CONTREFAÇON : Rencontre autour d’ALMA

CONTREFACON a fait un retour remarqué en ce début d’année avec leur second album : ALMA. Un album-concept au story-telling poussé et toujours accompagné de vidéos qui permettent d’étendre l’univers du collectif. Alors qu’ils s’apprêtent à démarrer la tournée cette semaine, on a retrouvé le quatuor pour une conversation autour de l’album. On a parlé d’évolution musicale, de storytelling, de collaborations mais aussi du fait d’être shadowban, de l’utilisation de l’intelligence artificielle et de penser complètement un live pour la première fois.

LaLa Face B : Salut Contrefaçon, comment ça va ?

Mike : Ça va bien. On est contents d’être là avec toi.

Laurent : Je suis content d’être là aussi.

Pierre : Pareillement, ça se passe bien la sortie de l’album.

Etienne : Ouais, ça fait un moment qu’on travaille ça et ça se concrétise. Il reste beaucoup de boulot encore mais c’est cool.

LFB : Je me demandais ce qui vous avait donné envie de revenir à un format album, un truc un peu plus imposant après deux EPs.

Mike : On n’a jamais lâché l’idée du format de l’album. Le problème, c’est que l’album est beaucoup plus long à se concrétiser et à se former. On a sorti le premier album post-Covid. On n’a pas eu les retombées qu’on attendait. On a beaucoup subi toute la problématique de cette période-là au moment où c’est sorti. Ce qu’il se passe, c’est que tout simplement on avait des sons de côté. On a repris la parole avec des EPs mais derrière on continuait de bosser d’autres sons qu’on estimait être plus pertinents pour un format long. Quand on est arrivés à maturité sur cet album, on a décidé de le sortir. Ça ne va pas plus loin que ça. On n’a jamais lâché l’idée et on est très, très contents d’avoir pu explorer autre chose sur ce format-là qui est quand même particulier mais qui nous permet d’aller au bout des idées et du concept.

LFB : J’ai l’impression que dans un jeu de rôle, les EPs vous ont fait accumuler de l’expérience et du coup, vous avez eu assez de points d’énergie pour aller battre un nouveau boss de fin.

Mike : C’est clairement ça.

Étienne : Après sur chaque EP, il y a un concept. On a produit des sons pendant le Covid qui étaient liés à la pandémie, même les visuels. Il y a eu un concept, à la fois un peu plus urbain sur l’un, un peu plus techno sur l’autre. On a quand même exploré des trucs mais c’est une moins grosse échelle narrative que de sortir un projet d’album.

Mike : Après ce sont aussi des envies. Il y a une temporalité où tu sors ton premier album, tu te dis « ok maintenant j’ai envie de faire ça ». Et du coup, ça correspond plus à un EP peut-être un peu plus techno et en parallèle, tu fais des sons un peu plus électroniques, un peu plus rock donc du coup tu te dis que ça sort de ce qu’on fait actuellement. Donc peut-être qu’on le met pour plus tard et peut-être que ça peut rentrer dans un projet un peu plus global. Voilà, tu expérimentes et tu avances comme ça.

Laurent : Et tu resserres l’étau aussi. Au fur et à mesure que tu élabores ton album, tu te dis qu’il y a peut-être certains trucs qui sont hors-sujet, d’autres qui sont peut-être trop longs. Tu essaies d’aller de plus en plus à l’essentiel. Au final, ça peut paraître n’être qu’un petit album parce qu’il ne fait que 36-37 minutes, il n’y a que onze morceaux. Mais il faut comprendre que c’est vraiment l’essence de ce qu’on a bossé depuis tout ces longs mois.

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant, c’est qu’il y a une grande inversion par rapport à Mydriaze. C’était un album qui, par défaut, devenait la bande-originale d’un court-métrage alors que là, ALMA l’histoire de la musique, c’est ce qui influence les visuels qui vont venir après. L’histoire d’ALMA est dans l’album. Ce n’est pas une collection de titres. Il y a vraiment un truc du début à la fin qui raconte une histoire musicalement.

