand j’avais… 14 ou 15 ans. J’ai regardé Jackass 2. La B.O est géniale. Et il y a cette chanson, qui est un des thèmes du film d’ailleurs ; elle s’appelle « If You’re Gonna be Dumb, you’ve Gotta be Tough » par Roger Alan Wade. Quand je l’ai entendue, je me suis dit que c’était possible, que je pouvais écrire une chanson tout seul, juste avec ma guitare, et qu’elle pouvait passer dans un film. C’est là que je me suis dit que j’allais tenter.

CRAFT : Est-ce que tu as tout de suite pris du plaisir dans l’écriture de chanson ? Tu sais, quand on commence un nouveau truc, il y a une période de lune de miel où la progression est très rapide, puis on atteint un genre de plateau, et on se dit « bon, je suis peut-être pas excellent en fait, il va falloir que je bosse ». Tu te souviens avoir eu ce thrill initial ?

Conor : Oui, complètement ! J’essaie de me rappeler quelle chanson c’était… Quand j’avais 11 ans, j’ai essayé d’apprendre « For Whom the Bell Tolls » de Metallica à la guitare ! (rires) Et je tabassais la corde du Mi, persuadé que j’étais… Dieu. J’étais Metallica.

CRAFT : « Ne me parlez même plus… je suis sur un plan supérieur d’existence… »

Conor : Exactement ! (rires)

CRAFT : Et quand tu as toi-même commencé à écrire tes chansons… c’était quoi la première ? J’espère que c’était un titre emo.

Conor : Probablement ! J’essaie de m’en rappeler… Ah oui, j’avais un pote qui se droguait pas mal, et je me suis dit « je vais écrire une chanson pour l’aider à se sentir un peu mieux ! » Et ça s’appelait « It Won’t Do You Good ». Et c’était bien naze. (rires)

CRAFT : Et ça a marché ?

Conor : Non (rires) ! Enfin, il est toujours en vie, donc peut-être !

CRAFT : J’adore. Je ne me rappelle pas la première chanson que j’ai écrite mais ça devait être du même acabit, un truc bien gênant. La dernière question, que je pose toujours à la fin de l’émission c’est : pourquoi avoir choisi cette chanson aujourd’hui ?

Conor : C’est une bonne chanson d’adieu à la country. J’en suis fier, j’ai l’impression que personne d’autre n’aurait pu l’écrire exactement comme je l’ai écrite. C’est la chanson la plus originale que j’ai faite, et celle que j’aimerais laisser derrière moi après ma mort.

CRAFT : Quelle charmante perspective ! (rires) Merci beaucoup d’être venu dans CRAFT une troisième fois, et on a hâte d’écouter Gay Weed Dads ! Merci Conor, à plus !

Conor : Merci Claire !  

Interview, montage, visuel : Claire Le Gouriellec

Photographe : Conor Jones

Jingle : Dela Savelli