Laurent : L’ambition a changé. Mydriaze, c’était beaucoup, beaucoup de travail. Pierre sera capable de te le dire. Visuellement, on a vraiment sué pour sortir ce court-métrage-là. On est quand même à une période où ce sont les réseaux sociaux qui priment et aller sur une espèce de chantier où on va raconter l’histoire d’un film comme ça, ce n’était peut-être pas aussi cohérent. Par contre, dépeindre un contexte au fur et à mesure des tracks et essayer de dépeindre un univers plutôt qu’une histoire très définie, c’était peut-être le bon mouv’. Du coup on s’est peut-être dit que c’était plus smart d’essayer de poser les bases d’un univers qui était plus global et sur lequel on pouvait communiquer sur la longueur.

Étienne : Ouais sur Mydriaze, ça parlait beaucoup de nous. De nos vies, de nos influences. La ville de Paris qu’on voulait montrer sous un certain jour. Là, il y a un univers conceptuel et la musique est beaucoup plus libre d’évoluer dans cet univers.

LFB : Ça se nourrit. C’est un peu une dystopie musicale et ça se nourrit d’obsessions contemporaines tout en racontant une histoire complètement inventée et qui existe sans exister dans le monde moderne. C’est hyper intéressant de mettre ça en musique parce que généralement, la dystopie se crée à travers le cinéma, la littérature, qui ont nourri l’album aussi, mais ça se crée rarement en musique électronique.

Laurent : Ça c’est Pierre qui est très fort pour trouver des concepts sur la musique comme ça.

Mike : Là, chaque morceau trouvait sa place dans l’univers. Il y a des morceaux où d’instinct on se disait que c’était des morceaux qui sont légaux, autorisés par le gouvernement. D’autres où c’était plus une bande-son de film et ça va nous servir ailleurs. Alma par exemple, qui est beaucoup plus cinématographique, contemplative. We Can Work It Out, c’est un peu un chant révolutionnaire. Si on voulait, on pourrait faire un film. Nous, on a fait le scénario du film et avec nos moyens, on s’est concentrés sur les morceaux pour faire des chapitres très différents les uns des autres.

LFB : Là finalement, il n’y a pas de film mais il y a des pastilles visuelles qui sont hyper importantes et qui permettent de montrer les différentes ambiances de l’album.

Étienne : Tout le monde ne s’en rend pas compte.

Laurent : Après, il y a un petit travail de les remettre dans l’ordre aussi parce que narrativement, Alma est le premier alors qu’on a sorti Soma en premier et que dans celui-ci, le policier a déjà fait un travail psychologique.

LFB : Il y a un jeu de puzzle qui est aussi dans l’album. Finalement, tu alternes aussi entre des morceaux qui sont plus du côté légal d’ALMA et d’autres révolutionnaires. Tu as presque des miroirs aussi dans l’album d’un morceau à l’autre.

Mike : C’est vrai que l’album quand tu l’écoutes du début jusqu’à la fin, il s’assombrit. Ce n’est pas forcément la chose la plus intuitive. Musicalement, on a construit l’album différemment de la sortie des morceaux parce qu’effectivement, on se disait qu’on n’était pas là pour raconter quelque chose dans l’ordre chronologique. On était là pour raconter un contexte surtout.

LFB : Il y a une cinquième personne sur cet album. Vous avez travaillé avec DVNO. J’ai l’impression qu’il y a un héritage de la French Touch et d’une certaine idée de la musique électronique qui transpirent de l’album. Je me demandais comment vous aviez travaillé avec lui et quels pièges vous avez cherché à éviter.

Laurent : C’est une bonne question. Je pense que l’inspiration de la French Touch sur cet album était déjà là avant qu’il intervienne. Lui a mis du relief à cet album. Il a vraiment crédibilisé certains passages. Il a donné certains styles à certains passages de certains morceaux.

Mike : Il y a des fois où tu es bloqué. Il est arrivé avec les clés pour nous ouvrir les portes. En mode : « les gars, pourquoi vous ne feriez pas ça, ça et ça ». C’est arrivé assez tard dans la conception de l’album mais ça a confirmé toutes les intentions qu’on avait déjà de base.

Laurent : C’est un peu comme un très bon pote qui fait de la musique depuis longtemps et qui te dit que tu devrais tester ça à ce moment-là. Du coup, c’était super intéressant parce qu’on bossait vraiment ensemble. Ce n’était pas lui de son côté, à part sur son featuring sur Emotions Lost où il a vraiment posé de la voix. Sinon, le reste du temps on était vraiment en studio ensemble. Il conseillait, il a même un moment sorti la basse sur Fugue et chanté un peu dessus. C’était vraiment de l’arrangement et pour nous donner des idées, nous donner les clés pour sortir un peu de cette boucle.

LFB : De l’entre-soi en fait. Vous travaillez ensemble depuis très longtemps et ça peut être un moteur comme un piège.

Mike : On a quand même la chance d’être quatre. Il y a peu de groupes dans l’électro qui ont cette chance-là. C’est frustrant mais c’est aussi un atout de dingue d’avoir des miroirs en permanence de ce que tu fais. Des fois, tu es dans ta bulle et quand tu es tout seul, tu n’as personne qui va venir te dire si c’est bien ou si c’est de la merde. Nous, on se le dit en permanence. C’est quand même une vraie plus-value et c’est ce qui a toujours fait le moteur de ce groupe.

LFB : C’est vrai que de manière très générale, la musique électronique est une expérience très solitaire.

Pierre : Après pour revenir sur la French Touch, il y a des passages où il a accentué avec des mécanismes et des recettes de French Touch. Il est venu donner du style là où nous ça pêchait un peu. Il y a des passages où il est venu donner une originalité. Je pense notamment à GTFU. À la base, c’était vraiment un morceau rock. Il a amené des sonorités un peu folles et tout qu’on n’avait pas du tout en tête parce qu’on avait la tête dans le guidon. On n’avait même pas imaginé ça. Il y a un côté French Touch mais il y a aussi ce truc extérieur avec une oreille nouvelle. C’était la première fois qu’on faisait ça et c’était hyper agréable. Ça nous a permis de faire le dernier coup de fouet pour sortir l’album.

LFB : C’est marrant que tu parles de ce titre-là et même de Fugue. Je trouve que ce sont des titres qui sont très impressionnants en termes de style et de concept musical. Tu sens qu’il y a tout le passé qui est derrière mais en même temps, il y a aussi ce truc sur lequel vous apposez le tampon Contrefaçon, qui rend le morceau original. Ce n’est jamais du pastiche en fait.

Laurent : On a quitté un peu notre casquette techno et on est revenus à nos influences vraiment électro French Touch 90s-2000. On s’était donné un petit peu un cahier des charges avant cet album pour focus sur certaines impressions musicales. On a essayé de faire en sorte que tous les morceaux répondent à ce cahier des charges, et en fait on arrive quand même à avoir des morceaux qui sont très différents. Il y a aussi quand même l’apport des feat. Sur GTFU, il y a Mat qui pose dessus et qui a ramené une énergie incroyable sur ce morceau. Si tu écoutes l’avant et l’après, entre l’instru et le moment où il a posé, il ramène ce morceau dans la stratosphère. On est hyper reconnaissants d’avoir bossé avec des artistes qui ont aussi réussi à imprimer des choses sur cet album-là. GTFU, c’est le parfait exemple parce que franchement ce morceau-là, on va tellement kiffer le jouer en live. Ça va donner une patate incroyable.

LFB : C’est marrant que tu parles d’influence parce que pour moi Alma est un album de pop au final. Dans le sens global.

Laurent : Si tu vois de là où on vient, c’est vrai qu’on bascule vers un truc un peu plus pop dans le sens où c’est un album que tu peux écouter en dehors d’une salle de concert ou dans un contexte festif. C’est vraiment un album que tu peux écouter dans plein de conditions différentes, qui peut te faire voyager. En fait, ça reste quand même l’ambition de Contrefaçon à la base. C’est de ramener la musique à l’image et de faire en sorte qu’elle puisse voyager et ramener un storytelling derrière. On voulait faire autre chose que sur les EPs précédents.

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que c’est un album avec des singles mais ils prennent une importance et une dimension complètement différente dans la globalité de l’album. J’ai l’impression qu’il y a certains morceaux, tu ne peux pas les comprendre complètement si tu les écoutes à part que dans le storytelling.

Étienne : C’est pour ça qu’il y a une intro, le petit interlude où tu comprends que tu changes de style. J’espère que les gens feront l’effort d’écouter l’album parce que ça a été conçu pour ça.

Pierre : En même temps, chaque morceau a un style. Il y en a un peu pour tous les goûts. Tu peux écouter des morceaux que tu aimes bien. Si tu aimes un morceau, tu peux l’écouter sans écouter le reste de l’album. Chacun est suffisamment riche.

Mike : Do It Right, c’est un morceau qui marche bien en single mais effectivement, je pense qu’il prend une autre dimension quand tu l’écoutes à travers l’album.

LFB : Il a ce côté un peu schizophrénique de musique faite par IA qui est hyper intéressant parce que finalement, c’est fait par des humains. Ce truc où ça part dans tous les sens, ça change de style en un claquement de doigts. Cette chose-là, tu ne peux pas t’en rendre compte quand tu écoutes le single tout seul. Sur l’album, ça a une image totalement différente parce que tu te rends compte que c’est justement la musique autorisée. Avec le visuel, ça a une image encore complètement différente parce que tu te rends compte que c’est un morceau pour modifier le cerveau des personnes. C’est un morceau qui marche à plusieurs niveaux. We Can Work It Out, c’est pareil en fait. Tu sens la fibre révolutionnaire mais ça a une image complètement différente aussi quand tu le regardes avec le clip. Vous réfléchissez tout ça ?

Étienne : Ça se fait par couche et aller-retour. Par exemple, quand il fait une prod’, avec le feat, là où Laurent est très fort, c’est d’arriver à reconstruire le morceau autour du feat. Avant d’arriver sur un morceau, il est passé par quinze noms différents et quinze états différents. Les allers-retours avec la vidéo sont aussi tricotés là-dedans. Parfois, ils se construisent parce qu’avant que Laurent prod autour du feat, certaines voix du featuring vont inspirer le truc en termes de vidéo et ça va influencer sur l’édition du morceau. Et le résultat final va aussi avoir une influence sur les visuels.

Pierre : Pour ces trois singles, c’était tout prévu depuis le printemps dernier.

Mike : En fait, on a plein de maquettes dans tous les sens, plein d’idées dans tous les sens. À un moment, on essaie de factoriser tout ça et c’est à ce moment-là que tout commence à se préciser et à prendre forme. C’est là où on prend la décision ou non d’aller dans une direction sur les morceaux. Do It Right, c’est complètement voulu que ça ressemble à un morceau d’IA. Par contre, il y a quand même le côté artisanal. Déjà, ce sont des morceaux qui ont été faits bien en amont de toutes les technologies qui sont assez récentes, qui permettent de générer des musiques par intelligence artificielle. Quand on a composé cet album, l’idée que Pierre a amenée, c’était de rattacher ça à « la musique humaine est interdite » et du coup, il n’y a que la musique artificielle faite par le gouvernement qui est autorisée. À partir de là, ça a donné une impulsion qui est que tout élément qui reste dans la musique et dans la vidéo doit pouvoir raccrocher à un storytelling.

LFB : Cette idée-là, nous on trouve ça dingue d’interdire tel ou tel type de musique mais ça existe déjà dans des dictatures d’interdire un certain nombre de BPM ou un certain style de musique parce qu’il est impur.

Étienne : À notre échelle, on a découvert le shadow-ban. On trouvait ça fou. ALMA, c’est quand même un visuel qui n’est pas du tout réaliste, ça se voit que c’est cinématographique. On a déjà fait plein de visuels un peu plus viraux qui auraient pu être strikés. Là le fait qu’il y ait des armes, la répression et tout, on a été bannis complètement juste après la sortie. Ça s’est répercuté. On était contents de sortir Do It Right parce que justement il était avec tous les codes qui sont autorisés, très coloré et tout. Même We Can Work It Out est complètement shadow-ban sur Youtube pour « évènement non positif ». Même si ce n’est pas directement le même type de censure, on se rend compte que c’est présent.

LFB : Tu sors l’album et juste après tu as un mec qui est censé gouverner les États-Unis qui fait des saluts nazis sur scène. Tu te dis que finalement ce que tu racontes dans l’album, on est en plein dedans.

Laurent : Tu es dans les extrêmes en permanence alors que normalement, on devrait être dans les nuances. L’algorithme devrait capter qu’on est dans une démarche artistique et pas dans une démarche d’exagération ou de propagation de la haine. En même temps, tu te dis que c’est con parce que cet algorithme-là nous pénalise alors qu’il ne devrait pas. Tu te retrouves à avoir une espèce de bascule du pouvoir maintenant où tout va être autorisé. C’est hyper compliqué. Ce qui est cool, c’est que notre expérience nous amène à la réflexion sur ces sujets.

Étienne : C’est ça. La musique, c’était un prétexte. Dans Farenheit 451 dont c’est inspiré, ce sont des livres. Nous on s’est dit que ça marchait avec de la musique. C’est pour dire que l’autorité peut être abusive, peu importe sur quoi est la musique. C’est absurde. Ça montre le second degré qui est le propos. Et en vrai, on se fait rattraper par ça.

LFB : Avec l’hyperviolence d’Orange Mécanique ou des choses comme ça qui sont aussi une influence pour l’album, ce sont des choses qui sont en train de devenir de plus en plus réelles dans notre quotidien.

Étienne : Aujourd’hui, il serait interdit ce film alors qu’il pose des questions qui méritent d’être posées. Tu nous mets face à un miroir face à nous-mêmes. Nous on essaie de poser des questions par les influences musicales ou visuellement.

Laurent : On nous a reproché de stigmatiser la police ou de critiquer l’IA alors qu’on l’utilisait dans nos visuels. En fait, tout ça, ce sont des outils. La police, c’est l’outil du pouvoir. L’intelligence artificielle, c’est un outil qui est utilisé par des humains. Ce ne sont pas des choses qui ont vocation à être bien ou mal. L’idée, c’est qu’il y a des gens derrière qui les instrumentalisent et qui font des choses bien ou mal. Nous, on n’est ni contre, ni pour l’intelligence artificielle. On n’est ni contre, ni pour la police. On est juste là pour dépeindre un univers qui utilise ces choses-là dans notre contexte. C’est juste qu’après ça permet de provoquer des réactions et des réflexions.

LFB : C’est marrant que tu parles d’utilisation de l’IA. On est d’accord que la pochette a été faite avec de l’IA ?

Étienne : Tout à fait.

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant, et c’est aussi tout le propos de l’album et ce que tu dis, l’IA n’est pas le danger. Le danger, c’est ce qu’on en fait.

Laurent : C’est ça, c’est un outil. Il y a quelques années, certaines personnes le disaient. Internet, ce n’est ni bien, ni mal. Aujourd’hui internet, plus de personnes en profitent que le subissent. Et encore, je dis ça de mon point de vue mais ce n’est pas universel. La réalité, c’est que peut-être que dans quelques années, l’IA sera partout et nécessaire à notre usage du quotidien. Parce que nos usages auront évolué. Maintenant, la question c’est qu’est-ce que t’en fais ? C’est quoi le but ? C’est quoi les objectifs derrière ? Quand tu te rends compte aujourd’hui de ce qu’est devenu Instagram, les réseaux sociaux, etc. Tu peux te demander si internet c’était bien à la base. Ce sont les desseins cachés qui sont derrière. Jamais l’outil n’est responsable de quoi que ce soit.

LFB : Mirwais a écrit un livre il y a un ou deux ans qui est aussi une dystopie et où le signe nazi devenait un symbole commun et un truc de marque de luxe. L’album rentre complètement dans ça. D’un personnage qui devient fou et de la musique créée par ordinateur. C’est marrant parce que ce sont des obsessions où quand tu l’imagines dans ton esprit, tu te dis que c’est trop fou pour être vrai et au moment où ça sort auprès des gens, tu te dis que tu n’es pas si loin de la réalité.

Pierre : Ouais. Nous d’ailleurs dans notre arc narratif, ceux qui résistent utilisent l’IA comme outil parce que ça les rend plus puissants. Ils vont pirater la musique autorisée pour la faire tomber mais en utilisant le même outil.

LFB : C’est ce qu’il y a d’intéressant aussi dans les clips. L’utilisation de l’IA sur vos visuels vous permet de rendre réel un truc que vous n’auriez pas pu faire faute de moyens.

Pierre : La pochette à la base, on ne devait pas la faire en IA. Au fur et à mesure qu’on avait l’idée, on se disait qu’on ne pouvait pas la faire. Ça nous aurait coûter 20 000 euros. Pareil pour le clip de We Can Work It Out. Pour faire vivre la dystopie au milieu d’images d’archives, c’était hyper cool de pouvoir illustrer notre dystopie.

LFB : C’est toi qui chantes sur We Can Work It Out ?

Mike : Ouais c’est moi.

LFB : Comment tu vois ton évolution en tant que chanteur ? On parlait de virage vers de la pop et c’est vrai que ton utilisation de la voix va là aussi.

Mike : Pour ne rien te cacher, il y a eu un gros questionnement au moment où on a fait le morceau. Ça passe toujours par des sessions studio où c’est assez spontané. On se met derrière un micro et il y a des choses qui sortent. Après, il y a le questionnement sur « est-ce que vraiment c’est ça qu’on doit faire ? ». En fait, la question est vite bachée à partir du moment où c’est spontané. La question après, c’est que ça c’est sorti, qu’est-ce que t’en fais ? Est-ce que tu l’assumes ou pas ? Il n’y a pas de raison de ne pas l’assumer à partir du moment où c’est ce que tu as sorti. Donc tu le rentres dans le contexte, tu fais en sorte que ça soit quelque chose qui fasse partie intégrante du projet et c’est juste une pierre de plus à l’édifice par rapport à ce qu’on a fait avant. Oui, je suis chanteur et j’ai toujours fait en sorte de faire le show, d’interpréter les choses sur scène et d’être la « partie au contact » du public de Contrefaçon. C’est juste que ce qui s’est exprimé-là à travers de We Can Work It Out ou de Silence, c’est la continuité tout simplement. Ce sont des choses qu’on n’avait pas encore exprimées qui sont complètement légitimes. Effectivement, il y a forcément un questionnement de savoir si tu n’es pas en train de te renier mais ça, c’est le questionnement de tous les artistes. Je pense que ça fait juste partie de l’évolution musicale.

LFB : Tu grandis en fait.

Mike : Tu grandis ou juste tu arrêtes d’être cloisonné. Le problème je pense c’est que tu te dis que si tu vas sur ce côté-là dans ta musique, est-ce que je ne suis pas en train de me renier ? Bah non en fait. Parce que tout simplement, ça a été spontané donc c’est que tu as besoin de l’exprimer. Écoute, on l’a exprimé et je ne pense pas que ça soit se renier que d’avoir sorti un morceau comme ça. Je pense que justement We Can Work It Out est un putain de morceau électro. Il a beau avoir un penchant pop, il est complètement fidèle à ce qu’on essaie d’exprimer depuis le début. Il suffit juste de reprendre notre discographie et d’écouter ce qu’on a fait avant.

LFB : C’est intéressant de parler d’évolution parce qu’à travers l’évolution musicale, se pose aussi la question du live. Par exemple, les gens qui vont venir vous voir en live là, ils vont venir vous voir pour l’album mais aussi pour les anciens morceaux. La question se pose de comment tu mets un morceau comme R MAX ou comme Danser Penser pour que ça soit cohérent sur un live pour ALMA.

Pierre : On a réussi à construire un truc cohérent. Danser Penser, ce qui est facile, c’est qu’il est complètement dans la DA. C’est un hymne qui appelle les gens à danser et penser. R MAX, on ne va pas te révéler les secrets mais il a trouvé sa place. Dans le live, il sort un peu de la narration et de la DA mais je trouve que les gars ont fait un super boulot et qu’ils ont réussi à faire un bon équilibre entre les anciens morceaux. Il y a une thématique qui évolue et tout, il y a un peu plus de scéno qu’avant. Il y a le fait que Mike chante sur tous les morceaux donc il y a beaucoup plus de voix. Ils ont trouvé leur place.

LFB : C’est un truc que tu peux te demander quand tu rentres en réflexion. Est-ce que ce sont des morceaux que tu mets en rappel et qui n’ont rien à voir avec l’histoire d’avant ? Ou est-ce que tu les refonds ?

Laurent : On ne va pas tout spoiler maintenant (rires). La réalité est que par contre, cet album s’inscrit sans problème dans le live. On va rester quand même fidèle à notre réputation de foutre un sacré bordel et de foutre l’ambiance en concert. On a toujours essayé de faire le lien entre le côté électro très déshumanisé et le côté punk très proche du public. On est vraiment entre les deux. On essaie de faire la jonction entre ce truc où la musique électronique n’est pas une musique interprétée par des musiciens et en même temps, avoir un contact avec le public et avoir ce rapprochement-là. Je pense qu’on est dedans. Même si cet album-là est un peu plus pop, ça va quand même tabasser, ça va quand même sonner club. Il faut venir.

LFB : Je suis curieux du live parce que je trouve que cet album-là, si on parlait d’héritage tout à l’heure, je le rapprocherais vachement d’un album comme Total de SebastiAn. Dans le sens un peu éclatement musical. Il avait fait un truc précurseur où il avait un pupitre devant lui et le live en lui-même était une espèce de discours d’homme politique avec des images derrière. Le live se finissait parce qu’il terminait flingué. C’est pour ça que je suis hyper curieux de voir ce que vous avez prévu pour le live parce que je me dis qu’il y a plein de choses à faire avec un album comme ça.

Pierre : On s’est régalés. On n’avait jamais eu de déco, ni rien. Là même si c’est minimaliste, on a quand même de la déco, de la scéno. Une narration aussi dans le live et pareil en vidéo on a vraiment essayé d’apporter de l’originalité. Sans en dire trop, jouer avec la vidéo live, avec des changements radicaux d’ambiance qui s’inscrivent dans la narration et dans la DA d’Alma.

LFB : Du coup, vous avez travaillé avec des personnes pour les lumières ?

Pierre : C’est Étienne maintenant qui est aux lumières, qui se forme actuellement. On était obligés de passer un cap par rapport la scéno, par rapport à la vidéo aussi. Parce qu’on a eu plein d’expériences où c’était compliqué de se caler justement en live avec le mec qui est à la lumière. Là, ça va être super calé. On va vraiment passer des étapes sur le nouveau live. C’est pour ça que la Cigale, c’est vraiment le truc qui marque le coup.

LFB : Même en termes de scènes et d’ambiance autour de la scène, je pense que ça peut être une scène hyper intéressante.

Étienne : Ouais, le côté arène un peu. On veut des gens avec des banderoles aux balcons.

Laurent : On est en train de bosser dessus mais on a tellement hâte de lâcher les chevaux. Il y aura tout ce qui fait nos influences et de nous-mêmes dans ce live. Je pense qu’en fait, encore une fois, tous les gens qui pourraient être déçus de la tournure un peu pop de l’album seraient réconciliés au bout de cinq minutes en nous voyant en live parce qu’on n’a jamais changé le cap.

LFB : Tu penses que les gens sont déçus ? Je ne pense pas. Je pense que l’évolution est naturelle.

Laurent : Il y a un côté provoc’ à passer d’un EP comme Brûlé qui était très techno à un album comme celui-ci qui a un côté très pop.

LFB : Si tu regardes 4 et Mydriaze, c’était déjà le cas aussi.

Laurent : Pas tout le monde a raccroché les chevaux au même moment et pas tout le monde ne nous suit depuis aussi longtemps que toi. On est hyper contents de faire une interview avec quelqu’un qui connaît aussi bien notre discographie. La réalité, c’est qu’il y a des gens qui nous connaissent surtout pour Ancilla Domini. Qui est un morceau mélodique mais qui est quand même assez techno. Il y aura sûrement des déçus et effectivement, il y aura sûrement des gens comme toi qui nous connaissent depuis assez longtemps pour savoir qu’on est un groupe qui aime la Musique au sens large. Cet album-là sera une ode à tout ce qu’on aime et à tout ce qu’on a été. Je pense qu’il faut venir le voir.

Pierre : On a un public assez éclectique qui aime beaucoup la musique. On n’a pas eu trop de retours. Peut-être un ou deux mecs qui ont pris le temps d’écrire un commentaire. La plupart des gens, s’ils écoutent l’album dans sa totalité, ils vont trouver quelque chose qui leur plaît. Ça reprend tout ce qu’on fait. Même celui qui aime Ancilla Domini va se retrouver sur Fugue, sur Alma.

Laurent : On n’a aucun souci. Sur le live, on sait que ça va être le feu.

LFB : Si vous deviez mettre Alma à côté d’un livre, d’un film et d’un album, ça serait quoi ?

Étienne : Un live, ça serait un truc dystopique je pense. Le meilleur des mondes. Farenheit 451.

Laurent : 1984.

Mike : Fahrenheit 451. Brazil en film.

Pierre : Il y a tous les Black Mirror qui nous ont vachement inspirés. Surtout la première saison. Je ne pourrais pas te citer un épisode en particulier mais tu en as plusieurs qui sont des masterclass.

Laurent : Un album forcément on serait obligés de penser à Chemical Brothers. Il y a beaucoup d’influences dans cet album-là donc c’est compliqué. Je ne saurais pas dire.

Pierre : Koyaanisqatsi, c’est un film contemplatif sur la société qui a été produit par Brian de Palma. C’est un film musical. À sa manière, il est un peu dystopique.

Étienne : Ça se veut complètement objectif. Ce ne sont que des plans fixes sur des trucs technologiques, sociaux et démesurés. Il n’y a pas de narration mais c’est tellement objectif que ça en devient subjectif.

Mike : Il est incroyable.

Pierre : L’album, ça pourrait être du Justice.

Laurent : Ouais, ça pourrait mais il y a aucun album de Justice qui réunit tout ce qu’on a mis. Le problème, c’est qu’il y a tellement d’influences différentes.

Étienne : Les très vieux albums de Chemical, No Surrender.

Crédit Photos : Cédric Oberlin

Retrouvez notre chronique d’ALMA par ici
Retrouvez la playlist son et images de CONTREFAÇON par ici

Laisser un commentaire